Eurosceptiques et autres nationalistes devraient réaliser un score historiquement élevé en juin. Mais ils sont si divisés sur des points stratégiques qu’ils sont condamnés à peu peser.

Quel est le point commun entre la France, l’Italie, les Pays-Bas et la Belgique ? Dans ces pays faisant partie des six membres fondateurs de la construction européenne, l’extrême droite eurosceptique fait largement la course en tête. Ce bord politique est également donné gagnant en Autriche ou en Lettonie. En Allemagne, en Suède, en Espagne ou en Roumanie, il devrait également glaner de nombreux sièges. Dans toute l’UE cette mouvance a le vent en poupe. Est-ce suffisant pour bouleverser les équilibres ? Pas sûr.

Une force en pleine croissance…

Selon un sondage mené à l’échelle de l’UE par Ipsos fin mars, le scrutin à venir permettrait aux forces politiques les plus conservatrices de passer de 127 à 157 eurodéputés, soit près d’un quart des sièges du Parlement européen. Ce score qui doublerait par rapport à 2004 permettrait de talonner le PPE (droite classique) qui devrait garder son leadership avec 180 sièges. Ces bons résultats permettraient également de dépasser les socialistes, eux aussi stables avec près de 140 sièges.

Parmi les points communs : hostilité à l'immigration, arrêt de la construction européenne et hostilité aux politiques environnementales

… scindée en deux groupes

"Heureusement" pour ses adversaires, l’extrême droite européenne est scindée en deux groupes. Les conservateurs et réformistes européens (CRE) peuvent compter sur 68 députés issus de 17 partis. Mais, en interne, deux mouvements prennent la moitié des sièges : le PiS polonais (27) et Fratelli d’Italia, mouvement de Giorgia Meloni au pouvoir dans la Botte (10). Autres forces notables, les Espagnols de Vox ou encore les Démocrates de Suède et le parti des Finlandais. Si Reconquête! obtient des députés, c’est ici qu’ils siégeront.

Le second groupe, un peu plus petit en taille, est Identité et Démocratie (ID) avec 59 eurodéputés. Ici les "tauliers" sont la Lega de Matteo Salvini (23), le RN (18) et les Allemands de l’AfD (9). Parmi les autres forces notables, citons les Autrichiens du FPÖ, les Néerlandais du Parti pour la liberté ou les autonomistes flamands du Vlaams Belang.

Certes, tous ces partis ont de nombreux points communs : volonté de stopper l’immigration, arrêt de la construction et de l’intégration européenne, hostilité aux politiques environnementales... Malgré tout, les divergences sont telles qu’ils ne peuvent se regrouper au sein d’un groupe unique.

L'extrême droite scandinave ou polonaise voit Vladimir Poutine comme une menace. Les allemands de l'AFD, les autrichiens du FPO voire le RN sont bien plus conciliants

Face à Poutine, de profondes divisions

Sur la question du conflit entre Ukraine et Russie, les fossés sont béants. Le "mélonisme" au pouvoir en Italie a annoncé la couleur : à fond derrière l’Otan, il faut aider l’Ukraine. Ses partenaires polonais qui voient la Russie comme une menace lui ont emboîté le pas et lancé un ambitieux programme de réarmement lorsqu’ils étaient au pouvoir. En Scandinavie, les Démocrates de Suède et le Parti des Finlandais ont aussi poussé leurs gouvernements respectifs à intégrer l’Otan pour faire face au grand voisin. Si Reconquête! venait à intégrer le groupe, il serait un peu isolé en interne.

Inversement, chez leurs collègues d'ID, le régime russe est davantage en odeur de sainteté. Matteo Salvini ou Marine Le Pen sont d’ailleurs régulièrement épinglés pour leur poutinophilie. Outre-Rhin, l’AfD estime inefficaces les sanctions économiques contre la Russie tandis que des dirigeants autrichiens du FPÖ se sont fait "pincer" pour des activités de collusion avec Moscou.

Cathos tradi et homonationalistes ?

CRE et ID peuvent au moins trouver un point de consensus sur les questions d’immigration ou d’islam. Mais, globalement, l’extrême droite européenne peut se classer en "deux écoles". Côté CRE, la majorité des membres n’hésitent pas à brandir l’étendard chrétien Pour eux, l’Europe est une terre chrétienne, doit le rester, ce qui passe par une politique migratoire stricte, une mise en avant de la religion dans l’espace public et le rejet des politiques sociétales progressistes. Le PiS ne cache pas son hostilité à l’IVG et aux droits des LGBT. Vox, pour sa part, affiche sa nostalgie du franquisme, son rejet du féminisme et sa volonté de rechristianiser l’Espagne. Giorgia Meloni, de son côté, a fait campagne avec pour slogan : "Dieu, Famille, Patrie". S’il obtient des élus, Reconquête! se sentira en famille…

Chez les collègues d’ID, la ligne dominante est plutôt l’homonationalisme. Les grandes lignes de cette idéologie ? L’islam est une menace pour les homosexuels et les femmes libres, seule l’extrême droite est là pour les protéger. Une ligne appliquée à la perfection par le Parti pour la liberté néerlandais dirigé par Geert Wilders, pro LGBT revendiqué. Le RN de Marine Le Pen a mis en sourdine l’homophobie et compte de nombreux responsables LGBT en son sein (les anti-mariage pour tous sont pour la plupart partis chez Éric Zemmour). De même en Allemagne, la vice-présidente du parti Alice Weidel aime expliquer qu’elle s’est engagée en politique pour garantir son mode de vie menacé par l’arrivée massive de migrants en 2015. Elle est en couple avec une femme originaire du Sri Lanka avec qui elle élève deux enfants.

Mais aucun groupe n’est homogène sur ce plan. Au sein d’ID, cette séparation entre identitaires et nationalistes existe. Matteo Salvini fait abondamment référence à la Vierge Marie, aux conservateurs catholiques et n’hésite pas à brandir chapelets et crucifix en public. Au milieu des "grenouilles de bénitier" du CRE, les Démocrates de Suède restent gay friendly.

Parmi l'extrême droite européenne, des lesbiennes assumées et des homosexuels militants militent avec des catholiques traditionnalistes...

Minorité de blocage         

Sur les questions économiques, tout est compliqué également. Certains partis reposent sur un électorat populaire et défendent globalement un état social protecteur et des gouvernements dirigistes. C’est le cas du RN chez ID où la ligne dominante est résolument libérale.

Malgré tout, sur de nombreux sujets, les deux groupes peuvent potentiellement accorder leurs violons. C’est notamment le cas sur l’immigration, le rejet du fédéralisme européen, l’écologie. À eux seuls, ils ne pourront guère faire obstacle au bloc "libéral" et "pro UE" constitué par les socialistes, le PPE, les écologistes ou Renew Europe lesquels sont habitués à s’entendre. Mais, au cas par cas, ils pourraient voter certains textes régaliens avec la droite traditionnelle. Une méthode qui a fait ses preuves dans de nombreux États membres comme l’Autriche, l’Italie ou la Suède.

Lucas Jakubowicz

Photo vignette : de haut en bas et de gauche à droite : Jordan Bardella (RN, France), Giorgia Meloni (FI, Italie), Geert Wilders (PVV, Pays-Bas), Santiago Abascal (Vox, Espagne), Alice Weidel (AfD, Allemagne), Jimmie Akesson (Démocrates de Suède, Suède), Marion Maréchal (Reconquête !, France)

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