Pleinement investis dans le combat contre la réforme des retraites, les députés insoumis sortent pourtant affaiblis de la séquence. La faute à une méthode intransigeante et à des propos agressifs qui masquent un réel travail de fond.

Des insultes, de l’invective, des tensions avec les autres membres de la Nupes ou avec les syndicats. Voilà ce qui vient à l’esprit du grand public lorsque l’on évoque le bilan du groupe LFI à l’issue des débats portant sur la réforme des retraites. Pourtant, pour mettre en échec le projet de loi porté par Élisabeth Borne et Olivier Dussopt, les députés insoumis ont mis en place une stratégie rigoureuse et méthodique largement passée sous les radars.

Capteurs

"Pour s’opposer efficacement, il est nécessaire d’être solide sur le fond, d’adopter une posture d’écoute, de récolte de l’information", théorise Christophe Bex, député de Haute-Garonne qui définit son rôle comme celui de "capteur de la société". La mission de ce militant syndical devenu élu de la République ? Rencontrer les salariés mais aussi les syndicats qui alimentent sa réflexion.

CLouetGO

Même son de cloche du côté d’Hadrien Clouet. Le député toulousain, sociologue spécialiste du chômage dans le civil, fait partie des référents du groupe. "Étant identifié sur le sujet des retraites, je reçois beaucoup de témoignages de salariés de Cnav, d’intellectuels, d’économistes ou de simples citoyens qui possèdent des connaissances pointues et identifient des failles dans le projet qu’un député seul aurait eu du mal à trouver tout seul." Parmi elles, une différence de traitement entre futurs retraités propriétaires et locataires, "ces derniers étant moins bien lotis". Pour parfaire ses connaissances, le trentenaire n’hésite pas à échanger avec des collègues de la majorité ou des interlocuteurs tels que l’Institut de la protection sociale, à la ligne plus libérale. "Ce qui prouve bien que l’image de sectarisme qui nous colle à la peau est infondée", sourit l’élu. Chacun des 74 députés du groupe agissant de la même manière, l’information récoltée est colossale. Reste à la partager.

Grâce à leur travail de terrain, les insoumis ont trouvé des "loups" dans le projet de réforme

Former et informer

Si la majorité peut se reposer sur le "groupe Maillard", les Insoumis se réunissent plusieurs fois par semaine autour, notamment, des chefs de file chargés de la question des retraites : Mathilde Panot, Rachel Kéké, François Ruffin et Hadrien Clouet, lequel adore ce format qui permet de "familiariser" et "former" les collègues, mais aussi de "s’autoformer". Si les participants peuvent poser des questions pour mieux connaître le projet de loi, ils ne se privent pas de transmettre les retours du terrain ou les questions diverses. Les informations recueillies sont évidemment partagées sur les boucles Telegram du groupe. "Mais nous utilisons aussi les réseaux sociaux et WhatsApp pour échanger avec les autres forces de la Nupes afin d’éviter de travailler en silo", souligne Hadrien Clouet élogieux à l’égard de cette structure souple, indépendante des appareils qui "montre que la gauche plurielle est vraiment en action".

Outre les réunions, les boucles Telegram ou WhatsApp qui permettent de partager les informations au jour le jour, le pack LFI peut aussi se reposer sur les travaux de l’Institut La Boétie, think tank proche du mouvement. "C’est un travail remarquable de contre-réforme qui explique en quoi le projet Borne est mortifère, tout en mettant de la profondeur historique", se félicite Christophe Bex qui utilise ces documents pour "mobiliser la rue et le peuple puisque la lutte contre la réforme doit se faire partout". Notamment dans un lieu stratégique trop peu connu : la commission des affaires sociales.

Commission : silence ça bosse

Dans cette pièce, autour de longues tables, les membres peuvent échanger sur des sujets pointus dans une ambiance plus feutrée que dans l’hémicycle. La stratégie adoptée est à des années-lumières de celle du "bruit et de la fureur" mélenchoniste. "Ici les députés LFI sont, il faut le souligner, assidus, travailleurs, connaissent bien leurs dossiers, il est possible d’échanger sereinement avec bon nombre d’entre eux", reconnaît la députée Renaissance de Paris Astrid Panosyan-Bouvet.

