Mercredi 13 novembre, le Parquet a requis ses peines dans l’affaire des assistants parlementaires du Front national : inéligibilité pour l’ensemble des prévenus avec exécution provisoire, des séjours en prison allant de huit mois à cinq ans et des amendes, celle de la présidente du parti s’élevant jusqu’à 300 000 euros.
Procès des assistants parlementaires du RN : inéligibilité requise contre la candidate à la présidentielle Marine Le Pen
C’était sans doute l’un des moments le plus attendus de ce procès des assistants parlementaires des eurodéputés de l’ancien Front national : la réquisition des peines complémentaires d’inéligibilité. Les procureurs Louise Neyton et Nicolas Barret ont pris leur temps pour exposer leur compréhension du dossier. Un temps qui a fait dire à l’avocat de la mise en cause Jeanne Pavard à la présidente du tribunal à qui il demandait de plaider dans la soirée : “Demandez au parquet d’abréger.” Une “boutade” qui n’a pas fait sourire le procureur, lequel a riposté par une proposition de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité : “Ça va aller vite.” Et sa collègue de demander en réalité une peine de dix mois d’emprisonnement, 15 000 euros d’amende et un an d’inéligibilité pour l’assistante de Jean-François Jalkh, eurodéputé, qu’elle surnomme “Monsieur Élections”, tant il ressort des investigations qu’il était plus affairé par les campagnes du parti que par la vie démocratique européenne. Même réclamation pour les assistants Loup Viallet et Timothée Houssin. Laurent Salles, celui qui n’aimait pas son travail auprès de Louis Alliot, s’en sort avec une amende inférieure de moitié, et l’ambitieux Julien Odoul, avec une peine doublée. Le graphiste Charles Hourcade s’en tire à bon compte avec une réquisition de huit mois de prison, 5 000 euros d’amende et la fameuse peine d’inéligibilité. Celle-ci sera réclamée pour tous et toujours assortie d’une exécution provisoire.
Épée de Damoclès
C’est la personne morale du parti qui écope du plus gros montant requis. Le Parquet a demandé une peine d’amende de 4,3 millions euros, qui correspond au solde positif des comptes du RN. On est bien loin de l’époque où les dettes, de quelque 9 millions d’euros, acculaient le Front national. Il a également enjoint au tribunal de prononcer des peines de 300 000 euros d’amende, cinq ans de prison, dont deux ferme, et l’inéligibilité pour cinq ans à l’encontre de sa présidente Marine Le Pen qui se retrouve sous la menace d’une épée de Damoclès pour la présidence de 2027. Si les juges qui doivent se prononcer sur l’éligibilité d’une candidate en bonne place pour les futures élections et dont le parti a quasi remporté la majorité à l’Assemblée – un événement qui n’est pas advenu grâce à la mobilisation in extremis et quelque peu branlante d’un rempart démocratique – n’occupent pas une position enviable, qu’ils se rassurent. Leur décision relève de “l’enceinte judiciaire” et ils ne sont pas “comptables” des conséquences de leur choix sur la vie politique française, explique le Parquet.
“La justice ne fait que constater.” Et puis le législateur, la voix du peuple, va toujours plus loin en matière de peine d’inéligibilité. Avec la loi Sapin 2, il a rendu obligatoire et automatique la peine complémentaire d’inéligibilité de cinq ans en cas de condamnation pour détournement de fonds publics. Entré en vigueur le 11 décembre 2016, soit vingt jours avant la fin de la période de prévention des faits pour lesquels la députée du Pas-de-Calais est poursuivie, le texte serait applicable. Les commentaires vont déjà bon train à l’extrême droite de l’échiquier politique qui voit dans ce réquisitoire la démonstration éclatante que la justice est politique. Pour Éric Zemmour, qui craint un “gouvernement des juges”, ce n’est pas à la justice de décider qui peut être candidat à la présidentielle. L’ex-ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a twitté quant à lui qu’“il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible et, ainsi, ne puisse pas se présenter devant le suffrage des Français (…) Combattre Madame Le Pen se fait dans les urnes, pas ailleurs”.
Marine Le Pen a trouvé le Parquet “extrêmement outrancier dans ses réclamations”, mais n’est pas surprise de la demande d’inéligibilité. Au micro de TF1, elle assure que la seule chose qui intéressait le Parquet c’était Marine Le Pen et l’objectif de “priver les Français de la capacité de voter pour qui ils souhaitent”. Ce qui l’a interpellée c’est l’aveu de madame la procureure quand elle a dit ne pas avoir suffisamment d’éléments probants sur le contrat de Jean-François Jalkh (“Monsieur Élections”), mais ne pas réclamer la relaxe “parce que ça [lui] ferait trop mal”. Quand un procureur, représentant de la société, est capable de dire ça, il ne faut pas s’étonner de la violence de ses réquisitions, résume l’ancienne avocate. Un avant-goût de l’exposé de la défense qui se tiendra la semaine prochaine.
