Lundi 7 octobre, au procès des assistants parlementaires du Rassemblement national qui se poursuit au Tribunal correctionnel de Paris, la défense réclame une expertise et Fernand Le Rachinel, député européen à l’époque des faits jugés, dépeint un fonctionnement laxiste au Parlement européen.

“Sur un malentendu ça peut marcher.” Discret clin d’œil au disparu Michel Blanc du Parquet à l’audience du 7 octobre 2024 dans le dossier des assistants parlementaires du Rassemblement national. La magistrate parle bien entendu de la stratégie de défense combative des accusés.

La seconde semaine du procès s’est ouverte avec une attaque ciblée sur quatre tableaux de présentation chiffrés des contrats des assistants parlementaires, ajoutés aux conclusions de la partie civile et communiqués la semaine dernière à la défense. L’avocat de Marine Le Pen, David Dassa-Le Deist, lance l’offensive : il s’agit “d’ouvrir le feu”, explique-t-il tout en s’excusant d’être brutal. Il s’indigne de ce que ces éléments nouveaux, incidents comme on les appelle dans le milieu, admis par le tribunal, élargissent la prévention, quand les débats sur le fond se sont à peine ouverts. Les autres avocats de la défense s’alignent et invoquent pêle-mêle violation des droits de la défense, “insécurité juridique” et “modification substantielle du périmètre de l’accusation” pour l’avocat Rodolphe Bosselut, et aussi détournement de la qualification pénale de l’infraction de conséquence… L’avocat de Bruno Gollnisch émet aussi des doutes quant à la paternité desdits tableaux en pointant les fautes d’orthographe qui les entachent. Mais pourquoi ces tableaux sèment-ils tant de troubles ?

Accusation élargie

Si le ministère public rappelle qu’il ne s’agit là que d’un événement classique dans une procédure à accusés multiples, que c’est également arrivé dans l’affaire du Modem, les conseils du Rassemblement national ont décidé d’en faire leur cheval de bataille en ce 7 octobre. Ou cheval de Troie, qui apporte au dossier de nouveaux contrats qui font passer le préjudice du Parlement européen de plus de 2 millions d’euros à près de 4 millions. Ils considèrent que l’ajout par la partie civile, le parlement européen représenté par Patrick Maisonneuve, des tableaux élargit l’assiette d’accusation et y intègre des contrats dont le parti d’extrême droite aurait déjà été blanchi. Des contrats qui ont fait l’objet d’un non-lieu dans l’ordonnance de renvoi. À en suivre leur logique, on ne peut pas d’un côté affirmer que ces contrats ne contreviennent pas à la loi, et de l’autre s’appuyer dessus pour qualifier une infraction de recel à l’endroit de Marine Le Pen et son père, Jean-Marie. Dans le camp adverse, le parquet rappelle que si les faits ne sont pas poursuivis, ils restent poursuivables et peuvent servir de base aux accusations tenues dans le procès. Et que par-dessus ça, le Tribunal ne fait que son devoir en acceptant de verser les tableaux aux débats : il “doit se prononcer sur l’intégralité des faits”. Sur le banc des accusés, Marine Le Pen, dans sa veste de tailleur rose, lève les bras au ciel. Le parquet réfute le besoin d’une expertise comptable et financière des tableaux demandés par la défense. Ce que l’on retiendra des accusateurs, c’est que les documents font désormais partie des débats, qu’ils pourront être discutés et que l’avocat du Parlement européen Patrick Maisonneuve compte “améliorer” ce projet de conclusion qu’il a communiqué à ses adversaires sans y être obligé.

Ces longues discussions ont laissé place à l’audition de l’ancien député Fernand Le Rachinel. Âgé de 82 ans, il s’est présenté à la barre en lisant une note qu’il avait préparée – il a des “soucis de concentration et de mémoire”. Industriel du secteur de l’imprimerie et homme politique français qui n’a qu’un CAP en poche, Meilleur ouvrier de France, Chevalier de l'ordre national du Mérite – un parcours riche souligne la présidente du tribunal Bénédicte de Perthuis –, il annonce tout de go qu’il n’est pas un délinquant et qu’il est consterné d’être devant le tribunal vingt ans plus tard, lui qui a été l’un des députés les plus assidus. Assidu, il semble l’être à travers les récits de ses fonctions parlementaires de député représentant la Manche (“de Lille au Mont-Saint-Michel”) : rapports, discussions en assemblée plénière… Il a même reçu les félicitations de Hans-Gert Pöttering, président du Parlement européen entre 2007 et 2009. Assidu et loyal. Au sein du RN, avec qui il travaille depuis 1984, soit cinq ans après sa première rencontre avec Jean-Marie Le Pen qui sollicitait ses services d’imprimeur, il investit de sa personne, et son argent, à deux reprises. En 1999, il avance 40 millions de francs au Front national qui avait du mal à payer ses factures d’imprimerie. Pour les élections législatives de 2007, il avait prêté 8 millions d'euros pour les frais de campagne du Front national. Cela s’est soldé par un procès à l’issue duquel le FN a été condamné à rembourser Fernand Rachinel, qui considère l’histoire désormais derrière lui. Il a finalement délaissé le parti en 2008 pour le Parti de la France, un cran plus à droite de celui des Le Pen.

