Par Valérie Ravit, avocat associé, et Delphine Hauguel, avocat. BOPS
Actualité de la responsabilité environnementale
La responsabilité environnementale pourrait bientôt connaître de profonds bouleversements, avec d’une part l’introduction dans le Code civil de la notion de préjudice écologique, et d’autre part l’application d’une nomenclature des préjudices environnementaux. Si ces initiatives sont louables, leur mise en œuvre suscite de nombreuses interrogations, voire des inquiétudes.
Une proposition de loi a été déposée au Sénat le 23?mai pour insérer un nouvel article?1382-1 dans le Code civil, qui disposerait que «?tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à l'environnement, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La réparation du dommage à l'environnement s'effectue prioritairement en nature?».
L’introduction du préjudice écologique dans le Code civil ?
Cette proposition ne résout que partiellement la question de principe posée par la réparation du préjudice écologique pur, consistant dans l’atteinte portée à l’environnement lui-même indépendamment des répercussions sur les personnes et sur les biens : l’existence d’un dommage ne suffit pas pour ouvrir droit à réparation, il doit en outre affecter une personne ou son patrimoine pour caractériser un préjudice indemnisable au sens du droit civil. Or, l’atteinte portée à l’environnement lui-même affecte l’humanité dans sa globalité, et non chaque individu pris séparément. Le caractère personnel du préjudice écologique pur fait donc difficulté. En consacrant la notion de manière abstraite sans définir précisément les personnes ayant droit à réparation, cette proposition ouvre la voie à la multiplication des demandes au titre d’un même préjudice écologique. Si le principe est louable, il porte atteinte au principe de réparation intégrale, d’autant que la proposition de loi laisse la possibilité d’une indemnisation par équivalent. Ensuite, cette proposition de loi soulève des difficultés quant à son articulation avec la loi du 1er?août 2008 sur la responsabilité environnementale (dite LRE, insérée aux articles L.160-1 et s. du Code de l’environnement, issue de la transposition de la directive européenne éponyme du 21?avril 2004). La LRE consacre un juste équilibre entre le principe pollueur-payeur et le principe de proportionnalité, fondé sur la notion de coûts raisonnables pour l’exploitant et sur la pratique des bilans coûts/avantages. Elle propose des solutions adaptées aux spécificités des dommages à l’environnement : une réparation en nature, dont le caractère complet ne peut être contesté et dont la mise en œuvre concrète est confiée au préfet, qui dispose déjà de larges pouvoirs, et partant, d’une expérience certaine dans le traitement des pollutions. La proposition de loi, quant à elle, méconnaît totalement la réalité technique et économique, sans pour autant garantir que la protection de l’environnement s’en trouvera renforcée puisqu’il n’existe aucune obligation de remploi des indemnités versées. Elle permettrait à tout juge civil, quelle que soit la gravité de la pollution puisqu’elle ne prévoit aucun seuil de déclenchement (contrairement à la LRE), d’ordonner des mesures sans commune proportion avec le risque réellement créé.
La mise en œuvre d’une nomenclature des préjudices ?
Parallèlement, partant du principe que la consécration du préjudice écologique pur serait acquise, un groupe de travail s’est réuni sous l’égide des professeurs Neyret et Martin afin de proposer une nomenclature des préjudices environnementaux (Nomenclature des préjudices environnementaux, sous la direction de Laurent Neyret et Gilles J. Martin, LGDJ, avril?2012). L’objectif affiché de cette nomenclature est de mettre un terme à l’insécurité juridique en proposant une «?grille de lecture?» qui aurait vocation à éviter les risques de redondances et de vides indemnitaires, dans le respect du principe de réparation intégrale. L’architecture générale de cette nomenclature (voir tableau ci-dessous) repose sur la distinction entre les préjudices causés à l’environnement et les préjudices causés à l’homme, qui sont eux-mêmes distingués selon qu’ils sont collectifs ou individuels. Si cette entreprise de rationalisation est certainement nécessaire, elle est sans doute prématurée, tant que les questions de principe soulevées par le préjudice écologique pur n’auront pas été réglées. Il n’est pas possible de déterminer ce que l’on va indemniser sans avoir préalablement résolu les questions du pourquoi, du comment et du qui. Le succès de la Nomenclature Dintilhac s’explique précisément par sa légitimité tirée de plus de vingt ans de retour d’expérience sur les problématiques tant théoriques que pratiques soulevées par l’indemnisation du préjudice corporel. Par ailleurs, cette nomenclature ne résout en rien le risque d’indemnisations multiples. Il existe par exemple un risque de redondance entre les divers postes «?Atteintes à l'environnement?» et le poste «?Coûts exposés?», qui correspondent aux mesures de réparation primaire, complémentaire et compensatoire prévues par la LRE. Or, si de telles mesures sont mises en œuvre, elles feront disparaître les «?atteintes à l'environnement?». Accorder une indemnité au titre de ces deux postes reviendrait alors à indemniser sur le seul constat d'une atteinte, quand bien même celle-ci aurait disparu, et conduirait donc à une indemnisation-sanction. Un autre sujet d’inquiétude concerne les «?atteintes à l’air et à l’atmosphère?», qui ont précisément été exclues de la LRE en raison des difficultés spécifiques qu’elles soulèvent : outre les problématiques propres à la couche d’ozone, comment démontrer l’imputabilité de la pollution à l’activité d’un exploitant et comment
y remédier autrement que par une réparation par équivalent ? Finalement, le seul point de satisfaction qui résulte de cette nomenclature concerne le préjudice moral, qui avait été quelque peu dévoyé – pour les besoins de la cause – par les juridictions et qui retrouve ainsi sa véritable vocation. La portée de cette nomenclature est pour l’heure toute relative et dépendra de la réponse normative qui y sera donnée. Compte tenu de l’engouement que suscite la responsabilité environnementale, il y a donc tout lieu de penser qu'elle existera.
