Rodolphe Bosselut a fermé le bal des plaidoiries de la défense et du même coup le procès des assistants parlementaires du RN dont le verdict tombera à la fin du mois de mars 2025. À l’instar du reste des avocats de la défense, il a dénoncé une contorsion du droit à des fins de meurtre politique.

Il a terminé en évoquant “Marine”. Pas la députée ni la candidate à l’élection présidentielle, mais celle qu’il a rencontrée sur les bancs de la défense d’urgence en comparution immédiate quand il a démarré dans la profession trente ans plus tôt. Rodolphe Bosselut défendait, le 27 novembre 2024, au procès des assistants parlementaires du Rassemblement national, cette avocate qu’il a immédiatement trouvée intelligente, drôle et excellente oratrice. “Dans l’enceinte où sont plaidés les grands principes, on est encore jugé parce qu’on porte le nom de son père.” Alors qu’il y a des années, son patron lui était “tombé dessus” parce qu’il avait fait la bise à Marine Le Pen au palais, il voudrait qu’aujourd’hui la présidente du Rassemblement national soit traitée comme les autres justiciables. 

“Ces tableaux auraient dû être livrés avec une boîte de Doliprane tant ils demandent de la concentration”  

Sa longue plaidoirie a déclenché à maintes reprises les rires de l’assemblée, notamment quand il est revenu aux fameux tableaux de suivi des députés et de leurs assistants estampillés d’un “FN”, indice majeur du dossier qui prouverait que les assistants travaillaient pour le parti et non pour leurs députés. “Ces tableaux auraient dû être livrés avec une boîte de Doliprane tant ils demandent de la concentration.” Surprise du côté des piliers du tribunal qui avaient pour habitude de voir un avocat irritable, un peu irritant. Sa ligne de défense : la thèse de l’accusation ne passe pas la rigueur juridique. Qu’il s’agisse de la régularisation des contrats, qu’on étire comme pour les faire tomber sous le coup de la loi Sapin et sa peine d’inéligibilité automatique, ou tout simplement de ce réquisitoire qui a suscité tant d’émoi et d’indignation. Nicolay Fakiroff, l’avocat de Louis Aliot, Nicolas Bay et Bruno Gollnisch, dénonçait le 19 novembre, un mépris de l’individualisation des peines, une sanction assimilable à un “certificat d’infamie”, citant Victor Hugo, “on sort du bagne, mais on ne sort jamais de la condamnation”, et une amende qui achèverait de ruiner son client qui doit fêter ses 75 ans dans deux mois. 

Élimination politique 

Rodolphe Bosselut quitte la robe quelques secondes pour prendre l’habit du simple citoyen : “C’est une arme de destruction massive du jeu démocratique.” Pour lui, l’issue de ce procès ne concerne pas seulement Marine Le Pen, mais 13 millions d’électeurs et la sincérité du scrutin. “Ce n’est pas rien.” Injustes d’un point de vue juridique, les réquisitions du Parquet frappent trop fort avec l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité. Comme nombre de ses confrères, l'avocat fustige ce mécanisme aux effets irréversibles qui piétine la présomption d’innocence. Pire, selon son analyse du corpus pénal, sa cliente ne disposerait d’aucun recours contre l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité, contrairement à ce qui est prévu pour d’autres peines. Les conséquences de l’exécution provisoire sont à ce point disproportionnées que cela jette “un doute sur les intentions de l’institution judiciaire”.

L’avocat de Marine Le Pen ne supporte pas qu’on dise d'elle qu’elle a bloqué le cours de la justice. Il redonne le contexte des débuts de l’enquête en mars 2017 : les élections présidentielles. Les deux magistrats instructeurs avaient alors accordé à la candidate au poste suprême une “suspension républicaine”, ce qui ne lui avait fait gagner que trois mois. Rien qui ne mérite d’assortir l’inéligibilité de l’exécution provisoire, contrairement à ce que plaidaient les juges du parquet, parce que les faits datent de dix ans désormais. Quant aux 45 recours actionnés par les avocats de la défense pendant la procédure décrits par le ministère public comme dilatoires, on s’indigne de ce côté du tribunal qu’exercer ses droits deviendrait une circonstance aggravante. Nicolay Fakiroff l’avait déjà relevé lors de sa plaidoirie le 19 novembre dernier : la justice attendait le procès du Rassemblement national comme on attend le plat de résistance après le hors-d’œuvre – le Modem, jugé pour des faits similaires l’an passé et dont le chef, François Bayrou avait été relaxé faute de preuves. “Mort politique“, “élimination politique”… Rien n’est trop gros pour dénoncer une justice qui s’emballerait, motivée par le seul objectif de mettre K.-O. l’extrême droite française avec la condamnation de sa leader. “S’il y a un système, c’est au mieux un système D”, clame Rodolphe Bosselut en référence au système de gestion des enveloppes des eurodéputés du parti qui aboutissait, selon la thèse de l’accusation, à détourner l’argent du Parlement européen pour payer les salaires des employés de l’ex-Front national. Selon lui, tout le monde a raisonné comme si les tableaux circularisés par le comptable Charles Van Houtte relevaient de la tambouille interne du parti alors que le parlement savait pertinemment de quelle manière le parti des Le Pen, comme tous les autres d’ailleurs, utilisait ses assistants. Attestations à l’appui, soutient l’avocat de Marine Le Pen, qui cite au passage celle de Brice Hortefeux. “Tous ces contrats, il [le parlement européen, ndlr] les a vus au fil de l’eau.”  “Mais le Parlement n’est pas débile.” Comprendre : le Parlement européen serait au parfum du système de mutualisation des assistants depuis le début. 

