Le 12 novembre 2024, Patrick Maisonneuve et Bérénice de Warren, les avocats du Parlement européen, plaidaient dans l’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement national. Pour eux, les prévenus auditionnés au procès se sont soumis à la ligne fixée par la patronne de leur parti. 

Mardi 12 septembre 2024, Patrick Maisonneuve et Bérénice de Warren se sont distribué les rôles pour cette plaidoirie de partie civile au procès des assistants parlementaires du Rassemblement national, qui n'aura pris que deux heures. À lui, le rappel des faits symptomatiques, à elle, celui des textes implacables. Celui qui fut l’avocat de Bygmalion chauffe la salle avec sa certitude que sans plainte du Parlement en 2015, les choses auraient continué à fonctionner ainsi au sein du parti français nationaliste. La preuve en est, c’est à partir de cette date que certains assistants commencent à “rentrer à la maison” pour retrouver un poste au Front national – c’était encore son nom au moment des faits.

“Cessons maintenant avec cette idée du complot”

Tant de choses devraient nous mettre sur la piste de l’hypothèse du détournement de fonds : le recours à un unique tiers payant, le recours à un unique gestionnaire administratif en la personne de Charles Van Houtte, la domiciliation des assistants parlementaires au siège du parti – même si cela n’a rien d’interdit, “mais comme par hasard tout le monde est au même endroit”… Et puis l’avocat se lasse de la victimisation de ses adversaires : “Cessons maintenant avec cette idée du complot.” Le crime était signé, ironise-t-il en rappelant que le FN avait pointé l’implication de Christiane Taubira, alors ministre de la Justice, dans l’affaire dénoncée par le président également socialiste du Parlement européen Martin Schulz. Le nombre “incalculable” de saisines de la chambre de l’instruction pendant ces années d’investigations fait montre du peu de confiance que les mis en cause placent dans leur justice. Des investigations dont l’impartialité a souvent été mise en cause par les interrogés, comme dans ce communiqué d’Aymeric Chauprade, publié le 30 septembre 2024, à l’aube de l’ouverture du procès. “Téléguidé” pour Maisonneuve, toujours porté par son intuition de ligne directrice donnée par Marine Le Pen. Aymeric Chauprade dénonçait un interrogatoire orienté et des enquêteurs qui lui ont vite fait comprendre que s’il ne voulait pas être inquiété, il devait aller dans leur sens. “Ce jour-là, j’ai vraiment compris le sens des mots 'Justice politique' , avait écrit l’ancien député avant de déclarer s’être laissé instrumentaliser parce qu’il s’était fait virer du parti des Le Pen. Il avait aussi raconté au Monde : “Le parti n’est pas un parti politique, mais une entreprise privée avec une façade idéologique.”

Lignes directrices de la présidente

Si Marine Le Pen n’est pas allée jusqu’à comparer son parti à une entreprise, elle lui reconnaît une culture de la centralisation et de la hiérarchisation. Ce qui a sauté aux yeux de la partie civile, c’est que la présidente a réussi à diffuser cette culture à l’ensemble du personnel du parti mis en cause. “Les prévenus m’ont paru prisonniers d’un système”, conclut Patrick Maisonneuve. Entre les stratégies de défense “qui frisaient parfois avec l’absurde” et ”les pertes de mémoire”, ”cette audition commune permet de dire que la présidente a fixé la ligne [à suivre] au procès des assistants parlementaires du RN”. Et d’observer : “Certains prévenus ont dû s’accrocher à des versions improbables.” Il récapitule quelques bévues, en s’efforçant de ne pas revenir sur le cas de chaque appelé à la barre. Il y a ceux comme Bruno Gollnisch qui refusaient de répondre aux questions dans ce qu’ils considéraient être un complot politique, ou ceux, comme Nicolas Bay, qui reconstituaient des revues de presse pour donner du contenu au travail de leur assistant parlementaire, ou ceux qui cherchaient une interprétation à des messages qui ne pouvaient dire que ce qu’ils veulent dire : “Ça va se voir”, s’inquiétait Yann Maréchal Le Pen ; “c’est trop gros” de Charles Van Houtte au sujet du projet de contrat d’assistant parlementaire de Wallerand de Saint-Just qui occupait alors les fonctions haut placées de trésorier du parti. “Faut oser”, commente l’avocat s’agissant de la justification de son ancien confrère, ex-vice-président du RN : “C’est trop gros sur le plan budgétaire.” Ou cette autre fois où Wallerand de Saint-Just répondit : “Je crois que Marine sait tout cela” à un eurodéputé RN. Lequel lui avait écrit : “Ce que Marine nous demande équivaut à des emplois fictifs, on va se faire allumer.” C’est que le trésorier avait aussi déclaré le 16 juin 2014 : “Les dépenses ont tendance à déraper, on ne s'en sortira que si nous faisons des économies grâce au Parlement européen.” Les mots ont un sens, gronde l’avocat de la partie civile.

