À la barre du leader de la transformation urbaine en France, figure incontournable de toute une industrie et modèle d’entreprenariat, Alain Taravella, président fondateur d’Altarea, articule les enseignements de ces derniers mois et détaille sa vision de l’avenir.

Décideurs. Vous avez livré récemment l’opération "Issy Cœur de Ville". Ce nouveau quartier constitue-t-il une bonne réponse aux enjeux actuels ?

Alain Taravella. Absolument. Issy Cœur de Ville reflète parfaitement notre vision de la transformation urbaine et s’impose comme la première ville du quart d’heure. Tous les ingrédients de la ville sont réunis sur un même site : des logements, aux bureaux, des commerces aux animations, en passant par des services publics. Le chauffage ainsi que la production de froid sont basés sur la géothermie et les énergies renouvelables, la végétation y est omniprésente. Nous avons eu l’opportunité, sur un très grand terrain au cœur d’Issy-les-Moulineaux, de concevoir un projet qui agrège toutes les composantes de la ville. C’est probablement le plus gros projet privé en région parisienne. En cela il est comparable à ce qui se fait en Seine-Saint-Denis pour les Jeux olympiques, à la différence près qu’il s’agit d’une opération d’aménagement public qui mélange les promoteurs. C’est une réalisation calquée sur notre vision de la ville de demain. Les opportunités de concevoir un quartier de A à Z sont rares, surtout pour un opérateur privé. Nous "dupliquons" notre vision à Bobigny par exemple, où la situation est plus sensible, et faisons en sorte de rendre la ville "aimable". L’idée consiste à contribuer à ce que cette ville fonctionne mieux, que l’on y retrouve une qualité de vie, et c’est ce qui rend notre métier passionnant. Nous développons une dizaine d’opérations de ce type.

Cette vision inclusive participe-t-elle au volet social de l’urbanisme ?

Nous concevons des projets mixtes qui mélangent logements sociaux et logements libres. Dans le Grand Paris, il faut réussir à bâtir la ville avec une certaine densité et rendre cette densité heureuse. Surélever nous permet de gagner de la place pour créer des espaces verts en rez-de-chaussée. Nous avons la conviction qu’une densité forte implique de construire davantage en conjuguant les besoins des habitants aux exigences économiques et environnementales.

Il nous revient de faire dialoguer économie, écologie et bien-être

Quelle est votre vision de la ville de demain ? 

Verte, intense et la moins carbonée possible. Je crois en la mixité et en la conjugaison du logement, du bureau et du commerce. CNP Assurances a fait ce choix de quitter le quartier de Montparnasse pour s’installer à Issy Cœur de Ville parce que ce nouveau quartier est un morceau de ville.

Comment faites-vous face aux nouvelles réglementations ?  Décideurs MagazineIssy Coeur de Ville (©Abdesslam Mirdass)

Notre activité se révèle de plus en plus compliquée mais je prends la chose différemment : c’est un enjeu formidable. Nous avons l’obligation, vis-à-vis de la loi, et la nécessité, en tant que citoyen, de modifier notre manière de fonctionner, notre façon de construire. On applique la RE2020 au quotidien et, de façon plus ponctuelle, nous anticipons les seuils de la RE2025 et 2028. La même volonté nous anime concernant le décret tertiaire, avec cette envie d’aller plus loin dès maintenant. Les investisseurs se projettent à vingt ou trente ans, il nous paraît donc impératif de répondre dès aujourd’hui aux réglementations futures. Lorsque vous examinez les normes et que vous vous promenez dans Paris, il apparaît que des millions de mètres carrés vont nécessiter une restructuration. C’est un vivier d’activité incroyable et un potentiel  important pour les affaires. En matière de logements, c’est une difficulté supplémentaire. Les coûts de production augmentent, les taux d’intérêt aussi. Malgré tout, il existe un véritable besoin de logements et de bureaux décarbonés. Il nous revient de faire dialoguer économie, écologie et bien-être. Nous ne sommes pas des fabricants de chapeaux dont l’activité peut s’arrêter si les gens cessent d’en porter. Les années 2023 et 2024 vont être un peu plus compliquées mais les perspectives à plus long terme sont bonnes. À nous de gérer la crise et ces temps incertains du mieux possible.