Boules puantes 

Pour la défense, l’accusation manque cruellement de preuves dans cette affaire. Le Parquet parle d’“agissements qui paraissent” illégaux, “mais pour accuser, il faut de certitudes”, avait tempêté Nicolay Fakiroff la semaine passée. Ne serait-ce que pour dénicher une instruction, au sens de l’acte de complicité, de Marine Le Pen au sujet du détournement des deniers de l’institution européenne. Ni les deux perquisitions au siège du Front national ni la perquisition du matériel informatique, ni celles des domiciles de certains prévenus ne contiennent une directive de la députée du Pas-de-Calais. La situation financière du parti à l’époque des faits – à découvert de 9 millions d’euros – n’avait rien d’inhabituel. En 2013, le PS avait un solde débiteur de 28 millions, indique Rodolphe Bosselut. Autre point qui fausse l’affaire : c’est monsieur Chauperade (en “indélicatesse” avec le parti à cette époque) qui avait enflammé le dossier avec son interview à L’Express de mars 2017. Qui ne serait rien d’autre qu’un épisode du “feuilleton des boules puantes”, propre aux élections présidentielles. Comme tout mensonge qui se respecte, celui-ci a un fond de vrai, concède Rodolphe Bosselut. Marine Le Pen a bien suggéré aux eurodéputés de choisir leurs assistants dans le vivier du parti. D’ailleurs, sa cliente répète depuis le début qu’elle ne conteste pas les faits, mais qu’ils ne revêtent aucune qualification pénale. Le nom de Sébastien Michon est encore invoqué : l’étude de ce chercheur au CNRS l’atteste, les députés et les assistants font de la politique et travaillent nécessairement pour le parti. Maître Fakiroff l’avait cité aussi le 19 novembre dernier : les assistants ont toujours été des militants actifs ou d’anciens militants, après avoir rappelé cette phrase de Guillaume L’Huillier, assistant parlementaire de Marine Le Pen et directeur de cabinet de son père : “Ce n’est pas parce qu’on est assistant parlementaire que l’on devient militant, c’est parce qu’on est militant que l’on devient assistant parlementaire.” 

“On peut rester silencieux, ne rien écrire, on peut se promener à côté de quelqu’un, le suivre, et c’est du travail” 

Et puis, “un assistant, ça assiste”. Rodolphe Bosselut prend un exemple concret : on ne cloue pas au pilori les personnes qui accompagnent au procès Didier Klethi, le directeur général des finances du Parlement européen. On ne leur reproche pas de ne rien faire, ou de ne faire qu’accompagner. “Ça peut prendre la simple forme d’une présence (…) Moins sexy, moins glamour, mais c’est comme ça.” Pour le Rassemblement national, c’est pareil. Il aurait fallu pour l’accusation creuser du côté du parti, “l’angle mort du dossier”. Les preuves du travail des assistants pour le parti manqueraient autant que celles concernant les tâches parlementaires, si tant est qu’on soit fixé sur le contenu de ces dernières. Pour la défense, les missions de garde du corps rentrent dans la liste des missions de l’assistant parlementaire, du moment que ça permet au député de faire son travail. Alors Thierry Légier, homme de main de Jean-Marie Le Pen puis de sa fille Marine, “il participait à sa façon à l’exercice du mandant parlementaire”. Mais les preuves, il y en avait selon Rodolphe Bosselut. Rien que 870 pièces pour démontrer le travail de Catherine Griset, fidèle assistante de Marine Le Pen, qui répondait aux questions des citoyens à la patronne du RN, lui réservait ses allers-retours en train Paris-Bruxelles et disposait même d’un pied à terre en Belgique, chez Charles Van Houtte, pour assurer ses missions d’assistante parlementaire accréditée. Petit bémol : lors de son passage devant les juges, Charles Van Houtte minimisait la fréquence des visites de Catherine Griset. Il y a aussi les 870 pièces produites pour Catherine Griset, les 164 pages de notes sur la francophonie de Loup Viallet, assistant de Dominique Bilde mais aussi délégué national à la prospective au sein du FN, et toutes ces fois où Gérald Gérin, qualifié de majordome de Jean-Marie Le Pen par la presse, a trouvé les salles au Parlement pour son eurodéputée Marie-Christine Arnautu. “On peut rester silencieux, ne rien écrire, on peut se promener à côté de quelqu’un, le suivre, et c’est du travail”, affirme François Wagner, l’avocat de l’homme à tout faire du patriarche du FN. Qui finira par demander si les 40 % – un pourcentage pris “au hasard” puisqu’il faut chiffrer – de travail consacré à ce dernier valent une condamnation.

De toute façon, “le mandat n’est pas sécable”, selon les dires de Bruno Gollnisch. Quand un journaliste sollicite une interview, il ne précise pas à Catherine Griset s’il veut s’entretenir avec la députée Marine Le Pen ou avec l’eurodéputé. L’avocat Georges Sauveur avait quant à lui privilégié un autre angle d’attaque : l’antieuropéanisme, sous-entendant aux juges du siège qu’ils se feraient manipuler par les fonctionnaires européens. Pour lui, on serait dans le cas d’“une instrumentalisation de la justice pénale française par le Parlement européen et son armée de fonctionnaires partiaux”. “Ça les amuse de passer la journée dans un bureau à Bruxelles à imaginer de nouvelles normes, ils n’ont que ça à faire !”,  a-t-il lancé en assurant au ministère public qu’il valait tellement mieux que ces gens. Pour l’avocate de Loup Viallet, le Parquet assemble depuis dix ans un puzzle, en forçant un peu pour faire rentrer certaines pièces. “En tout état de cause, ce n’est pas comme ça que l’on fait un puzzle.” Verdict attendu le 31 mars 2025.

Anne-Laure Blouin

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