Distribuer des tracts

Et puis il y a Laurent Salles, qui aurait bu les paroles de Louis Aliot lors de son interrogatoire par les juges le 29 octobre dernier, pour ne pas commettre d’impairs, ne pas répéter ce qu’il avait dit à l’époque aux enquêteurs, à savoir qu’il travaillait majoritairement pour le pôle événementiel du parti dirigé par Yann Maréchal Le Pen. Patrick Maisonneuve garde Julien Odoul pour la fin, cet assistant dont le rêve était de travailler au cabinet de Marine Le Pen, et qui écrit dans un sms à Philippe Martel que peu lui importait que sa rémunération vienne du Parlement européen. Mais “il y a encore mieux pour monsieur Odoul” : ces textos échangés avec Marine Le Pen, qu’il désigne au cours du procès comme sa tutelle politique, à laquelle il demande, alors que son contrat d’assistant parlementaire avec Mylène Troszczynski court depuis quatre mois, s’il peut aller à Bruxelles découvrir le Parlement européen et “faire connaissance” avec sa députée. Mais quelle image renvoie-t-on aux “petits jeunes” s’émeut lavocat en se tournant vers les étudiants du public, et “rajoutons que les juges de ce pays sont laxistes”, feignant de ne pas demander au tribunal de serrer la visse judiciaire. “On ne parle pas de distribuer des tracts”, répond-il à la déposition écrite de Marine Le Pen de 2017 dans laquelle elle admettait sans malaise que quand les assistants n’étaient pas strictement occupés par le travail pour leur eurodéputé, ils étaient libres de travailler pour le parti. Patrick Maisonneuve achèvera son tour de parole sur la confiance. Celle du Parlement dans ses députés, des gens élus, qui lui reprochent a posteriori son absence de contrôle, et celle, légitime que doivent inspirer les députés aux citoyens qu’ils représentent.

“Je vois que les prévenus ont pris le Parlement pour une banque”

Son associée, Bérénice de Warren, enfoncera le clou sur la responsabilité des élus, corollaire de la liberté fondamentale du député que le Parlement lui assure en lui fournissant une “autonomie financière”. Et non pas une enveloppe, comme on a pu l’entendre tout au long des débats. “Non, le principe c’est le remboursement des frais réellement dépensés et dans la limite du plafond prévu pour faire respecter l’égalité”, second corollaire de la liberté du député – cette liberté si chère aux prévenus grince-t-elle. Le Parlement n’est pas partie au contrat, il ne s’immisce pas dans le travail des élus et se contente de ce qu’on lui déclare. La mutualisation par exemple, pour lui permettre d’établir ses budgets. C’est malheureux, encore une fois, de lui reprocher un manque de contrôle, d’avoir fermé les yeux. Pour celle qui a fait ses armes aux côtés de Jean Veil, l’évocation par la défense de la jurisprudence Jérôme Kerviel selon laquelle la faute commise par la victime exclut tout droit à réparation ne tourne pas rond. Notamment parce que ce courant jurisprudentiel se fonde sur un rapport hiérarchique et a minima des critères de contrôle et de pouvoir. Non applicables aux eurodéputés et au Parlement. “Je vois que les prévenus ont pris le Parlement pour une banque”, s’amuse-t-elle. Après un état des lieux de la réglementation depuis 2009, l’avocate rappelle ce courrier de Fernand Le Rachinel, en rupture de ban avec le FN, qui demande à son assistant Thierry Légier, de “vraiment” travailler pour lui, comme il le devrait en vertu de leur contrat. Curieux, la description des tâches de l’assistant ne devrait pas relever du député selon l’avocate qui tient ses sources de deux décisions. Celle du Tribunal de l’Union rendue en juin 2018 à l’encontre de Marion Maréchal-Le Pen, et l’ordonnance de la Cour de Justice de l’Union européenne du 2 juin 2022 en réponse à la requérante Christine Arnautu cette fois, dans laquelle on peut lire au passage, “qu’il est indispensable que l’activité de l’assistant parlementaire ait un lien direct et nécessaire avec l’exercice du mandat [pour être défrayée par le Parlement] ce qui ne paraît pas pouvoir être le cas s’agissant des frais liés à des activités de nature politique réalisées par le député européen dans le cadre d’autres mandats ou fonctions qu’il assumerait au niveau national”.

Mails écrasés

À passer au peigne fin les différentes relations contractuelles des élus RN et de leurs assistants, Bérénice de Warren et son équipe ont établi un distinguo entre les députés qui ne donnaient pas de travail à leur assistant, ceux qui disaient ne pas avoir le pouvoir d’autorité sur leurs assistants (tous finalement rattachés à Jean-Marie Le Pen comme madame Bruna et monsieur Légier, secrétaire et garde du corps), et puis ceux qui disaient avoir réellement confié un travail à leurs assistants, mais sans qu’il n’en reste aucune trace. “On travaille tous avec des mails, et pas depuis trois ans”, alors pourquoi les députés ne conservent pas quelques mails avant qu’ils ne soient écrasés, régulièrement, comme on les en avertit tout aussi régulièrement ? Et pourquoi les messageries électroniques des assistants parlementaires locaux, qui n’ont pas d’adresse mail propre au Parlement européen, n’ont pas donné de preuves du travail des assistants pour leurs députés ? Pour l’avocat, le préjudice moral du Parlement se mesure surtout à “tout le mal” qu’on a pu dire de l’institution à la barre du tribunal. Aujourd’hui, c’est le Parquet qui fait son réquisitoire.

Anne-Laure Blouin

 

Crédit photo : Arthur Weidmann

 

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