Notre activité génère, par définition, du carbone, elle reste néanmoins indispensable à la société

Et concernant la situation économique actuelle ? 

Si l’activité à court terme est plus difficile, notre volonté à plus long terme demeure inchangée. J’ai l’habitude de comparer ces situations de "crise" à la montagne. En cas de tempête, il faut ralentir, reculer, adapter son rythme. Mais l’objectif reste le même : atteindre le sommet. Prenez les voitures : en deux ans tout le monde s’est mis en ordre de marche pour fabriquer des voitures électriques à horizon 2025. C’était parfaitement inenvisageable à l’époque. Est-ce que la crise a un impact ? Oui. Est-ce qu’elle affecte notre activité et notre vision des besoins de transformation urbaine ? Non.

Qu’en est-il de votre activité en matière de logistique ?  

La population consomme de manière différente. Internet poursuit sa montée en puissance mais les centres commerciaux continuent pourtant de fonctionner. La logistique est parfaitement complémentaire de nos autres activités. Nous poursuivons nos investissements sur la logistique urbaine avec la création récente d’une business unit dédiée. Les politiques prennent des décisions, des positions, et il nous appartient de travailler autour. Ils veulent une ville différente, il va donc nous falloir penser à de nouvelles structures immobilières pour répondre à ces ambitions.

Pourriez-vous revenir sur la publication de votre premier rapport climat ? Quels enseignements en tirez-vous ? 

Plutôt que de parler du rapport, je préfère évoquer notre activité. Cela fait maintenant douze ans que nous œuvrons à la réduction de l’empreinte carbone de nos centres commerciaux. Cet investissement nous a permis de diminuer notre empreinte de 60 % et nous poursuivons l’objectif d’une empreinte 0 carbone à horizon 2030.  Si nos performances relatives sont moins bonnes que les autres, c’est parce que nous avons démarré plus tôt. Nous avons racheté Woodeum dans cette optique et agissons pour le climat de manière significative même si l’acte de construction génère beaucoup de carbone. Nous avons pour ambition de réduire notre empreinte carbone de 37 % par mètre carré d’ici à 2030. Notre activité génère, par définition, du carbone, elle reste néanmoins indispensable à la société. Réduire notre empreinte, oui, mais nous devons continuer à nous développer parce que la ville a besoin de se transformer.  

La ville ne se développe plus en silos

L’achat de Primonial devait engager une forme de diversification. Gestion d’actifs, empreinte allemande, immobilier de santé. Avez-vous abandonné ces objectifs ?  

Pas tous. L’opération ne s’est pas conclue mais nous croyons fondamentalement dans l’activité d’asset management. Cette conviction nous amène à créer, à travers Altarea, notre propre activité de gestion d’actifs. Pour ce qui concerne l’Allemagne comme l’immobilier de santé, ce sont des sujets qui méritent une plus grande réflexion.

La mixité marque t-elle la fin des quartiers d’affaires ?

Je me définis comme un entrepreneur de la ville et la ville accueille de plus en plus de monde. Certains ont vu dans la volonté d’aller vivre dans les villes moyennes, une opportunité. Nous aussi. Mais c’est un fait : les emplois, la culture, l’éducation sont constitutifs des grandes métropoles en général et de Paris en particulier. La ville va continuer de se développer, notamment avec ce nouveau mix bureaux/télétravail. Notre rôle consiste à transformer les immeubles comme les quartiers, à accompagner les changements, pour que les gens viennent dans des lieux où ils ont envie de travailler. Les politiques veulent une ville complète mêlant logements sociaux et logements libres. Il ne faut pas penser les quartiers d’affaires de la même manière, ni concevoir des quartiers entiers de logements sociaux. La ville ne se développe plus en silos. Notre métier fondamental c’est de reconstruire la ville sur la ville en répondant aux différents enjeux de notre époque.

Propos recueillis par Alban Castres

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