ׅ“ Je ne vois pas ce qu’il y a de comparable avec une entreprise”

 Parce que c’est de l’argent public ?”

Fernand Le Rachinel est un homme assidu, mais peu porté sur l’administratif, de son propre aveu. Quand certains documents défilent sur le mur de la salle d’audience, contrats ou lettre de licenciement, il reconnaît sa signature, mais précise ne pas avoir rempli les cases. Il répète souvent d’ailleurs que si l’on avait mis les personnes dans les bonnes cases, on ne serait pas devant le tribunal aujourd’hui. Façon de dire que si ses assistants parlementaires ne travaillaient pas pour lui, mais que d’autres assistants le faisaient, c’était du pareil au même pour le Parlement européen dont il doute de la réalité du préjudice économique, dès le début de son intervention. “Dans tous les cas, l’argent aurait été versé [par le Parlement européen] même si Jean-Marie Le Pen avait été plus orthodoxe”. Ce qui n'est pas grand chose à côté du préjudice moral qu’il subit du fait de l’association de son nom à cette affaire, lui qui préside le tribunal de commerce de Saint-Lô, un endroit où tout le monde se connaît. Quant à la manière de Jean-Marie Le Pen d'“attribuer” les assistants parlementaires aux députés européens Front national, il ne s’en est pas formalisé à l’époque. C’était un fonctionnement par “pool” – une notion que le Parquet tentera sans grand succès de préciser par ses questions “c’était une organisation à la bonne franquette ?” – et les assistants étaient comme “interchangeables”. L’industriel admet au passage avoir recours à quatre assistants parlementaires alors qu’un aurait suffi. Au cœur des débats se niche la question de savoir si grâce à ce système, le FN rémunérait des membres du parti qui n’étaient pas élus européens ou assistants parlementaires, pendant une période compliquée sur le plan financier. “Vous qui étiez créancier du parti, vous connaissiez l’état de ses finances”, pointe la présidente.

“Je suis le seul député mis en cause pour cette période alors que tout le monde faisait pareil à l’époque.” Les magistrats du siège comme les magistrats du Parquet ont usé de pédagogie pour déceler si l’homme de 82 ans trouvait cela normal qu’un salarié lié par un contrat de travail puisse alors travailler pour le compte d’un autre employeur, en transposant la situation au secteur privé. Un chef d’entreprise comme Fernand Le Rachinel devrait comprendre qu’on n’emploie pas quelqu’un pour le faire travailler pour le compte d’une autre société. Même son avocat qui tenta de l’amener sur le terrain du prêt de main-d’œuvre entre entités d’un groupe pour faire face à un surcroît d’activité, n’y est pas parvenu. ׅ“Je ne vois pas ce qu’il y a de comparable avec une entreprise”, déclare l’ancien député aux juges. “Parce que c’est de l’argent public ?” rétorque la présidente du tac au tac.

“Vous faites des contrats écrits avec des personnes qui ne travaillent pas pour vous et vous ne signez pas de contrats avec celles qui travaillent effectivement pour vous ?”

Fernand Le Rachinel s’entête : “J’insiste sur le fait que le Parlement avait connaissance du système à l’époque.”  Au sujet de l’embauche de Thierry Légier, aussi surnommé le garde du corps de Jean-Marie Le Pen, titulaire d’un contrat de travail d’assistant parlementaire et rémunéré à ce titre plus de 5 000 euros bruts par mois, il reconnaît à maintes remises ne pas avoir décidé de son recrutement (c’était Jean-Marie Le Pen). “N’ayant pas de député français, ce parti n’avait pas d’autres moyens de financement, lâche le Normand avant de faire une confidence étonnante. Il n’a lui-même jamais signé un seul contrat avec les dizaines d’employés qui ont travaillé pour lui dans ses imprimeries. Le Parquet rit jaune : “Vous faites des contrats écrits avec des personnes qui ne travaillent pas pour vous et vous ne signez pas de contrats avec celles qui travaillent effectivement pour vous ?” Il s’accroche à sa principale défense : avant 2009, on pouvait avoir des assistants qui ne travaillaient pas pour le député élu.

L'arme au pilote 

Rien de choquant pour Fernand Le Rachinel à ce que les assistants parlementaires, Micheline Bruna et Thierry Légier, soient aussi respectivement secrétaire particulière et garde du corps de Jean-Marie Le Pen. “Thierry Légier assurait notre sécurité”, se justifie-t-il, convoquant des souvenirs d’agression. Et il l’accompagnait dans ses déplacements quand Jean-Marie Le Pen restait à la maison, comme souvent le soir. “En voyage, il confiait son arme au pilote”, les souvenirs reviennent un peu à cet homme qui se présente comme atteint de Parkinson. Quant à Micheline Bruna, elle affirme avoir travaillé avec Le Rachinel, sans toutefois le voir souvent. Ce n’est d’ailleurs pas lui qui lui confiait son travail quotidien.

