Le deal EFH tourne au fiasco. L'activité de l'entreprise ne tient plus qu'à un fil et à la bonne volonté des créanciers.

 

Un scénario initial des plus classiques avec une société texane productrice de gaz et d’électricité, Energy Future Holdings Corporation (EFH), qui conclut le 10 octobre 2007 un LBO composé de deux types de dette : un emprunt bancaire de 19,2 milliards de dollars et l’émission d’obligations high yield pour 16,6 milliards de dollars. Au générique des actionnaires, les plus belles vitrines de l’investissement : KKR, Goldman Sachs Capital Partners, TPG Capital. Et pourtant, ce LBO prometteur termine sur l’une des plus retentissantes faillites du secteur. Depuis le 29 avril, EFH est en effet sous protection du chapter 11, la procédure de sauvegarde américaine. Essoufflée par un endettement passé de treize milliards de dollars à près de cinquante milliards de dollars en sept ans, la société texane est au bord du gouffre. Si les fluctuations du marché de l’énergie sont en cause, cette acquisition qui tourne au fiasco est avant tout le fruit de la bulle spéculative de 2007-2008.

Autopsie d’un deal

« Les marchés du gaz et des matières premières fonctionnent par cycles », souligne Shalini Mahajan, directrice commodities chez Fitch Ratings à New York. Il est donc crucial de « savoir choisir le moment de son investissement », insiste-t-elle. Le prix du gaz est en effet guidé par trois données essentielles : les dynamiques de l’offre et de la demande, le coût marginal de production et celui des énergies concurrentes. Sans oublier le climat en tant que tel qui pèse à court terme sur le prix de l’énergie. Excepté ce dernier aspect, tous les ingrédients étaient réunis pour entraver la réussite de ce LBO dont la structure capitalistique, 8,3 milliards de dollars investis contre 35,8 milliards de dette, a empilé difficultés opérationnelles et financières.

Première difficulté, « le gaz de schiste a nettement affecté le prix du gaz naturel, matière première sur laquelle toute la structure de production EFH reposait », précise l’analyste.

Ensuite, la crise économique mondiale de 2008 a impacté le secteur au même titre que le lent retour à la croissance.

En troisième lieu, « le développement d’énergies renouvelables telles que l’éolien au Texas » est venu mettre son grain de sel dans les mauvais résultats du LBO.

Enfin, la réglementation a porté le coup de grâce à l’opération avec de nouvelles mesures environnementales poussant le colosse de l’énergie à se mettre en conformité avec la loi à raison de frais importants.

Le gaz semble donc avoir été le parfait vecteur d’un retour de flamme. Y a-t-il pour autant le feu au lac ? EFH n’est-il pas trop gros pour disparaître ?

Too big to fail

« L’expression "Too big to fail" a en fait deux acceptions », rappelle l’avocat Bruno Basuyaux d’Herbert Smith Freehills. Originellement, le proverbe renvoie à l’époque où les banques américaines se jugeaient tellement importantes à l’aune de la valeur de leurs actifs qu’il leur était inconcevable de penser qu’un quelconque coup dur puisse affecter leur santé. La dernière crise financière a néanmoins prouvé le contraire, donnant à l’expression le sens interrogatif qu’on lui connaît aujourd’hui : doit-on tout faire pour sauver une banque dite systémique ? Si certaines entités ont été renflouées par leur État respectif, les autorités publiques n’ont pas manqué de faire jurisprudence avec le cas Lehman Brothers.

Le too big to fail peut-il s’appliquer à une entreprise valorisée à quarante-cinq milliards de dollars en 2007 et présentant aujourd’hui une dette de presque cinquante milliards de dollars ?

Jean-Yves Marquet, avocat of counsel chez Simmons & Simmons, reconnaît que « lorsqu’une entreprise doit des millions et a fortiori des milliards à un agent économique, les chances que ce dernier vous appelle au téléphone pour trouver une solution sont en corrélation avec l’addition ! » En France, « la médiatisation d’une affaire qui tourne mal joue un rôle positif pour l’entreprise qui retient l’attention des pouvoirs publics sur le terrain de l’emploi et celle du Ciri sur celui des finances », poursuit le conseil. La position américaine s’est sensiblement inversée ces dernières années. Lehman Brothers, Enron, Chrysler ou encore The Washington Mutual ont dû mettre la clé sous la porte ou se trouver un repreneur privé. Et si le chapitre 11 assouplit les négociations, il ne doit pas faire oublier les possibles divergences d’intérêts entre débiteur et créanciers.

Le salut par les créanciers

Dans le cadre de la procédure suivie par EFH, créanciers seniors et juniors ne sont pas en ordre de marche. Après avoir débattu du lieu d’ouverture de la procédure, les juniors estiment être lésés par la proposition du plan de restructuration qui bénéficierait trop largement aux créanciers de premier rang. Représentant les prêteurs juniors, le trustee a soulevé devant le juge du Delaware un potentiel conflit d’intérêts entre le management et les prêteurs seniors. Ayant eu pour objet de transformer leurs créances de vingt-cinq milliards de dollars en equity dévalué, le procédé aurait débouché sur le contrôle d’un actif stratégique à moindre coût, EIFH, au détriment des autres prêteurs. La guerre fait donc rage. Mais certainement plus pour longtemps. EFH peut en effet recourir au litigation trust pour exécuter son plan de restructuration sans l’accord de tous les créanciers. De plus, les prêteurs se sont récemment engagés à verser 4,5 milliards de dollars au profit d’un des bras armés de la production de gaz de l’entreprise, Texas Competitive Energy Holdings. L’énergie éclaire parfois ses propres tunnels.

La morale : la dette précieuse mais dangereuse

Le refinancement excessif par la dette a quand même de quoi interpeller. Aux États-Unis, en 2012, 369 entreprises ont augmenté leur ratio de dette nette/Ebitda, malgré des bénéfices en baisse pour certaines d’entre elles. Certes la dette est précieuse, mais elle n’est profitable que lorsque son coût est inférieur à la rentabilité qu’elle dégage. Ce principe vaut pour les LBO où l’endettement est particulièrement fort. Jean-Baptiste Wautier, managing partner chez BC Partners, précise que le « ratio de debt/equity est passé de 50/50 en 2010-2011 à 70/30 aujourd’hui alors qu’il était de 80/20 avant la crise financière ». 80/20 ? C’est presque le ratio du deal EFH, à quelques milliards près. Avec 49,7 milliards de dollars de dette inscrits à la procédure du chapter 11, qui de l’effet de levier ou de l’effet de massue a eu le dernier mot ? Le soldat EFH semble en tout cas éprouver de sérieux maux de tête…

@ Firmin Sylla

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