Par Carl Enckell, avocat associé. Enckell Avocats
La filière des énergies renouvelables est identifiée depuis plusieurs années comme stratégique pour la croissance verte. D’autres secteurs disposent cependant également d’un fort potentiel et représentent une opportunité pour réduire l’impact environnemental des opérations d’aménagement. Il s’agit notamment de toutes les innovations apportées au traitement des déchets pour en faire des ressources sous forme de nouvelles matières premières.

Les filières de la valorisation des déchets bénéficient désormais d’un cadre juridique incitatif allant jusqu'à la sortie de statut de déchet (end-of-waste), sans recourir à des aides publiques.
Illustration avec le projet de super-métro du Grand Paris Express ; une opération d’envergure destinée à transformer Paris en grande métropole du XXIe?siècle : que va-t-on faire des 20 à 30?millions de tonnes de déblais générées par le chantier ? Les contraintes environnementales, juridiques et économiques impliquent-elles de supporter leur enfouissement ou une solution de valorisation est-elle envisageable en toute sécurité ?

Enjeux des travaux du Grand Paris Express
La gestion des déblais de chantier Grand Paris Express (GPE) représente un enjeu majeur, d’après l’Autorité environnementale chargée d’évaluer les impacts du projet. En effet, on estime à plus de 15?millions de m3 le volume des déblais généré par les 160?km du tracé (soit environ 30?millions de tonnes). Ces quantités représentent «?plusieurs centaines de milliers de chargements de poids lourd en milieu urbain dense, sur des distances qui peuvent être importantes?» selon l’avis de l’Autorité Environnementale du 10?juillet 2013. Ces déblais seront composés de terres mais aussi des matériaux de déconstruction des bâtiments et travaux publics (BTP).
À chaque fois, les flux peuvent être lourds de conséquence sur le plan environnemental et économique (coût de transport et de traitement des matériaux). Il faut ajouter à cela un épuisement structurel des capacités annuelles de stockage des déblais dans les Installations de Stockage des Déchets Inertes (ISDI) d’Ile-de-France.
Pour répondre à cet enjeu, la Société du Grand Paris a mis en place un schéma global d’évacuation des déblais destiné à anticiper les besoins de transport (notamment fluvial) mais aussi à identifier des sites de traitement (stockage ou valorisation).
Une analyse juridique prospective permet en effet d’envisager la situation sous un autre angle que celui de la simple élimination des déchets et d’optimiser les charges – environnementales et économiques – de l’opération. En effet, l’Ile-de-France consomme chaque année de l’ordre de 30?millions de tonnes de matériaux naturels (granulats) et connaît un important déficit d’approvisionnement. Pour répondre aux besoins d’aménagements spécifiquement générés par les travaux du Grand Paris, la consommation de granulats pourrait même passer à 35?millions de tonnes par an, ce qui représenterait un déficit régional de matériaux naturels de 17?millions de tonnes par an.
Le territoire se trouverait donc en situation paradoxale de devoir évacuer plusieurs millions de tonnes de déblais de chantier tout en important par ailleurs plusieurs millions de tonnes de matériaux naturels pour ses besoins d’aménagement. Le nouveau cadre juridique applicable au recyclage des déchets inertes permet justement de passer d’une logique d’impact à une logique de valorisation environnementale.

Un nouveau cadre juridique pour le recyclage des déchets
Depuis l’ordonnance du 17?décembre 2010, la France a intégré dans son droit national la directive cadre sur les «?Déchets?» n°?2008/98/CE du 19?novembre 2008. En particulier, le recyclage des déchets inertes issus de chantiers des bâtiments et travaux publics (BTP) est désormais juridiquement encadré mais également quasiment obligatoire, ce qui entraîne des conséquences pour les collectivités publiques et les opérateurs privés.
En effet, selon le nouveau dispositif, chaque État membre de l’Union européenne doit atteindre un objectif de 70?% de recyclage des déchets du BTP à l’horizon 2020 (article?11 §2 de la directive 2008/98/CE). Cet objectif implique de traiter les déblais non plus seulement dans des installations de stockage des déchets inertes (ISDI) mais dans des installations spécifiques de recyclage ou de valorisation, afin de permettre leur réutilisation comme nouvelles matières premières.
Les produits issus de ces opérations de recyclage sont ensuite utilisés en remblaiement ou dans d’autres chantiers du BTP (construction ou rénovation). Cette filière a pour avantage de diminuer la quantité de déchets stockés, de donner une utilité à des ressources (les déchets inertes) et, par conséquent, de réduire les prélèvements de ressources naturelles. Elle répond aux enjeux juridiques, économiques et environnementaux tout en créant des emplois locaux non délocalisables.

Du statut du déchet à celui du produit
Jusqu'à présent, les maîtres d’ouvrage ne disposaient pas d'un dispositif réglementaire encadrant la responsabilité attachée à la valorisation des déchets et à leur mise sur le marché.
Désormais, si un déchet répond aux quatre critères fixés par l’article L.541-4-3 du code de l’environnement, il peut perdre juridiquement cette qualité et devenir un produit. Les opérateurs bénéficient ainsi d’un nouveau dispositif juridique permettant d’envisager sérieusement le recyclage comme solution juridique et économique.
La procédure de sortie statut de déchet est donc l’étape ultime de leur valorisation. Elle libère le maître d’ouvrage des principes juridiques attachés aux déchets (traçabilité, réversibilité, pollueur-payeur). Elle permet aussi de créer de la valeur puisque le matériau élaboré à partir de déchets sera revendu. C’est pourquoi ce dispositif a rapidement suscité l’intérêt des opérateurs. Le premier dossier français de sortie de statut de déchets concerne précisément les matériaux réutilisés en travaux publics (déclaration de Raymond Cointe, Conseiller spécial du Ministre de l’environnement à la Fédération nationale des travaux publics le 23?mai 2013).
La déclinaison à grande échelle des principes de la valorisation des déchets implique plusieurs étapes préalables telles que :
- mesures incitatives dans les cahiers des charges de travaux publics,
- instruments de partenariats entre collectivités et avec des opérateurs, permettant la mise en place des nouvelles filières,
- création de plateformes de recyclage.
C’est d’ailleurs surtout à ce niveau de détail que s’appréciera l'applicabilité pratique du dispositif et, plus généralement, l'assimilation par la ville lumière des principes de la ville durable.



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