Son avocat, qui n’a pas perdu son accent belge, clôture son audition avec des questions-affirmations visant à mettre en exergue le contenu des tâches des assistants parlementaires au service des députés d'extrême-droite : préparation de discours, accueil des groupes de visiteurs au parlement, les formations linguistiques peut-être ? Ah ça oui, Fernand Le Rachinel se souvient d’avoir été envoyé à l’étranger pendant dix ans suivre des stages de langue. Et de conclure pour l’avocat que si l’on ne trouve pas de traces de toutes ces missions dans les dossiers, elles existaient bien.

Anne-Laure Blouin

 

Rappel de l'affaire :

Vingt-sept prévenus vont être jugés par le tribunal correctionnel de Paris pendant les deux prochains mois, depuis le 30 septembre et jusqu’au 27 novembre 2024, pour avoir mis en place ou participé à un “système de détournement” de l’argent versé par l’Union européenne pour l’embauche d’assistants parlementaires, pour financer le parti d’extrême droite. Parmi eux, des noms bien connus de la sphère lepéniste : Wallerand De Saint-Just (trésorier du parti à l’époque de la mise en place du “système”), Bruno Gollnisch (député européen de 1989 à 2019), Marie-Christine Arnautu (eurodéputée de 2014-2019 et membre de la commission des transports et du tourisme dans laquelle a également siégé Fernand Le Rachinel), Louis Aliot (député européen au moment des faits), Nicolas Bay (secrétaire général du parti entre 2014 et 2017), Julien Odoul (eurodéputé et porte-parole du RN) ou encore Thierry Légier (garde du corps des dirigeants successifs du parti). Également mis en cause, l’ancien président du Front national Jean-Marie Le Pen qui n’assiste pas au procès en raison de son état de santé.

L’affaire des assistants parlementaires du Front national a été lancée en 2014 par un courrier anonyme envoyé à l’Office européen de lutte antifraude (l’Olaf) et accusant des députés européens du Front national et de sa présidente de l’époque Marine Le Pen, elle aussi eurodéputée entre 2004 et 2017, d’avoir mis en place des emplois fictifs. L’enquête ouverte par la suite par l’Olaf a donné lieu à un rapport confidentiel d’une trentaine de pages portant sur la situation de douze assistants parlementaires embauchés par Marine Le Pen. Le rapport a été transmis à la justice française qui enquêtait déjà depuis fin 2015 sur des soupçons d’emplois fictifs de l’ex-Front national au Parlement européen. Ces investigations ont conduit à la mise en examen d’une vingtaine de personnes en 2017 et notamment à celle de Marine Le Pen pour “abus de confiance” et “complicité d’abus de confiance”, requalifiée un an plus tard en “détournement de fonds publics”. On la soupçonnait d’avoir rémunéré les services de sa cheffe de cabinet Catherine Griset et de son garde du corps Thierry Légier à l’aide de l’enveloppe allouée par l’Union européenne pour les salaires des assistants des élus européens. Le détournement de fonds publics constitue un délit passible de dix ans d’emprisonnement et d’un million d’euros d’amende, et surtout de dix ans d’inéligibilité. À l’époque de sa mise en examen, l’héritière du Front national avait donné le ton de sa défense désormais qualifiée de politique : “L’autorité judiciaire ne peut s’ériger en arbitre du contenu du travail politique d’un député et de son bien-fondé sauf à violer le principe constitutionnel de la séparation des pouvoirs.”

Elle avait également identifié un “scandale démocratique” et un “coup d’État” lorsque les juges financiers Claire Thépaut et Renaud Van Ruymbeke – qui ont repris l’enquête sur l’affaire des assistants européens en décembre 2017 – avaient ordonné une saisie pénale de 2 millions d’euros au regard de l’endettement du parti et d’un risque de dissipation des sommes. Le Parlement européen a évalué son préjudice à 6,8 millions d’euros. En septembre 2023, Marine Le Pen avait accepté de lui verser la somme de 339 000 euros réclamée pour l’emploi indu de deux collaborateurs. Son avocat Rodolphe Bosselut avait déclaré que “ce paiement avait été effectué pour éviter une exécution forcée d’une décision administrative émanant du Parlement européen, dont le fond est toujours contesté par [Mme Le Pen]. Et de préciser que le paiement ne valait “en aucune façon une reconnaissance explicite ou implicite des prétentions du Parlement européen”. À l’audience du 3 octobre dernier, la fille de Jean-Marie Le Pen avait avancé la nature politique de la direction du Parlement européen qui “n’est pas neutre”. Rappelé que l’administration de l’Union européenne pouvait elle aussi faire des erreurs. Et invité son auditoire à “admettre que [les députés du Front national étaient] la bête noire du Parlement européen : ‘L’idée qu’il puisse y avoir des députés qui s’opposent à cette construction-là de l’Union européenne, c’est quelque chose qui dérange, alors que nous sommes élus pour ça.’”

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