Les "manpacks" sont l’outil privilégié par les fonds d’investissement pour intéresser les managers à la réussite des LBO. Mais depuis 2019, l’administration fiscale n’hésite pas à requalifier certaines plus-values en salaires, entraînant un coup de froid sur la pratique.

Le principe était assez simple. Afin de garantir un alignement entre les intérêts des actionnaires et ceux du management lors d’une reprise d’entreprise, les dirigeants opérationnels voire les salariés plus largement étaient conviés à investir de l’argent dans la société. Cette prise de risque partagée était l’assurance pour les repreneurs que les talents seront les plus impliqués possible, resteront à leur poste le temps de créer de la valeur et se montreront capables de réfléchir à la fois comme des managers et comme des actionnaires.

Du côté des dirigeants, cette participation était la garantie de faire une belle opération en cas de bons résultats. Si toutes les planètes semblaient alignées, depuis 2019 certaines opérations n’ont pas passé les fourches caudines de l’administration fiscale qui a changé sa manière d’appréhender ces montages financiers. Quitte à vider de leur substance les managements packages ?

Ces "manpacks" comme on les surnomme se sont développés en France depuis une vingtaine d’années en même temps que le private equity et sont utilisés quasi systématiquement lors des opérations de LBO. Leur intérêt ne semblait plus à démontrer. "Les managements packages ont fait leurs preuves, estime Caroline Lan, associée en M&A chez Gide Loyrette Nouel. Économiquement ils ont du sens."

"Les management packages ont fait leurs preuves. Économiquement ils ont du sens"

Deux mécanismes principaux

Petit détour technique pour bien comprendre les enjeux. Deux grands types de mécanismes peuvent être utilisés afin de structurer des management packages. D’un côté, les instruments "ratchet" dont les droits financiers dépendent de la performance globale de l’investissement (généralement appréciée en TRI et/ou multiple). En cas de mauvaise performance, et si les managers ont payé leurs instruments, ces derniers perdront tout ou partie de leur investissement. Ces outils peuvent, sous certaines conditions, être attribués gratuitement.

De l’autre, le "sweet equity" qui repose sur une logique de risque plus important pour les managers (en permettant aux fonds de bénéficier d’un retour prioritaire sur une partie de leur investissement, structuré par des instruments de dette). En contrepartie, ils reçoivent une fraction proportionnellement plus importante du capital que les autres actionnaires.

Problèmes à l’entrée et à la sortie

Durant une quinzaine d’années, les fonds demandaient aux managers d’investir dans ces instruments. Si chaque deal était différent, dans les opérations les plus classiques les dirigeants investissaient entre un et deux ans de salaire. Les fonds pouvaient donner une part d’actions gratuites en complément afin de motiver davantage les troupes. Jusqu’à 2019, l’administration fiscale s’intéressait surtout à la valorisation de la mise de départ. Si l’achat avait été fait à sa juste valeur, les risques fiscaux s’avéraient limités.

Mais la jurisprudence a évolué. La justice a estimé dans certains dossiers que les gains obtenus par les managers relevaient du salaire et non pas de la plus-value. Ce qui entraîne dès lors une imposition plus importante et des pénalités pour les managers ainsi qu’un risque pour les entreprises de devoir payer rétroactivement des charges sociales sur ces montants. Sans compter les cas où l’argent perçu a été réinvesti dans un nouveau LBO, rendant impossible pour le dirigeant de redonner la somme à l’administration.

Trilogie de décisions

Un arrêt de la Cour de cassation de 2019 conduit à un recouvrement des charges sociales sur la totalité de la plus-value liée à la revente de bons de souscription d’actions. Plus encore, en 2021, dans trois décisions, le Conseil d’État a considéré que les management packages devraient être imposés comme du salaire car ces outils trouvaient "essentiellement (leur) source dans l’exercice, par l’intéressé, de ses fonctions de dirigeant ou salarié".

"Le Conseil d’État s’est intéressé plus en détail aux clauses des pactes d’actionnaires et des autres accords extrastatutaires pour analyser les droits et les obligations des managers et déterminer s’ils ont de réelles prérogatives d’actionnaires et a, en l’espèce, estimé que ce n’était pas le cas", explicite Caroline Lan. Parmi les points bloquants pour l’administration fiscale : les promesses leavers.

