Par Stéphanie Gandet, avocat associé, et Yann Borrel, avocat. Green Law
La métamorphose juridique du déchet
Le gouvernement s’est donné pour objectif d’assurer la transition de notre société vers «?une économie circulaire?». Ce modèle propose de rompre avec «?l’économie linéaire?», dont l’inéluctable issue est l’enfouissement. Le droit des déchets accompagne cette évolution en se métamorphosant.
À la suite de la Conférence environnementale en septembre 2013, le gouvernement a annoncé son objectif d’assurer la transition de notre société vers une «?économie circulaire?». Ce nouveau modèle, qui est également promu au niveau de l’Union européenne, propose d’intervenir à tous les stades du cycle de vie du produit afin de favoriser sa réutilisation et si cela n’est plus possible, son recyclage. Le droit des déchets accompagne cette évolution en se métamorphosant (I). La transition vers «?l’économie circulaire?» n’en est toutefois qu’à ses débuts et l’enfouissement des déchets apparaît, à maints égards, encore inévitable. Dans ce contexte, on observe depuis plusieurs années un renforcement de la réglementation des centres de stockage en vue de réduire les conséquences défavorables qu’ils pourraient avoir sur l’environnement et la santé humaine (II).
Déchets : de la défection à la réutilisation
Le déchet est aujourd’hui défini comme étant tout bien meuble dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention de se défaire. Dans le cadre de l’approche de «?l’économie circulaire?» (1), le déchet n’est plus seulement perçu comme étant une source de pollution potentielle, mais aussi comme une valeur positive potentielle qu’il appartient aux États de gérer de manière optimale. Cette métamorphose ne peut réussir sans la mise en place de nouveaux instruments juridiques efficients.
Cette mise en place se fait par touches successives, au fil des modifications apportées aux différents textes relatifs aux déchets. À cet égard, le corpus juridique communautaire sur les déchets consacre déjà plusieurs principes et instruments qui visent tant à diminuer l’utilisation des ressources qu’à réduire à un minimum les incidences négatives des déchets sur l’environnement et la santé humaine.
La directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets peut être regardée comme constituant la clef de voûte de cet édifice. Elle établit une «?hiérarchie des déchets?», dont il ressort que la prévention devrait être la priorité première de la gestion des déchets. Par ailleurs, le réemploi et le recyclage devraient être préférés à la valorisation énergétique et l’élimination devrait intervenir en dernier recours. En vue de favoriser le réemploi, la prévention ou encore le recyclage, elle prévoit différents instruments : plans de prévention des déchets, régime de fin du statut de déchet ou encore régime de responsabilité élargie des producteurs.
Au demeurant, des instruments sectoriels sont progressivement introduits dans les actes législatifs régissant des flux de déchets spécifiques. À titre d’exemple, la directive 2012/19/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relative aux déchets d’équipements électrique et électroniques (DEEE) prévoit que les États membres encouragent l’éco-conception ou encore prennent des mesures appropriées pour assurer la collecte séparée des DEEE. En vue de renforcer à nouveau les objectifs en matière de réemploi et de prévention, la Commission européenne a annoncé la révision prochaine de la directive-cadre.
Naturellement, le Parlement doit intégrer ces nouveaux instruments dans le droit national. Alors que l’intégration du régime de la fin du statut de déchet dans le code de l’environnement est encore toute récente (2), le Parlement s’attelle à la refonte des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP), et à la consolidation d’une filière REP pneumatiques à la suite de l’introduction de plusieurs amendements dans le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire (3).
Installations de stockage de déchets : la réglementation se renforce
En dépit des efforts déployés vers une politique du «?zéro déchet?», l’enfouissement des déchets apparaît, à plusieurs égards, inévitable. Dans ce contexte, la démarche consiste à renforcer la réglementation des exutoires afin de réduire les impacts négatifs qu’ils pourraient avoir sur l’environnement et la santé humaine.
