Pour répondre aux défis climatiques, sociaux et de gouvernance, les dirigeants doivent se réinventer et revoir leur manière de communiquer. Dans un essai publié en janvier, Le leader du XXIe siècle : la guerre ne fait que commencer, Camille Fumard, director & special advisor pour les CEO au sein de l’agence de communication européenne JIN, met en lumière les styles de leadership capables, ou non, de faire face à ces problématiques collectives.

Décideurs. Dans votre essai, vous définissez quatre types de leaders. Quels sont-ils ? 

Camille Fumard. Dans mon livre, j’ai tout mis à plat, sans m’appuyer sur des manuels, pour faire ressortir les modèles de leadership qui existent par rapport aux enjeux sociétaux. J'en obtiens quatre. Le leadership polarisé, que l’on connaît très bien, plutôt anglo-saxon, comme celui de Donald Trump ou d’Alexandria Ocasio-Cortez. Dans le monde du business, citons Vivek Ramaswamy, un entrepreneur républicain qui a monté tout un filon sur l’anti-ESG. Ensuite, il y a le leadership de la visée exponentielle, comme celui d’Elon Musk. Je cite le statisticien Nassim Nicholas Taleb qui a écrit un ouvrage sur les cygnes noirs : dans un monde chaotique certains se servent du chaos ambiant ou créent du chaos pour augmenter leur puissance. Dans ce leadership, on ne considère pas trop la planète, ni la société.

Et du côté des plus vertueux ? 

Il y a le leadership de la coalition, comme celui d’Emmanuel Faber lorsqu’il était chez Danone. Il peut être incarné par des entrepreneurs, des patrons de B Corp ou d’entreprises à mission, qui prennent des engagements environnementaux, sociaux et de gouvernance. Ces dirigeants cherchent la puissance du collectif pour avoir un impact positif. Ils savent que, pour être crédibles, ils vont devoir réunir d’autres patrons, des élus, ne pas être solitaires. C’est un leadership en construction et à la mode. Il y a enfin le leadership de la bifurcation, avec peu d’exemples. Nous disposons néanmoins de celui de Patagonia dont le patron a annoncé que son actionnaire était la planète. Si elle est radicale, sa ligne ne l’empêche pas de coopérer avec les politiques pour faire avancer une cause.

"Le patron de Patagonia a annoncé que son actionnaire était la planète"

À quel modèle croyez-vous ?  

Je fais le pari que deux modèles vont se différencier : celui de la visée exponentielle et celui de la bifurcation. Le premier, grâce à la technologie, apportera peut-être des solutions pour l’écologie mais ce n’est pas son combat. Son combat, c’est d’aller sur Mars ou de proposer le Metavers et cela n'ira pas sans creuser les inégalités. La bifurcation est sur le même niveau de rapidité mais elle redéfinit les valeurs de l’entreprise. C’est quelque chose de plus radical. On ne cherche plus le consumérisme mais on pense aux générations futures. 

le leaderVous avancez que l’un des défis du leader du XXIe siècle sera langagier. Pouvez-vous nous expliquer ? 

Les dirigeants font face à une pluralité d’enjeux. Il n’y a plus seulement les critères business qui sont regardés mais également les critères sociaux, de gouvernance et ceux liés au climat. Les dirigeants ont tendance à créer des syntagmes, c’est-à-dire à juxtaposer deux mots. Pourquoi ? Parce que les leaders doivent préempter des sujets qui étaient jusque-là plutôt sociétaux. On parle ainsi de capitalisme responsable, durable ou vert. On pratique l’hyperlaxité en étirant et surchargeant le sens des mots pour parler d’un nouveau concept. C’est une technique très connue en politique que l’on appelle la triangulation du langage. Nicolas Sarkozy, à l’instar de Tony Blair, l’a pratiquée en embarquant dans le lexique de la droite du lexique de la gauche. Sur le court terme, cela donne l’impression d’une réconciliation mais on perd le sens des choses. Je recommande de rationnaliser le langage. De ne pas inventer tous les quatre matins un nouveau concept, d’être juste dans les mots que l’on emploie. 

Vous écrivez que la manière de comptabiliser l’impact d’une entreprise sur le climat pourrait faire avancer la cause. Comment ? 

La comptabilité à impact des entreprises, qui prend en considération les questions scientifiques et donne une valeur monétaire à l’action des entreprises, pourrait leur donner une force de frappe importante. Les investisseurs vont s’appuyer sur des grilles internationales. Le danger avec les critères ESG, c’est de ne pas parler le même langage. En Europe, on s’est beaucoup battus pour la double matérialité (matérialité financière et d’impact). Aux États-Unis, on quadrille des données sur les collaborateurs des entreprises comme celles sur leur couleur de peau. Tout l’enjeu consiste à parler le même langage. C’est un combat macroéconomique, voire systémique. Emmanuel Faber à la tête de l’ISSB, qui élabore les normes extra-financières, a comme priorité d’élaborer ce langage commun.

Propos recueillis par Olivia Vignaud 

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