Par Roland de Moustier, avocat associé. Frêche & Associés
Le montage consistant à conclure une vente en l’état futur d’achèvement sur la base, non pas d’un titre de propriété du terrain d’assiette mais d’un bail constitutif de droits réels n’est sans doute pas très innovant, mais il semble connaître un regain d’actualité dans le cadre, notamment, de montages publics ou parapublics. Retour sur les principes justifiant la légalité d’un tel schéma contractuel.

Le preneur d’un bail emphytéotique (BE) ou d’un bail à construction (BAC) peut-il conclure une vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) pour la cession des ouvrages à construire ?
Ce montage contractuel associant Vefa et bail constitutif de droits réels, fait intervenir trois acteurs : le propriétaire-bailleur, le preneur-vendeur en l’état futur et l’acquéreur en l’état futur.
Sur le plan des principes, le BAC est le contrat par lequel le preneur s’engage à édifier des constructions sur le terrain du bailleur (1), le preneur bénéficiant alors «?sur le terrain d’un droit réel immobilier et sur les constructions d’un droit de propriété temporaire?» (2), tandis que le BE est simplement défini comme conférant au preneur un droit réel susceptible d’hypothèque (3). De son côté, la Vefa est « le contrat par lequel le vendeur transfère immédiatement à l’acquéreur ses droits sur le sol » tandis que « les ouvrages à venir deviennent la propriété de l’acquéreur au fur et à mesure de leur exécution » (4).

Une approche restrictive du régime de la Vefa…
Une approche restrictive de la Vefa assimilerait obligatoirement la qualité de vendeur à celle de propriétaire plein et entier du terrain, assiette des constructions à venir ; les droits réels sur le sol que détient le preneur d’un BAC ou d’un BE ne seraient donc pas suffisants pour permettre la conclusion d’une Vefa.
Cette approche restrictive repose, d’une part, sur le principe selon lequel le preneur à bail ne peut céder plus de droit qu’il n’en détient (5) et d’autre part, sur l’idée que «?le droit sur le sol?» que le vendeur en l’état futur transfère immédiatement à l’acquéreur conformément à l’article 1601-3 du code civil, est nécessairement un droit de propriété pleine et entière.
De manière plus pragmatique, elle repose sans doute aussi sur le sens commun du terme «?vente?» qui désigne pour tout non-juriste la cession pure et simple d’un bien. Et il faut bien admettre que la vente en l’état futur d’un ouvrage par un preneur à bail qui ne dispose de droits réels que pour une durée déterminée, n’est finalement qu’une vente à durée déterminée, le temps du bail. Or, en France, où l’on sait l’importance historique et morale du droit de propriété dont le Conseil constitutionnel a rappelé que «?la conservation constitue l’un des buts de la société politique?» et qui a «?même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l’oppression?» (6), ce droit ne se conçoit a priori que comme étant - si l’on peut dire - à durée indéterminée.

…qui paraît pouvoir être écartée d’un point de vue juridique
Pour autant, le montage étudié paraît juridiquement envisageable. L’article 1601-3 relatif à la Vefa prévoit en effet que le vendeur cède «?ses droits sur le sol?» et non son droit de propriété. Par ailleurs, le transfert de droits est expressément autorisé tant pour le preneur d’un BAC qui «?peut céder tout ou partie de ses droits?»(7) que pour le preneur d’un BE dont «?le droit réel (…) peut être cédé et saisi dans les formes prescrites pour la saisie immobilière?».
De son côté, la doctrine affirme que la vente n’implique pas nécessairement le transfert du droit de propriété sur le sol, mais qu’elle peut être entendue comme emportant le transfert d’un «?simple?» droit réel sur le sol (8) ou encore que, «?par l’effet immédiat de la vente, le vendeur cède des droits sur le sol (propriété, droits indivis, droits réels) et la propriété des ouvrages déjà réalisés?»(9). S’agissant de la Vefa, on peut également lire que, lors de la conclusion de ce contrat, «?sont immédiatement transférés à l’acquéreur : les droits du vendeur sur le sol (droit de propriété, mais aussi droit de construire en vertu d’un bail emphytéotique ou d’un bail à construction, par exemple?»(10)).
En définitive, et même si la Cour de cassation ne semble pas s’être prononcée clairement sur cette question, il paraît possible de considérer que le preneur d’un bail à construction ou d’un bail emphytéotique conclut une Vefa ; celle-ci a alors pour effet de transférer immédiatement à l’acquéreur, non pas le droit de propriété, mais le droit réel sur le terrain d’assiette du projet, puis la propriété des ouvrages au fur et à mesure de leur édification.
Bien évidemment, le transfert à l’acquéreur des droits réels sur le sol ainsi que la propriété des ouvrages est limité à la durée du bail, en application du principe selon lequel nul ne peut céder plus de droits qu’il n’en détient.
Plus encore, il semble que ce mécanisme suppose, au-delà de la cession des droits réels à l’acheteur en l’état futur, la cession du bail lui-même, de sorte que l’acquéreur se trouvera tenu, au terme de la Vefa, des obligations du preneur à bail, telles que le maintien des constructions en bon état d’entretien (BAC) ou les réparations de toute nature (BE).
On précisera également que lorsque l’acquéreur en l’état futur est une personne publique, il conviendra de se poser deux questions complémentaires, à savoir (i) si l’achat en Vefa par la personne publique est possible au regard des critères définis par la jurisprudence (11) ou la loi, et (ii) si l’achat en Vefa suppose la mise en œuvre préalable d’une procédure de publicité et de mise en concurrence.
Enfin, au-delà de la question de sa faisabilité juridique, l’acquisition en Vefa d’un immeuble ou d’une partie d’immeuble sur la base d’un bail constitutif de droits réels suppose naturellement une certaine prudence : d’une part, comme on l’a vu, il suppose a priori le transfert non seulement du droit réel mais aussi du bail lui-même et donc des obligations dont il est assorti, de sorte qu’il aboutit, d’autre part, à une vente nécessairement imparfaite qui se trouve à la fois limitée dans le temps et assortie des obligations de fin de bail à la charge de l’acheteur en l’état futur devenu preneur à bail.

1 Article L.251-1 du code de la construction et de l’habitation
2 Cass. Com. 24?juin 1997, n°?95-13.038
3 Article L.451-1 du code rural et de la pêche maritime
4 Article 1601-3 du code civil
5 Article 1599 du code civil : «?la vente de la chose d’autrui est nulle?»
6 Conseil constitutionnel n° 81-132 DC du 16?janvier 1982
7 Article L. 251-3 du code de la construction et de l’habitation
8 Collart Dutilleul et Delebecque, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, p. 135
9 Code de la construction et de l’habitation, Dalloz, comm. sous article L. 261-2.
10 Dictionnaire permanent construction et urbanisme, Tome 3, page 5850, comm. n°517.
11 CE, avis du 31?janvier 1995, EDCE 1995, p. 46 ; CE, 14?mai 2008, Communauté de communes de Millau-Grands Causses, n°280370.




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