Cette démarche s’est notamment traduite au niveau du droit communautaire par l’adoption de la directive 99/31/CE du Conseil du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge. Dans l’Hexagone, elle s’est tout particulièrement concrétisée par une refonte du classement administratif des activités de traitement de déchets non plus en fonction de la provenance des déchets, mais en fonction de leur nature et de leur dangerosité, en cohérence avec l’importance des dangers et inconvénients générés par leurs traitements. Aujourd’hui, elle se manifeste encore par la publication d’un projet de décret visant à intégrer les installations de stockage de déchets inertes (ISDI), qui font aujourd’hui l’objet d’un régime ad hoc (4)dans la police des installations classées, en vue de renforcer le contrôle de ces installations (5). Si le décret est approuvé en l’état, on peut néanmoins s’interroger sur sa conformité au fondement légal des ISDI.
De la réutilisation des déchets à la régénération des friches industrielles, il n’y avait qu’un pas à franchir. C’est chose faite, avec la mise en place progressive du régime des sites et sols pollués à laquelle on assiste aujourd’hui (6). En effet, l’instauration du régime des sols pollués vise notamment à permettre le recyclage maîtrisé d’anciennes friches (7) et (8). Or, le recyclage des sols pollués concourt à la satisfaction des objectifs poursuivis par «?l’économie circulaire?», dans la mesure où il permet d’éviter le gaspillage des ressources (foncières) disponibles tout en cherchant à protéger l’environnement. Reste à savoir si, en la matière, le mieux n’est pas l’ennemi du bien.
1 - V. à ce sujet : http://www.institut-economie-circulaire.fr
2 - ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 ; décret n° 2012-602 du 30 avril 2012
3 -V. à ce sujet : projet de loi adopté par le Sénat le 4 juin 2014.
4 - art. L. 541-30-1 et suivants du code de l’environnement et décret n°2006-302 du 15 mars 2006 pris pour l'application de l'article L. 541-30-1 du code de l'environnement relatif aux installations de stockage de déchets inertes.
5 - V. à ce sujet : communiqué du ministère de l’Ecologie en date du 25 avril 2014.
6 - art. L. 556-1 et s du code de l’environnement
7 - industrielles (V. à ce sujet : Amdt n° 62 rect. bis, projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové)
8 - et non plus seulement à trouver un responsable pour leur élimination (notamment en l’absence de producteur ou détenteur connu : CE, 25 septembre 2013 Sté G, n° 358923, qui juge sur le fondement de la police des déchets que dans cette hypothèse, le propriétaire du terrain, siège de la pollution, pourra être qualifié de détenteur desdits déchets et être responsable de leur élimination en cas de négligence
À la suite de la Conférence environnementale en septembre 2013, le gouvernement a annoncé son objectif d’assurer la transition de notre société vers une «?économie circulaire?». Ce nouveau modèle, qui est également promu au niveau de l’Union européenne, propose d’intervenir à tous les stades du cycle de vie du produit afin de favoriser sa réutilisation et si cela n’est plus possible, son recyclage. Le droit des déchets accompagne cette évolution en se métamorphosant (I). La transition vers «?l’économie circulaire?» n’en est toutefois qu’à ses débuts et l’enfouissement des déchets apparaît, à maints égards, encore inévitable. Dans ce contexte, on observe depuis plusieurs années un renforcement de la réglementation des centres de stockage en vue de réduire les conséquences défavorables qu’ils pourraient avoir sur l’environnement et la santé humaine (II).
Déchets : de la défection à la réutilisation
Le déchet est aujourd’hui défini comme étant tout bien meuble dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention de se défaire. Dans le cadre de l’approche de «?l’économie circulaire?» (1), le déchet n’est plus seulement perçu comme étant une source de pollution potentielle, mais aussi comme une valeur positive potentielle qu’il appartient aux États de gérer de manière optimale. Cette métamorphose ne peut réussir sans la mise en place de nouveaux instruments juridiques efficients.
Cette mise en place se fait par touches successives, au fil des modifications apportées aux différents textes relatifs aux déchets. À cet égard, le corpus juridique communautaire sur les déchets consacre déjà plusieurs principes et instruments qui visent tant à diminuer l’utilisation des ressources qu’à réduire à un minimum les incidences négatives des déchets sur l’environnement et la santé humaine.
La directive 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets peut être regardée comme constituant la clef de voûte de cet édifice. Elle établit une «?hiérarchie des déchets?», dont il ressort que la prévention devrait être la priorité première de la gestion des déchets. Par ailleurs, le réemploi et le recyclage devraient être préférés à la valorisation énergétique et l’élimination devrait intervenir en dernier recours. En vue de favoriser le réemploi, la prévention ou encore le recyclage, elle prévoit différents instruments : plans de prévention des déchets, régime de fin du statut de déchet ou encore régime de responsabilité élargie des producteurs.
