Du 9 au 11 octobre s’est tenu à Marseille le 79e congrès des experts-comptables. L’occasion d’échanger sur les évolutions de leur métier sur fond de digitalisation et les conséquences pour leurs entreprises clientes. La présidente du Conseil national de l’ordre des experts-comptables revient sur les enjeux.

Décideurs. À votre congrès, vous avez souligné que les experts-comptables devenaient moins des experts techniques et davantage des chefs d’entreprise. Qu’est-ce qui impose ce changement ?

Cécile de Saint Michel. Notre profession va être l'une des plus impactées par la digitalisation puisque la saisie comptable – le cœur de notre métier – va être complètement automatisée. Cela ne va pas conduire à la suppression de postes mais de tâches. C’est une opportunité pour les experts-comptables car la saisie nous prenait beaucoup de temps sans apporter de valeur ajoutée à nous ou à nos clients. Cela va nous permettre de nous concentrer davantage sur des missions de conseil dans la gestion et le pilotage de leur entreprise. Les experts-comptables auront plus facilement l’opportunité de proposer des services supplémentaires comme les devis, la facturation, le recouvrement ou encore le paiement aux fournisseurs. Ils pourront également accompagner les entreprises en matière de durabilité ou de cybersécurité. Pour faire face à ces changements, nous avons lancé un plan de formation record de 4,5 millions d’euros destiné aux experts-comptables mais également à l’ensemble des collaborateurs en cabinet. 

L’instauration de la facture électronique approche à grands pas. Comment les experts-comptables abordent-ils ce sujet ? 

Nous sommes très confiants et très moteurs sur la question. Nous considérons la facture électronique comme une opportunité pour nous et nos clients. Un sondage mené avec OpinionWay fait apparaître que 57 % des experts-comptables ont déjà lancé les démarches pour mettre en place la facture électronique dans leur cabinet ou chez leurs clients. La loi prévoit de la rendre obligatoire en 2026 puis en 2027. Nous aimerions avoir la possibilité de la déployer sur la base du volontariat d’ici à la fin de l’année car cela représente un véritable avantage compétitif pour les entreprises. Pour pouvoir la rendre effective, nous avions besoin que le ministère des Finances accrédite les plateformes partenaires (PDP) et de disposer d’un annuaire des entreprises. Le Conseil de l’ordre a proposé de développer la branche française de l’annuaire européen qui sera nécessaire d’ici 2028-2030 et qui nous permet pour réussir la mise en place de manière généralisée en 2026 en l’anticipant dès 2024.

"La facture électronique ne comportera pas uniquement des données en euros mais aussi des quantités"

Comment cela se passe-t-il dans les pays voisins ?

Les manières de la mettre en place sont différentes d’un pays à un autre. Mais partout où la facture électronique est déjà instaurée comme en Italie, on constate une fluidification du processus de facturation ainsi qu’une réduction très significative des délais de paiement. Cela a également permis de limiter les risques de fraudes au paiement et les erreurs de saisie.

Certaines entreprises ne semblent pas encore avoir pris la mesure du changement. Comment y remédier ?

C’est le rôle de la presse spécialisée ou non, des pouvoirs publics mais aussi le nôtre que d’informer les dirigeants. La facture électronique n’est pas un PDF envoyé par mail. C’est un fichier informatique qui contient une multitude de données financières et extra-financières très structurées. Il s’avère très compliqué de sensibiliser et former des chefs d’entreprise lorsque l’on ne dispose pas des outils qui permettent de faire des démonstrations concrètes. Maintenant que l’on est davantage dans le pratico-pratique et que le calendrier de déploiement de la facture électronique a été confirmé par Bercy, nous allons pouvoir les accompagner et les y intéresser.

Les entreprises pourront-elles mieux anticiper leur comptabilité ?

Oui. L’un des principaux avantages de la facture électronique est qu’il s’agit d’un fichier numérique qui va s’intégrer directement dans les systèmes d’information des entreprises. Nous pourrons mieux accompagner nos clients car il n’y aura pas le décalage de temps inhérent à la saisie comptable. Avoir cette data en instantané nous permettra d’être plus réactifs et d’assurer un accompagnement comptable et stratégique de nos clients en temps réel. Grâce à l’IA générative, nous allons pouvoir également repérer plus en amont les signaux faibles afin de mieux détecter les risques de défaillances d’entreprises. Cela ouvre même la voie à la comptabilité prédictive, ce qui serait une avancée majeure pour les entreprises.

Qu’en est-il du traitement des données extra-financières ?

La facture électronique ne comportera non seulement des données en euros mais aussi des quantités. La connexion du fichier aux systèmes d’information permettra d’avoir accès à des données extra-financières qui, jusque-là, demandaient des process de collecte et d’analyse plus lourds. Les entreprises qui font affaire avec une autre sauront combien de kilowattheures elle consomme par exemple. Évidemment, pour l’artisan qui rédige ses factures sur des carnets à souche, cela va nécessiter un véritable changement d’habitudes et de culture mais il pourra être accompagné notamment par son expert-comptable. La digitalisation en général et l’IA en particulier est comparable à la révolution industrielle. Il ne faut pas en avoir peur mais au contraire apprendre à utiliser les outils. C’est un investissement qui aura des avantages indéniables pour les chefs d’entreprise et pour l’économie.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

Photo : Cécile de Saint Michel par Guillaume Grandin

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