Le président de la République semble reproduire la stratégie déployée pendant la crise des Gilets jaunes : laisser le mouvement social se radicaliser puis incarner le retour au calme et à l’ordre. Les sondages qui suivront la journée de mobilisation du 23 mars marquée par des débordements permettront de savoir si cela est payant.

Lorsque la figure d’Emmanuel Macron est apparue sur les écrans de TF1 et de France 2 au journal de 13 heures le 22 mars, les téléspectateurs étaient certains d’une chose : le président de la République ne cédera pas et reformera les retraites malgré l’impopularité de la réforme et la situation sociale tendue. Un pronostic qui s’est révélé exact.

L’anti-Chirac

L’actuel président de la République n’est pas adepte de la méthode Chirac. Face à la rue, ce dernier avait pour habitude de reculer. En 1995, le plan Juppé visant à réformer les retraites et la sécurité sociale conduit à des manifestations de grande ampleur ? Il cède puis dissout l’Assemblée nationale. Rebelote en 2006 avec le CPE. Syndicats et jeunesse s’agitent ? Il s’en tire par une pirouette : ne pas promulguer une loi pourtant votée par le Parlement.

Emmanuel Macron ne cesse de le clamer, il n’est pas fait du même bois. Son interview du 22 mars en est la preuve. Malgré les grèves, l’utilisation du 49.3 et une motion de censure transpartisane qui a failli aboutir, il compte bien aller jusqu’au bout. "Cette réforme est nécessaire, il n’y a pas trente-six solutions", a-t-il asséné aux journalistes Marie-Sophie Lacarrau et Julian Bugier. Si ses prédécesseurs étaient rivés sur les sondages, l’actuel hôte de l’Élysée s’avère même prêt à "endosser l’impopularité". À voir.

En examinant la situation froidement, le président de la République semble esquisser un scénario de sortie de crise réaliste pour certains, machiavélique pour d’autres. Dans tous les cas, le plan de bataille a fait ses preuves durant la crise des Gilets jaunes qui comporte de nombreuses similitudes avec la situation actuelle.

La radicalité au service du centrisme

À l’automne 2018, au début du mouvement, l’opinion publique était globalement favorable aux Gilets jaunes. Ainsi, d’après l’Ifop, début novembre 2018, 51 % de la population déclarait soutenir "tout à fait le mouvement". Le LR Laurent Wauquiez était allé jusqu’à poser avec eux sur un rond-point avec la chasuble symbolique.

Puis, peu à peu, le mouvement s’est durci. Le 1er décembre 2018, la préfecture du Puy-en-Velay a été vandalisée, l’Arc de Triomphe dégradé, les commerces attenants mis à sac. Un mois plus tard, le ministère de Benjamin Griveaux, alors porte-parole du gouvernement, a été pris d’assaut.

Plus un mouvement social se durcit, plus un président peut susciter un réflexe légaliste. Cela a fonctionné durant les Gilets Jaunes et en Mai 68

L’exécutif a-t-il volontairement laissé le mouvement se radicaliser ? A-t-il été débordé ? Impossible de répondre avec certitude à cette question. Mais un fait est à mentionner : plus le mouvement s’est durci, plus l’opinion publique s’est effrayée. Toujours selon l’Ifop, en février 2019, seuls 23 % des Français soutenaient le mouvement.

Emmanuel Macron, en se positionnant comme le gardien de l’ordre, de la stabilité, est parvenu à sortir renforcé de la crise. Il a suscité un réflexe légaliste qui lui a permis de rallier une grande partie des électeurs de droite et des personnes âgées. Si le président candidat a recueilli 40 % des voix chez les plus de 70 ans, les Gilets jaunes y sont pour beaucoup.

Rebelote ?

Le chef de file des Marcheurs semble vouloir appliquer à nouveau la stratégie utilisée l’automne 2018 et l’hiver 2019 : radicaliser le mouvement jusqu’à un ras-le-bol d’une opinion qui se retournerait. Pour le moment, les Français sont hostiles à la réforme. 64 % d’entre eux jugent le report de l’âge légal de départ à la retraite "inacceptable". Parmi eux, de nombreux électeurs de droite ou des sociaux-démocrates attachés à la stabilité. Face à des grèves qui durent, des destructions, des rues jonchées de détritus, ces derniers peuvent tout à fait préférer le retour à la normale à la lutte.

Pour accélérer le processus, Emmanuel Macron a d’ailleurs mis en garde sur une situation qui risque de ressembler à l’attaque du Capitole à Washington ou aux manifestations pro-Bolsonaro à Brasilia : "Quand les États-Unis ont vécu ce qu’ils ont vécu au Capitole, quand le Brésil a vécu ce qu’il a vécu, il faut dire que l’on respecte et que l’on écoute. Mais on ne peut accepter ni les factieux ni les factions."

Pour enfoncer le clou, il a envoyé un double signal : il s’oppose à toute forme de radicalisation et est le garant du retour au calme : "Quand des groupes utilisent l’extrême violence pour agresser des élus de la République, quand ils utilisent la violence sans règle parce qu’ils ne sont plus contents, ce n’est plus la République. On fera en sorte qu’une vie plus normale puisse reprendre."

Fracturer la droite

Comme avec les Gilets jaunes, le président de la République peut ainsi rassurer son socle et les électeurs de droite. Selon l’Ifop, 83 % des sympathisants Renaissance estiment que le gouvernement est « courageux dans ses choix », une proportion qui est de 64 % chez les électeurs LR. Qui à terme préféreront la stabilité macronienne au soutien à des manifestations menées par des élus insoumis et des syndicalistes de la CGT que le temps qui passe radicalisera.

Si Emmanuel Macron apparaît actuellement affaibli, le durcissement du mouvement social pourrait lui servir de planche de salut. Pour cela, il doit réactiver le clivage gauche-droite. Un sacré paradoxe pour celui qui a été élu sur la promesse du "en même temps" et du "ni de gauche ni de droite".

Lucas Jakubowicz

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