Ancien dirigeant d'Unibail-Rodamco-Westfield, Guillaume Poitrinal a cofondé WO2, une entreprise de promotion immobilière qui développe des immeubles de bureaux en bois et bas carbone. Il vient d’inaugurer Arboretum, un projet ambitieux à Nanterre.

Décideurs. Quel est le point de départ du projet Arboretum et en quoi se distingue-t-il de ce qui a été fait jusque-là en matière de construction de bureaux ?

Guillaume Poitrinal. Quand nous avons créé Woodeum il y a onze ans, c’était d’abord une entreprise de promotion immobilière centrée sur le résidentiel bas carbone. Assez vite, avec mon associé Philippe Zivkovic, nous avons fait le constat que les recettes permettant de diviser l’empreinte carbone d’un bâtiment pour les particuliers étaient applicables à l’immobilier de bureaux. Le terrain qui abritait les anciennes papeteries de la Seine était le dernier foncier du Grand La Défense, placé sur l’axe magique qui va du Louvre au Château de Saint-Germain, à 15 minutes de l’Étoile. La seule possibilité urbanistique était d’y développer des bureaux. Nous sommes donc partis sur ce projet un peu hors norme au regard de sa taille (7 bâtiments bas-carbone pour un total de 126 000 m2 sur 9 hectares privés). Nous avons voulu créer un village entier avec restaurants, club de sport, centre de conférences, faire courir une rivière et végétaliser 6,5 hectares. Les bureaux de demain ne seront pas des lieux de production mais des lieux d’échange. On peut produire de partout mais on ne peut pas cocréer, se donner de l’énergie, de la motivation, par écrans interposés. Nous créons des espaces de travail qui sont "mieux qu’à la maison", tant sur le plan de la lumière, que du calme, du sport, de la pause-déjeuner, etc.

À quelles difficultés avez-vous fait face ?

Dès que vous voulez entreprendre dans ce pays, c’est compliqué. Nous avons dû faire face à une multiplicité d’interlocuteurs et de textes législatifs. Ensuite, sur l’angle bas carbone, les normes pompier, acoustiques, isolation, etc. sont établies pour le béton armé. À partir du moment où ce matériau est remplacé par du bois massif lamellé-collé contre-croisé, il faut repasser tous les tests. WO2 est d’abord une entreprise d’ingénieurs. Nous avons développé des modes constructifs pour diviser par deux l’empreinte carbone des bâtiments, sur leur cycle, de la construction à la fin de vie, en passant par l’exploitation. Nous arrivons à construire quasiment tous les types d’architecture jusqu’à 28 mètres de haut pour les bureaux. Les bâtiments en bois sont beaucoup plus faciles à chauffer et à refroidir que ceux en béton car le bois est un isolant, à faible inertie.

Pourquoi le bois a-t-il été abandonné ?

À la sortie de la guerre, la forêt française n’avait pas le visage d’aujourd’hui. Celle des Ardennes avait été détruite et les autres étaient surexploitées pour le bois de chauffage. Les techniques de construction en poteau-poutre (ossature bois) limitaient l’élancement des immeubles en bois à 2 ou 3 étages. Avec le lamellé-collé contre-croisé, on a pu disposer de grands murs et plancher porteurs. Cela permet de construire des immeubles de 6, 7 étages et même jusque 17 étages. Par ailleurs, auparavant, on ne se préoccupait pas de l’aspect écologique. Or les arbres ont une empreinte carbone inversée. Ils capturent du CO2, gardent le carbone et rejettent l’oxygène. Nous sortons l’arbre de la forêt quand il ne grandit plus ou presque et donc qu’il absorbe moins de carbone. Nous préservons le carbone pour la très longue durée, créant un effet de stockage. Dans le même temps, nous diminuons l’usage du béton qui reste un grand émetteur de CO2 à l’échelle mondiale. C’est l’effet de substitution. 

Croyez-vous à l’innovation pour enrayer le réchauffement climatique ?

J’ai écrit un livre à ce sujet : Pour en finir avec l’apocalypse (Stock). Nous n’avons pas d’autres choix que d’être optimistes. C’est le pari de Pascal : si on est pessimiste, on est sûr de finir grillés. Une partie du changement climatique est inéluctable et nous allons devoir vivre avec quelques degrés de plus. Ce qui se joue c’est l’extinction. Des cycles de plus de 10 jours de super canicule (plus de 50 degrés) mèneraient à l’extinction végétale et donc animale. Il faut préparer les villes au réchauffement, mais pour éviter encore pire, il faut compter le CO2 pour le faire disparaître de nos habitudes. Chez WO2, nous mesurons sans cesse les émissions. Nous parions sur la géothermie et le nucléaire. Nous comptons sur les matériaux biosourcés (comme le bois) et ceux issus du recyclage. Nous espérons aussi que du béton ultra-bas-carbone sera rapidement disponible. Beaucoup de réflexes classiques de la promotion immobilières doivent disparaître. Jusqu’à un passé récent, quand on prenait en main un projet, on se précipitait pour tout détruire et envoyer en décharge. Aujourd’hui, il faut penser au réusage : les sanitaires sont systématiquement changés alors qu’on peut les réutiliser indéfiniment.  

"Certains dirigeants ont compris que le siège social était le manifeste environnemental de leur entreprise"

Quelles sont les entreprises qui s’intéressent à vos projets ? Le font-elles par réel sens écologique ?

GRDF déménage son siège chez nous à Saint-Denis et Spie Batignolles à Arboretum. Il s’agit d’entreprises avec des stratégies bas carbone très engagées, qui ont examiné et challengé tous les détails du projet. Leurs dirigeants ont compris que le siège social était le manifeste environnemental des entreprises. Les nouvelles générations veulent pouvoir ouvrir leurs fenêtres, disposer de la liberté de travailler dans différents endroits, pouvoir monter les escaliers, avoir des espaces de détente… Depuis deux ans, l’immobilier de bureau est en berne. Je pense que c’est l’innovation qui va nous sortir de la crise actuelle

Que faire des anciens bâtiments délaissés ?

L’immobilier en Île-de-France est vieillissant. Il ne correspond plus à la demande. De grands complexes de bureaux des années 80 ou 90 sont vides. Mais la demande met en évidence deux pénuries. Celle du logement bien sûr : il y aura des conversions de bureaux en logement ou en hôtel. Mais il y a une deuxième pénurie. Elle concerne le segment des bureaux de dernière génération, ultra-bas-carbone conçus pour répondre à l’enjeu écologique et au défi des nouveaux modes de travail. Pour y remédier, on peut faire du neuf, mais on peut aussi restructurer une partie du stock de bureaux. C’est ce que nous faisons avec la tour CB3 à La Défense. On garde le gros œuvre en béton, et on conduit une rénovation ultra-bas-carbone avec un second œuvre en bois, ou en matériaux recyclés. On ajoute une immense terrasse végétalisée avec un bar, une bibliothèque, un grand atrium-amphithéâtre baigné de lumière naturelle, des escaliers double révolution à la Chambord... Ce sera un autre visage de La Défense. La révolution du bureau est en marche.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

Copyright photo : Jean-Baptiste Guiton

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