Auparavant, lorsqu’un manager était remercié ou partait peu de temps après sa prise de fonction (bad leaver), la décote appliquée à ses titres s’avérait importante. À l’inverse, en cas de départ prévu, à la retraite ou d’accident de la vie (good leaver), les conditions de sortie étaient meilleures. "Avant, on distinguait les conditions de départ afin de différencier les conditions de rachat en fonction des circonstances de départ (calendrier, contexte contentieux, etc.), explique Caroline Lan. C’est justement ce que les tribunaux ont critiqué. Pour eux, cette différence de traitement fait prédominer le statut de salarié sur celui d’actionnaire." Isabelle Cheradame, associée corporate chez Scotto, résume: "Aujourd’hui même si le prix payé à l’entrée est le bon, si les droits d’actionnaires sont restreints, l’administration fiscale peut considérer la rétrocession comme du salaire."

Pour Isabelle Cheradame, il s'agit d'une aberration économique d'être mieux traité fiscalement quand on ne réalise pas un investissement que lorsque l'on en fait un

Exercice d’équilibriste

Afin d’éviter la requalification, les management packages sont désormais davantage dotés d’actions gratuites. Isabelle Cheradame poursuit: "Tout ce qui était ratchet payant est devenu à risque, ce qui est moins le cas pour les actions gratuites puisque l’attribution s’effectue alors dans un cadre légal réservé aux salariés et dirigeants." D’ailleurs, la loi permet désormais aux sociétés d’attribuer 15 % du capital social gratuitement contre 10 % auparavant. L’associée de Scotto estime que c’est paradoxal en ce que "les outils payants – qui certes offrent la possibilité de dégager de gros gains mais aussi de tout perdre  – sont moins bien traités que des actions gratuites."

Pour elle, il s’agit d’une aberration économique d’être mieux traité fiscalement quand on ne réalise pas un investissement que lorsqu’on en fait un. Outre les actions gratuites, les avocats revoient la manière de rédiger les pactes d’actionnaires. "Aujourd’hui, nous faisons du sur-mesure pour chaque dossier. Il y a toujours des éléments payants dans les packages car cela reste un prérequis pour les fonds et cela permet aussi un rééquilibrage des pouvoirs entre associés", précise Caroline Lan.

Par exemple, "les clauses de bad et good leavers ont été lissées, explique Isabelle Cheradame. La décote appliquée lors de la sortie est généralement entre 15 % et 30 % quel que soit le cas d’exercice de la promesse, ce qui veut dire que les bad leavers s’en sortent bien et que les good leavers sont pénalisés par rapport à avant." Globalement, "il convient de trouver un équilibre entre un management qui prend des risques capitalistiques et un risque fiscal maîtrisable", conclut Caroline Lan.

"Nous n’avons pas la possibilité de faire valider les schémas en amont par l’administration fiscale"

Épée de Damoclès

Il n’empêche que cela n’est pas confortable pour les managers et les entreprises qui risquent de subir des redressements faute de cadre très clair. Pourtant, les avocats l’affirment, les managers pourraient accepter une hausse de taux si cela permettait d’éviter totalement les risques de requalification. Car ce n’est pas tant la requalification en salaires qu’ils craignent (les plus-values sont imposées à 12,8 % contre jusqu’à 45 % pour les revenus d’emplois) mais bien les pénalités qui vont avec, et plus généralement, l’incertitude à laquelle ils sont soumis pendant de nombreuses années. Pourquoi les avocats ne discutent-ils pas avec l’administration fiscale avant la signature du deal pour éviter ces mauvaises surprises ?

D’abord parce que le temps d’émission d’un avis par l’administration fiscale n’est pas compatible avec le temps d’un deal qui doit être clos en moyenne dans les trois mois. Ensuite parce que l’administration ne pourrait pas se prononcer sur un schéma complexe dans son ensemble. "Nous n’avons pas la possibilité de faire valider les schémas en amont, complète Émilie Renaud, associée fiscal chez Scotto. Lors des contrôles en revanche, l’administration développe son argumentation. Au fur et à mesure des discussions, nous comprenons la philosophie du moment, ce qui nous aide à constituer les management packages actuels."

Pour la suite, les avocats se montrent relativement confiants même si le risque zéro n’existe pas. "Par définition, l’attention de l’administration fiscale se concentre sur les opérations réussies lorsque des gains importants ont été réalisés mais les tribunaux ont sanctionné des opérations considérées pour la plupart comme ayant été structurées de façon ‘agressive’ (utilisation de bons de souscriptions d’actions, très forte concentration sur un ou deux bénéficiaires), rappelle Caroline Lan. Autrement dit, nous pensons que les dossiers structurés de façon plus équilibrée devraient être moins sujets à la critique." Les premiers retours de l’administration sur la structuration des management packages qui prennent en compte la nouvelle grille de lecture de l’administration fiscale ne seront pas pour tout de suite. Reparlons-en dans quatre ou cinq ans.

Olivia Vignaud

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