Un rapport de l’Assemblée nationale l’été dernier, un autre de l’OCDE quelques mois plus tard, une proposition de loi pour renforcer Sapin 2 en octobre : le dispositif anticorruption français est scruté. Et gagnerait à être amélioré, aussi : le point sur les mesures qui font débat.

En juillet dernier, la commission des lois de l’Assemblée nationale a publié un rapport d’évaluation de la mise en œuvre de la loi Sapin 2. L’initiative a pu surprendre – à l’époque, on attendait la sortie du rapport de l’OCDE sur la mise en œuvre, par la France, de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers. Mais elle avait du sens : les rapports d’évaluation, en général, ont lieu trois ans après la publication d’une loi, et Sapin 2 a été publiée en décembre 2016. Surtout, “cette loi a sans doute été l’une des plus importantes du précédent quinquennat”, rappelle le député Raphaël Gauvain (LREM), à l’occasion d’une table ronde organisée par La Sorbonne le 24 février.

Les remontées des entreprises, sur les contrôles pratiqués par l’AFA, notamment, et la perspective d’un rapport en cours à l’OCDE ont donné envie au Parlement de mener, lui aussi, une évaluation. Celle de l’OCDE porte sur les mesures prises en matière de corruption d’agents publics étrangers. Celle des députés est plus large : elle couvre les lanceurs d’alerte, les représentants d’intérêt. Le rapport français, à l’origine, devait être scindé en deux, avec une proposition de loi pour renforcer la protection des lanceurs d’alerte – la transposition de la directive européenne approchait –, et une proposition de loi pour renforcer Sapin 2. “Sur ce point, il y a eu de la résistance. L’extension aux représentants d’intérêt, la mise en place d’instruments plus forts contre la corruption domestique dans les collectivités locales n’ont pas emporté l’unanimité. Ça se relancera peut-être après la présidentielle.” Pour Raphaël Gauvain, il appartiendra au prochain gouvernement de se saisir du sujet. Avec, déjà, des idées de points sur lesquels retravailler Sapin 2.

Article 17

Depuis la dernière évaluation de l’OCDE, en 2012, Sandrine Hannedouche-Leric, senior anti-corruption legal analyst à l’organisation, corédactrice du rapport OCDE, note “beaucoup de réformes depuis, à commencer par Sapin 2, la levée de verrous importants, la réévaluation des sanctions, l’introduction de la CJIP”. Et un article 17 dans la loi, qui impose aux entreprises de plus de 500 salariés et avec un chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros de déployer dispositif de lutte contre la corruption. L’article était “indispensable”, assure Jean-Marie Gauvain, directeur risques et conformité chez Casino. La loi Sapin 2 a pour objectif, “et les entreprises doivent le comprendre comme tel”, de protéger les acteurs économiques français de l’extraterritorialité des lois américaines. Bref, éviter que l’affaire Alstom se reproduise. C’est, d’ailleurs, le message que Charles Duchaine a toujours souhaité passer : ne pas faire de la conformité pour faire plaisir à l’AFA, mais pour se protéger. “Le contrôle préventif était nécessaire, pour Jean-Marie Gauvain. S’il n’avait pas été instauré, les entreprises auraient-elles déployé la loi de la même manière ?”

La limite de cet article ? Puisqu’il ne s’applique qu’aux grandes entreprises, il est peu probable que les autres “aient introduit quoi que ce soit dans leurs organisations, faute d’intérêt et de moyens”, explique Jean-Marie Gauvain. Pour ces entreprises qui ne se sentent pas concernées, une solution : faire davantage de formation et de sensibilisation.

"L'AFA ne va pas essayer de rechercher des crimes et des délits systématiquement"

Conseil

Ça tombe bien, l’AFA fait du conseil et du contrôle. Mais la première mission est parfois difficile : “Les entreprises peuvent craindre qu’en se tournant vers l’autorité pour du conseil, l’agence se dise qu’il y a matière à enquêter.” Le phénomène préoccupe Jean-Marie Gauvain, car les entreprises qui ont des réticences à solliciter l’AFA ne peuvent pas se protéger comme il le faudrait. Une piste d’amélioration ? Prévoir que les missions de sensibilisation soient dévolues à un autre organisme.

Il faut comprendre que l’AFA “ne va pas essayer de rechercher des crimes et des délits systématiquement”, rappelle le directeur risques et conformité de Casino. La clé, c’est une bonne compréhension des auditeurs de l’AFA de leurs missions.

L’idée n’est pas de supprimer l’article 40 du Code de procédure pénale, insiste Raphaël Gauvain. Il faut, plutôt, “passer d’une administration qui repose essentiellement sur le contrôle et la sanction à une administration qui accompagne et conseille”. Changer de paradigme, donc.

Autorité unique

Dans leur rapport, les députés suggèrent une fusion entre l’AFA et la HATPV en un seul organisme, la Haute Autorité pour la probité. Pour plusieurs raisons : “La multiplication des agences cause un problème de visibilité, estime Raphaël Gauvain, et l’AFA est indépendante sans être totalement indépendante.” Jean-Marie Gauvain et Nicola Bonucci, ancien directeur juridique de l’OCDE et avocat associé chez Paul Hastings, sont moins convaincus. “Toutes ces autorités sont davantage complémentaires que concurrentes. Outre-Atlantique et outre-Manche, il y a aussi une multitude d’autorités, et ça fonctionne”, analyse Jean-Marie Gauvain. Il faudrait viser une meilleure coordination, plutôt qu’une fusion.

Ajuster la CJIP

Traitement plus rapide, procès évité, procédure maîtrisée… Les avantages de la CJIP sont nombreux. Pour les entreprises, c’est un moyen d’échapper à la publicité d’un procès et de ne pas être exclues des participations aux appels d’offres. L’OCDE, d’ailleurs, voit l’outil comme "une véritable avancée, qui a permis de résoudre des affaires plus vite, avec des faits de corruption conséquents", salue Sandrine Hannedouche-Leric. Mais il présente deux inconvénients majeurs : il ne concerne que les personnes morales, et, lorsque la convention n’aboutit pas, implique que les entreprises se sont auto-incriminées et se retrouvent exposées à des sanctions nettement plus importantes. Pour autant, l’enquête interne, la divulgation spontanée et la CJIP sont un “continuum”, soutient Nicola Bonucci. Ensemble, elles permettent d’obtenir une justice plus rapide et plus efficace.

Et le secteur public ?

C’est, finalement, le parent pauvre de Sapin 2. Dans le secteur public, “l’ampleur du travail est phénoménale, les moyens sont faibles, la culture n’est pas là”, énumère Jean-Marie Gauvain. Et le constat est valable à l’international : pour sa recommandation publiée en novembre, l’OCDE avait un temps envisagé de sanctionner la corruption passive, donc celui qui reçoit le pot-de-vin. “Le fossé se creuse entre le secteur privé et le secteur public sur les questions de corruption”, s’inquiète Sandrine Hannedouche-Leric.

Olivia Fuentes

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