L’audace du choix de croître
La valeur de la croissance
La croissance est le seul levier de création de valeur à long terme. Une entreprise qui ne croît pas régulièrement et qui n’augmente pas régulièrement sa valeur perd son attractivité et son indépendance à long terme. Les analyses financières démontrent la forte corrélation entre croissance (à rentabilité donnée) et rendement pour l’actionnaire (TSR)1 : un point de croissance longue génère généralement plus de un point de TSR. Pour un actionnaire, ceci signifie que, sur dix ans, son investissement aura rapporté 2,5 fois sa mise pour un TSR à 10 % alors qu’il aura rapporté 4,0 fois sa mise pour un TSR à 15 %. Les 5 points de croissance de différence lui auront permis de doubler son gain. Les enjeux sont donc significatifs. Au-delà des implications financières, la croissance permet d’investir et de rester distinctif dans les produits, l’image, les canaux, les modes d’accès aux clients. Elle permet de recruter et fidéliser les talents et de développer les équipes et les compétences. Elle maintient la cohésion des actionnaires.
Les 5 choix de croître
La croissance est avant tout le choix de l’audace. On ne peut croître sans décider de croître et de prendre des risques à cinq niveaux :
1. Le choix de l’ambition de croître
Une ambition de croissance de 3 % à 4 % par an est insuffisante pour créer de la valeur : elle ne peut rémunérer le risque de l’actionnaire. On demande souvent aux équipes de générer des stratégies, aux bornes des périmètres de leurs activités existantes et en dérivée directe, ou immédiatement adjacentes. Plus les entreprises sont grandes, ont crû significativement, ont bien réussi et sont déjà fortement valorisées, et plus ces approches sont décevantes. Elles ne génèrent que de faibles croissances additionnelles et ne peuvent maintenir des TSR élevés à long terme. L’approche adéquate est inverse. Il faut plutôt d’abord fixer – et au plus haut niveau de l’entreprise – les niveaux d’ambition suffisants pour maintenir les croissances et les TSR nécessaires au-delà de 5 ans. Il faut ensuite en déduire les stratégies nécessaires (souvent disruptives) : gains de parts de marché organiques ou grandes acquisitions structurantes ; extensions marginales aux bornes de l’activité ou développement de nouveaux domaines ; en apprécier les risques ; décider ; et se donner les moyens de leur mise en oeuvre (financiers et humains). La stratégie doit par conséquent reposer d’abord sur une ambition explicite, construite et maîtrisée.
2. Le choix des terrains de jeu
Rappelons deux évidences : on ne peut croître sur des métiers à faible croissance déjà concentrés ; il n’y a pas de valeur à croître dans des métiers à faible valeur au leadership. Le choix des terrains de jeu est par conséquent critique dans les stratégies de croissance. Un groupe doit combiner un portefeuille d’activités équilibré avec celles qui permettent de croître (les segments de croissance) et celles qui permettent de financer cette croissance (les segments générateurs de cash). Les segments de croissance doivent offrir un potentiel de croissance soit parce qu’ils sont fondés sur des marchés à forte croissance longue, soit parce qu’ils sont faiblement concentrés et peuvent l’être ; offrir un potentiel d’amélioration de marges lié à cette concentration : effets d’échelle, synergies technologiques, synergies commerciales… ; permettre la mise en oeuvre d’un modèle d’activité permettant cette concentration ; maîtriser ce modèle et être capable de le mettre en place dans une forte ampleur.
3. Le choix des modèles d’activité et des niveaux d’investissement
Au départ de tout succès, il y a un modèle d’activité différenciant basé sur des attributs valorisés par le client et avec des economics, une ampleur et une dynamique permettant une forte compétitivité et rentabilité. Plus le modèle est pertinent, plus il permettra de gagner des parts de marché et de bâtir ou de renforcer un leadership. Le choix des modèles d’activité et le niveau d’investissement sont donc critiques. Le développement de Samsung dans les microprocesseurs a généré 40 % de la croissance du groupe au cours des quinze dernières années. La migration de Nike dans la distribution (online et offl ine) a contribué à près de 60 % de la croissance de l’entreprise dans la même période. L’entrée d’Apple dans les services en 2010 lui permet aujourd’hui de générer 68 milliards de dollars de chiffre d’affaires sur cette activité.
4. Le choix de la vitesse et de l’ampleur
Tous les pilotes d’avion le savent : plus le décollage est rapide, plus l’avion vibre. La croissance provoque des « vibrations ». Il ne s’agit pas de réduire la vitesse ou l’ampleur avant d’intégrer et de maîtriser ces effets. Aujourd’hui plus que jamais, le succès d’une stratégie dépend fondamentalement de sa vitesse et de son ampleur, plus que de la défi nition de la direction. Au fi nal, les positions, la compétitivité, la dynamique et la rentabilité entre deux stratégies d’ampleur variées seront très différentes. Le choix d’une stratégie devient par conséquent le choix d’une vitesse. Ceci ne doit pas être la conséquence de mise en oeuvre opérationnelle et de la capacité des équipes à aller plus ou moins vite dans l’exécution de la stratégie. Cela doit être le choix défi ni par la nécessité de bâtir des positions et d’atteindre des positions rentables rapidement.
5. Le choix de la culture et de l’organisation
Le succès d’une stratégie tient à sa pertinence, c’est-à-dire aux choix des terrains de jeux, de modèles d’activité et de vitesse, et d’ampleur. Elle dépend bien sûr également de la qualité de son exécution. Elle doit s’appuyer sur des principes de valeurs, une culture et une organisation cohérente par rapport à cette stratégie. Une culture entrepreneuriale forte décentralisée est adaptée à certaines situations. Une culture de décisions d’investissements et de gestion centralisés de projets à d’autres. L’enjeu est de réussir à faire cohabiter ces différents enjeux dans une même entreprise.
Qu’en conclure ?
L’audace est nécessaire pour toute stratégie de croissance. Elle doit être présente sur les cinq dimensions. Mais elle doit être organisée et structurée. Sans audace, pas de prise de risque. Sans prise de risque, pas de croissance. Sans croissance, pas de création de valeur. Sans structuration, encadrement, focalisation et mise en cohérence de cette stratégie et de son exécution, pas de succès. C’est le rôle du management de décider et de créer ces conditions et infl exions nécessaires à la croissance.
📑 Les points clés
Pour créer de la valeur à long terme, il faut croître régulièrement de plus de 7,5 % par an. Pour croître, il faut faire des choix à 5 niveaux : choix de l’ambition, choix des terrains de jeu, choix des modèles d’activité et de leur niveau d’investissement, choix de la vitesse et de l’ampleur, choix de la culture et de l’organisation. Ces choix demandent de l’audace et une prise de risque. Sans audace, pas de prise de risque. Sans prise de risque, pas de croissance. Sans croissance, pas de création de valeur. Ces choix doivent également être articulés et suivis par le top management dont le rôle est de créer les conditions et les inflexions nécessaires à la croissance.
✍🏼Sur l'auteur
Jean Berg est Président de Strategia Partners, cabinet international de conseil en stratégie basé à Paris, Zurich, New York, Seattle et Shanghai. Strategia Partners assiste les directions générales et les investisseurs dans leurs stratégies de croissance et d’allocations de ressources en intégrant trois perspectives : stratégique & financière, environnementale et humaine.
1 Total Shareholder Return : rendement total annuel pour l’actionnaire intégrant l’évolution du cours de Bourse, les dividendes, les actions gratuites…