"Sur le terrain, on me demande d'y aller cash, comme beaucoup de collègues. Or les habitants que nous représentons ne sont pas illustratifs des Français, il y a un biais"

C’est notamment le cas d’Hadrien Clouet qui utilise ces séances de travail pour évoquer des sujets "pas toujours dans les radars de la majorité, on en parle ça infuse". Autre avantage, recueillir "des informations précieuses partagées par tous les partis". Ce subtil travail de fond permet d’apporter des modifications à un projet de loi qu’il est impossible de bloquer totalement malgré les rodomontades devant les caméras. Plus surprenant encore, dans ce lieu se nouent des relations fraternelles entre députés LR, Renaissance et LFI animés par une volonté commune de collaborer.

Verdict sévère

Et pourtant, malgré les heures passées à se mobiliser, un sentiment de gâchis prédomine. Les débats n’ont pu aller jusqu’au bout. Pire encore, selon un sondage OpinionWay publié dans Les Échos à l’issue de l’examen du texte, 66% jugent l’attitude de LFI dangereuse. Pendant ce temps, le RN n’est qu’à 49 %...

Les Insoumis se sont surpassés dans le rôle "d’opposition musclée" : insultes à l’égard d’Olivier Dussopt traité d’"assassin" par Aurélien Saintoul, de la présidente de l’Assemblée nationale qualifiée "d’agent provocateur", mise en scène par Thomas Portes le pied sur un ballon représentant la tête du ministre du Travail, chant de l’hymne des gilets jaunes à l’intérieur du Palais-Bourbon. Mais aussi rappels au règlement visant à enliser le débat, amendements déposés par milliers, intrusion de Jean-Luc Mélenchon s’en prenant aux alliés de la Nupes "coupables" de vouloir passer directement à l’examen de l’article 7… Tout cela a semble-t-il braqué de nombreux citoyens, parfois de gauche, qui classent désormais LFI comme un parti populiste dangereux pour la démocratie.

"En interne, nous avons eu des échanges assez vifs sur notre méthode. Certains prônent l'opposition frontale, d'autres non, mais aucune ligne commune n'a été décidée "

Aggiornamento ?

Qu’en disent les députés concernés ? Premier enseignement, ils en discutent. "Après les polémiques du ballon de Thomas Portes ou d’Aurélien Saintoul, nous avons eu plusieurs échanges assez vifs sur notre façon de réagir. Certains estiment que l’approche frontale est la bonne, d’autres non. Mais aucune ligne de conduite globale n’a été théorisée", révèle Christophe Bex pour qui LFI marche sur une ligne de crête : "Nous aspirons à gouverner et voulons être responsables mais en même temps, nous sommes pleinement investis, nous portons une charge émotive forte, nous ne sommes pas tous expérimentés." 

Bex

"À cela s’ajoute le fait que l’hémicycle est un théâtre avec du bruit, du bouillonnement, des camarades à notre côté. On peut s’emballer, contrairement à la commission", complète Hadrien Clouet qui relève également un fait sociologique susceptible d’expliquer certaines attitudes : "Nous sommes nombreux à être élus dans des circonscriptions plus jeunes et plus populaires que la moyenne. Dans la mienne, l’âge moyen est de 32 ans par exemple." Conséquence, "sur le terrain, on me demande d’y aller cash comme beaucoup de collègues. Or, les habitants que nous représentons ne sont pas illustratifs de tous les Français, il y a un biais. C’est aussi le cas pour des députés macronistes, d’où l’importance d’échanger au maximum entre nous." De quoi inciter les députés insoumis à mettre de l’eau dans leur vin ? Pas si sûr.

"On nous attaque aussi !"

Car si les députés Renaissance ne sont pas près d’oublier certaines attitudes, il en est de même au sein du groupe présidé par Mathilde Panot. "On nous présente depuis des mois comme des enfants terribles, des antidémocrates, on nous attaque aussi", déplore Christophe Bex qui souffre de voir ses camarades et lui-même traités en permanence de "factieux", "d’islamo-gauchistes", "d’antisémites", "d’anti-républicains". Ces tensions permanentes entre LFI et la majorité ne risquent donc pas de s’atténuer dans les mois à venir. Pour le plus grand bonheur des 88 députés RN silencieux et endimanchés qui comptent les points. Et attendent leur heure sans se fatiguer.

Lucas Jakubowicz

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