Une proposition de loi a été déposée au Sénat le 23?mai pour insérer un nouvel article?1382-1 dans le Code civil, qui disposerait que «?tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à l'environnement, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La réparation du dommage à l'environnement s'effectue prioritairement en nature?».
L’introduction du préjudice écologique dans le Code civil ?
Cette proposition ne résout que partiellement la question de principe posée par la réparation du préjudice écologique pur, consistant dans l’atteinte portée à l’environnement lui-même indépendamment des répercussions sur les personnes et sur les biens : l’existence d’un dommage ne suffit pas pour ouvrir droit à réparation, il doit en outre affecter une personne ou son patrimoine pour caractériser un préjudice indemnisable au sens du droit civil. Or, l’atteinte portée à l’environnement lui-même affecte l’humanité dans sa globalité, et non chaque individu pris séparément. Le caractère personnel du préjudice écologique pur fait donc difficulté. En consacrant la notion de manière abstraite sans définir précisément les personnes ayant droit à réparation, cette proposition ouvre la voie à la multiplication des demandes au titre d’un même préjudice écologique. Si le principe est louable, il porte atteinte au principe de réparation intégrale, d’autant que la proposition de loi laisse la possibilité d’une indemnisation par équivalent. Ensuite, cette proposition de loi soulève des difficultés quant à son articulation avec la loi du 1er?août 2008 sur la responsabilité environnementale (dite LRE, insérée aux articles L.160-1 et s. du Code de l’environnement, issue de la transposition de la directive européenne éponyme du 21?avril 2004). La LRE consacre un juste équilibre entre le principe pollueur-payeur et le principe de proportionnalité, fondé sur la notion de coûts raisonnables pour l’exploitant et sur la pratique des bilans coûts/avantages. Elle propose des solutions adaptées aux spécificités des dommages à l’environnement : une réparation en nature, dont le caractère complet ne peut être contesté et dont la mise en œuvre concrète est confiée au préfet, qui dispose déjà de larges pouvoirs, et partant, d’une expérience certaine dans le traitement des pollutions. La proposition de loi, quant à elle, méconnaît totalement la réalité technique et économique, sans pour autant garantir que la protection de l’environnement s’en trouvera renforcée puisqu’il n’existe aucune obligation de remploi des indemnités versées. Elle permettrait à tout juge civil, quelle que soit la gravité de la pollution puisqu’elle ne prévoit aucun seuil de déclenchement (contrairement à la LRE), d’ordonner des mesures sans commune proportion avec le risque réellement créé.
La mise en œuvre d’une nomenclature des préjudices ?
Parallèlement, partant du principe que la consécration du préjudice écologique pur serait acquise, un groupe de travail s’est réuni sous l’égide des professeurs Neyret et Martin afin de proposer une nomenclature des préjudices environnementaux (Nomenclature des préjudices environnementaux, sous la direction de Laurent Neyret et Gilles J. Martin, LGDJ, avril?2012). L’objectif affiché de cette nomenclature est de mettre un terme à l’insécurité juridique en proposant une «?grille de lecture?» qui aurait vocation à éviter les risques de redondances et de vides indemnitaires, dans le respect du principe de réparation intégrale. L’architecture générale de cette nomenclature (voir tableau ci-dessous) repose sur la distinction entre les préjudices causés à l’environnement et les préjudices causés à l’homme, qui sont eux-mêmes distingués selon qu’ils sont collectifs ou individuels. Si cette entreprise de rationalisation est certainement nécessaire, elle est sans doute prématurée, tant que les questions de principe soulevées par le préjudice écologique pur n’auront pas été réglées. Il n’est pas possible de déterminer ce que l’on va indemniser sans avoir préalablement résolu les questions du pourquoi, du comment et du qui. Le succès de la Nomenclature Dintilhac s’explique précisément par sa légitimité tirée de plus de vingt ans de retour d’expérience sur les problématiques tant théoriques que pratiques soulevées par l’indemnisation du préjudice corporel. Par ailleurs, cette nomenclature ne résout en rien le risque d’indemnisations multiples. Il existe par exemple un risque de redondance entre les divers postes «?Atteintes à l'environnement?» et le poste «?Coûts exposés?», qui correspondent aux mesures de réparation primaire, complémentaire et compensatoire prévues par la LRE. Or, si de telles mesures sont mises en œuvre, elles feront disparaître les «?atteintes à l'environnement?». Accorder une indemnité au titre de ces deux postes reviendrait alors à indemniser sur le seul constat d'une atteinte, quand bien même celle-ci aurait disparu, et conduirait donc à une indemnisation-sanction. Un autre sujet d’inquiétude concerne les «?atteintes à l’air et à l’atmosphère?», qui ont précisément été exclues de la LRE en raison des difficultés spécifiques qu’elles soulèvent : outre les problématiques propres à la couche d’ozone, comment démontrer l’imputabilité de la pollution à l’activité d’un exploitant et comment
y remédier autrement que par une réparation par équivalent ? Finalement, le seul point de satisfaction qui résulte de cette nomenclature concerne le préjudice moral, qui avait été quelque peu dévoyé – pour les besoins de la cause – par les juridictions et qui retrouve ainsi sa véritable vocation. La portée de cette nomenclature est pour l’heure toute relative et dépendra de la réponse normative qui y sera donnée. Compte tenu de l’engouement que suscite la responsabilité environnementale, il y a donc tout lieu de penser qu'elle existera.