“Il n’y a pas d’argent magique (…) c’est le contribuable qui paie”
Marine Le Pen s’est indignée de “cette automaticité, qu’[elle] juge contestable, [et qui] pourrait avoir des conséquences extrêmement lourdes. Pas seulement pour moi, mais pour 13 millions d’électeurs”. Les magistrats du Parquet n’ont pas eu à chercher longtemps un contre-argument à cette complainte. “Il n’y a pas d’argent magique (…) c’est le contribuable qui paie”, surtout dans un moment de l’histoire où l’on court après le denier public, “ce bien précieux” qui cristallise les tensions sociales. Ils posent la question : celui qui vole des millions d’euros dans la poche des contribuables doit-il être traité différemment de celui qui en vole 30 dans la poche d’un autre ? C’est aussi pour répondre à ce besoin d’afficher une justice efficace que l’exécution provisoire – celle qui empêcherait donc la leader du Rassemblement national de se présenter aux prochaines présidentielles – “s’impose”. Et ce, dans son cas comme dans celui des autres, dont la situation personnelle a été reprise point par point toute l’après-midi par le Parquet. Ces autres à propos desquels le tribunal devra se demander si les auditions qu’il a menées à leur encontre l’ont rassuré quant à leur capacité à exercer des fonctions électives et à gérer de nouveau des fonds publics.
Un enrichissement partisan inédit
“Comparaison n’est pas raison, mais…” Louis Neyton ne rate pas l’occasion de comparer cette affaire à celle du Modem, jugé un an auparavant et qui s’en est plutôt bien tiré avec la relaxe de son chef François Bayrou. Le détournement global dans ce dossier s’élevait à 293 000 euros, soit quinze fois moins que dans le cas soumis au tribunal cette année, souligne la procureure. Les faits se sont arrêtés sans intervention extérieure et avant le début de la huitième législature du Parlement européen. Rien à voir avec notre affaire qui implique le détournement de plus de 4 millions d’euros et dont les faits, qui se sont intensifiés selon la juge, n’ont cessé que parce que le Parlement européen et la procédure pénale y ont mis “un coup d’arrêt”. D’après son analyse, les cadres du FN, avec leur système centralisé de gestion des enveloppes parlementaires conçu et organisé à la tête du parti, ont pris le Parlement pour leur “vache à lait”. À la clef, un “enrichissement partisan inédit” au préjudice de l’institution européenne, du fonctionnement de la vie démocratique et du citoyen français, et une “atteinte profonde et durable”, qui appellent une “réponse exemplaire”. Pire encore, les procureurs pointent du doigt un parti qui a trouvé dans les fonds du Parlement le moyen de financer le train de vie “confortable” des proches et des alliés des Le Pen. À commencer par la sœur de Marine Le Pen, Yann Maréchal, et son amie et assistante de toujours, Catherine Griset, gratifiées de salaires qui leur permettaient de “militer à plein temps sans se soucier des contingences matérielles”. Une astuce qui a aussi financé le travail du garde du corps de Jean-Marie Le Pen, Thierry Légier, ou celui de sa secrétaire personnelle, Micheline Bruna.
Machine de guerre
Ce vaste système n’a rien d’une production du Parquet, martèle le procureur : il a servi les intérêts personnels de la dynastie Le Pen pour “constituer” et “fidéliser” sa garde politique. Et ce procès aura été le théâtre du mépris de cette garde pour la chose publique et pour l’argent public, “issu de la poche même de leurs électeurs”. Le théâtre de sa résistance aussi. Pas moins de 45 recours ont été soulevés au cours de cette seule procédure. Les mis en cause ont exercé “tous les recours possibles” après avoir opposé un comportement jugé dilatoire par les deux magistrats. Il a fallu lever l’immunité de tous les députés, bien qu’elle ne concerne que leur liberté d’expression, rappelle à deux reprises Nicolas Barret ; il a fallu braver les silences de Julien Odoul ou Thimothée Houssin devant les enquêteurs, le refus de Louis Alliot de se rendre à leur convocation ou la déposition écrite de Marine Le Pen qu’elle a lue aux autorités. Ce qui ôte toute spontanéité à ses propos, qui deviennent au contraire pensés, préconçus, précise le procureur. Et de conclure : “C’est culotté d’évoquer l’ancienneté des faits quand on cherche par tous les moyens à repousser les délais des procédures, la décision de justice et son exécution.” Tout au long de cette journée, les accusateurs n’auront eu de cesse d’insister sur le caractère inédit de ces détournements, sur leur ampleur (ils se chiffrent en millions d’euros), sur leur durée (ils ont traversé trois législatures et se sont étalés sur cent quarante-six mois, soit douze ans). Et surtout leur caractère optimisé et organisé, incarné par une “véritable machine de guerre” pour détourner systématiquement les fonds “jusqu’à la dernière miette”.
Au total, le Parquet a requis contre 26 personnes, personne morale du RN compris. Ce sera dix-huit mois de prison, dont six ferme, 30 000 euros d’amende et trois ans d’inéligibilité pour les eurodéputés de l’époque, Nicolas Bay, Marie-Christine Boutonnet et Louis Aliot. Puis dix-huit mois d’emprisonnement, dont six ferme, 20 000 euros d’amende et deux ans d’inéligibilité pour la fidèle secrétaire de Jean-Marie Le Pen. Les procureurs exigent les mêmes montants pour Yann Maréchal Le Pen et Catherine Griset, à ceci près que le montant de la sanction financière s’élève à 50 000 euros. Pour les comptables Christophe Moreau et Nicolas Crochet, une peine d’interdiction d’exercer leur activité pendant, respectivement, trois et cinq ans est ajoutée. Pour Wallerand de Saint-Just, ancien avocat-directeur du personnel-trésorier du parti, au rôle apparemment central dans ces vastes magouilles, ce sera une amende salée de 200 000 euros, trois ans d’emprisonnement, dont un an ferme, et cinq ans d’inéligibilité. Même tarif pour Bruno Gollnisch, venu là pour savoir “à quelle sauce il allait être mangé”, a-t-il glissé dans la queue pour rentrer dans la salle d’audience.
Anne-Laure Blouin
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