Dans la foulée d’une pandémie qui a mis le sport à l’arrêt avec des chutes de revenus spectaculaires, le football connaît une explosion de cessions et acquisitions de ses clubs. Les transactions au sein des cinq grandes ligues européennes sont passées d’une valeur de 66,7 millions d’euros en 2018 à 4,9 milliards en 2022. Cette tendance, qui concerne autant l’Hexagone que l’étranger, conforte l’intérêt du M&A pour l’univers du football.

En décembre 2022, la holding américaine Eagle Football gérée par l’homme d’affaires John Textor, déjà propriétaire du club anglais Crystal Palace et de Botafogo au Brésil, rachetait 87,81 % de l’Olympique Lyonnais pour 700 millions d’euros. Le FC Lorient est également passé en partie sous pavillon américain. Bill Foley, à la tête du consortium BKFE, qui a acquis la totalité des parts du club de Bournemouth au Royaume-Uni, en décembre 2022, a racheté 40 % du capital du club breton en janvier 2023. Strasbourg s’inscrit également au cœur d’une tendance qui explique en partie l’essor du M&A dans le ballon rond. En juin 2023, le club alsacien a donné lieu à une transaction menée par l’Américain Todd Boehly et son consortium d’investisseurs BlueCo. Ce dernier était déjà entré au capital du club londonien de Chelsea en mai 2022 après un LBO majoritaire de 5 milliards d’euros.

À l’étranger, d’autres grands clubs, dont le Milan AC, ont fait l’objet d’acquisitions majoritaires pour 1,2 milliard d’euros, mais aussi Newcastle United, passé sous pavillon saoudien pour 350 millions d’euros.

Raz-de-marée américain

Les clubs professionnels sont ainsi financiarisés par la vente en passant souvent d’un actionnariat familial ou traditionnel à un directoire plus étonnant. Selon les données de PitchBook, 35,7 % des clubs des cinq championnats majeurs ont une participation majoritaire ou minoritaire d’un fonds de private equity, de VC ou de dette privée. On observe un intérêt croissant des États-Unis, avec 34,7 % des équipes du même échantillon, qui ont une participation au capital basée outre-Atlantique. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette omniprésence. Si 60 % des fonds d’investissement mondiaux sont situés dans le pays de l’Oncle Sam, celui-ci connaît aussi un gain croissant de popularité pour le "soccer".

L’État fédéral coorganisera avec ses voisins mexicains et canadiens la prochaine édition du mondial en 2026. En outre, la chaîne Paramount a déjà acquis pour six ans les droits de diffusion aux États-Unis de la Ligue des champions (LDC) pour un montant record de 1,5 milliard de dollars, soit 2,5 fois la valeur du contrat précédent. Mais surtout, selon Pierre Deval, associé au sein du cabinet Veil Jourde, le football va connaître un changement de paradigme: "Aujourd’hui, avec des revenus TV qui baissent et des charges importantes, beaucoup de clubs ne peuvent pas résister aux sirènes d’investisseurs venant d’outre-Atlantique."

35,7 % des clubs des cinq championnats majeurs ont une participation majoritaire ou minoritaire d’un fonds de private equity, de VC ou de dette privée

 Un constat qui pourrait amener à changer radicalement la vision européenne du sport. "Les financiers américains arrivent sur le marché avec leur vision du sport "entertainment", grâce à laquelle une équipe peut augmenter ses revenus par des concerts ou des activités, avant et après le match. À terme, ces actionnaires vont pousser pour que les ligues européennes s’américanisent dans leur fonctionnement par des ligues fermées, véritables barrières aux relégations, qui permettront de maintenir les droits TV dans le temps et de contrôler leurs charges." La révolution est en marche.

Les clubs plateforme, nouvel Eldorado ?

Enfin, posséder plusieurs clubs de football peut être source d’économie d’échelle sportive ou financière. Même si l’Association européenne des clubs de football (UEFA) régit cette pratique en interdisant à deux clubs disposant du même actionnaire de participer à la même compétition, des arrangements restent possibles. En acquérant Strasbourg, Todd Boehly s’offre ainsi un centre de formation, une équipe de développement pour les joueurs qui ne sont pas encore prêts à défendre le maillot de Chelsea, son club phare, et une porte d’entrée vers la France, plus gros marché européen de jeunes talents. Le même schéma se répète avec John Textor à Lyon ou Bill Foley à Lorient. Leurs différents clubs constituant un véhicule d’investissement comme tout portefeuille d’entreprises classiques. Attention tout de même au retour de bâton. Pour que les investissements soient rentables, il est nécessaire de jouer régulièrement les compétitions européennes. Et la spéculation sur les joueurs n’est pas toujours une formule gagnante. L’OL de John Textor nage dans les bas-fonds de la Ligue 1, Troyes, rattaché au City Football Group (propriété de l’État qatari), a été relégué la saison dernière en Ligue 2 et est plus proche d’une descente en national que d’une remontée. En Angleterre, Chelsea est dans le ventre mou depuis le rachat de Boehly et ne semble pas en position de jouer la Ligue des Champions.

Tom Laufenburger

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