Au demeurant, des instruments sectoriels sont progressivement introduits dans les actes législatifs régissant des flux de déchets spécifiques. À titre d’exemple, la directive 2012/19/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relative aux déchets d’équipements électrique et électroniques (DEEE) prévoit que les États membres encouragent l’éco-conception ou encore prennent des mesures appropriées pour assurer la collecte séparée des DEEE. En vue de renforcer à nouveau les objectifs en matière de réemploi et de prévention, la Commission européenne a annoncé la révision prochaine de la directive-cadre.
Naturellement, le Parlement doit intégrer ces nouveaux instruments dans le droit national. Alors que l’intégration du régime de la fin du statut de déchet dans le code de l’environnement est encore toute récente (2), le Parlement s’attelle à la refonte des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP), et à la consolidation d’une filière REP pneumatiques à la suite de l’introduction de plusieurs amendements dans le projet de loi sur l’économie sociale et solidaire (3).
Installations de stockage de déchets : la réglementation se renforce
En dépit des efforts déployés vers une politique du «?zéro déchet?», l’enfouissement des déchets apparaît, à plusieurs égards, inévitable. Dans ce contexte, la démarche consiste à renforcer la réglementation des exutoires afin de réduire les impacts négatifs qu’ils pourraient avoir sur l’environnement et la santé humaine.
Cette démarche s’est notamment traduite au niveau du droit communautaire par l’adoption de la directive 99/31/CE du Conseil du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge. Dans l’Hexagone, elle s’est tout particulièrement concrétisée par une refonte du classement administratif des activités de traitement de déchets non plus en fonction de la provenance des déchets, mais en fonction de leur nature et de leur dangerosité, en cohérence avec l’importance des dangers et inconvénients générés par leurs traitements. Aujourd’hui, elle se manifeste encore par la publication d’un projet de décret visant à intégrer les installations de stockage de déchets inertes (ISDI), qui font aujourd’hui l’objet d’un régime ad hoc (4)dans la police des installations classées, en vue de renforcer le contrôle de ces installations (5). Si le décret est approuvé en l’état, on peut néanmoins s’interroger sur sa conformité au fondement légal des ISDI.
De la réutilisation des déchets à la régénération des friches industrielles, il n’y avait qu’un pas à franchir. C’est chose faite, avec la mise en place progressive du régime des sites et sols pollués à laquelle on assiste aujourd’hui (6). En effet, l’instauration du régime des sols pollués vise notamment à permettre le recyclage maîtrisé d’anciennes friches (7) et (8). Or, le recyclage des sols pollués concourt à la satisfaction des objectifs poursuivis par «?l’économie circulaire?», dans la mesure où il permet d’éviter le gaspillage des ressources (foncières) disponibles tout en cherchant à protéger l’environnement. Reste à savoir si, en la matière, le mieux n’est pas l’ennemi du bien.
1 - V. à ce sujet : http://www.institut-economie-circulaire.fr
2 - ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010 ; décret n° 2012-602 du 30 avril 2012
3 -V. à ce sujet : projet de loi adopté par le Sénat le 4 juin 2014.
4 - art. L. 541-30-1 et suivants du code de l’environnement et décret n°2006-302 du 15 mars 2006 pris pour l'application de l'article L. 541-30-1 du code de l'environnement relatif aux installations de stockage de déchets inertes.
5 - V. à ce sujet : communiqué du ministère de l’Ecologie en date du 25 avril 2014.
6 - art. L. 556-1 et s du code de l’environnement
7 - industrielles (V. à ce sujet : Amdt n° 62 rect. bis, projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové)
8 - et non plus seulement à trouver un responsable pour leur élimination (notamment en l’absence de producteur ou détenteur connu : CE, 25 septembre 2013 Sté G, n° 358923, qui juge sur le fondement de la police des déchets que dans cette hypothèse, le propriétaire du terrain, siège de la pollution, pourra être qualifié de détenteur desdits déchets et être responsable de leur élimination en cas de négligence