F.Richard (Kersus Avocats) ; "Ethique et utilité sociale deviennent des marqueurs incontournables"
Décideurs. Quels sont les principaux apports de la loi Pacte en matière de structuration des politiques RSE ?
Florence Richard. Les réflexions autour de la finalité de l’entreprise ont toujours existé. La loi Pacte offre un nouveau champ de structuration de l’entreprise. Elle comporte trois mesures fortes : prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux dans l’objet social de l’entreprise, reconnaissance de la possibilité de se doter d’une « raison d’être » dans ses statuts, et d’opter pour la qualité d’entreprise à mission, statut très répandu aux États-Unis (B Corp). En 2020, l’entreprise ne peut plus se définir par ce qu’elle fait mais pour quoi elle le fait. Raison d’être et capital humain deviennent de vrais actifs stratégiques.
En 2019, 14% des sociétés du SBF 120 ont défini leur raison d'être
Quels types d’entreprises vous sollicitent pour structurer leurs politiques RSE ou se doter d’une raison d’être?
Les profils et les tailles des structures qui s’y intéressent sont variés. Fin 2019, déjà 14% des sociétés du SBF120 ont défini leur raison d’être. Nos clients ont surtout un engagement très personnel et des valeurs fortes qu’ils cherchent à traduire dans leur stratégie. En présence d’un actionnariat familial, la voie de l’entreprise à mission peut être choisie pour ancrer durablement la vision du groupe. Les dirigeants restent les premiers leviers de réussite de cette transformation, qui va au-delà d’un outil de gouvernance ou de management, puisqu’il s’agit de définir la finalité même de l’entreprise.
Quelles problématiques juridiques cela soulève-t-il?
La responsabilité d’une entreprise ne doit pas être vécue comme un coût, une contrainte ou un risque mais bien comme une opportunité stratégique et diff érenciante. S’agissant de la raison d’être, l’une des principales problématiques soulevées a trait à la question de son insertion dans les statuts. Pour y répondre, il convient d’expliquer aux clients la portée juridique d’un tel choix. Nous sommes également interrogés par des membres de conseils d’administration sur l’articulation entre l’impératif de gestion avec la prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux. On nous demande également de traduire de façon sécurisée la stratégie RSE par la définition d’indicateurs de performance juridiquement recevables. Notre rôle consiste à sécuriser ces démarches de transformation. Il s’agit pour nous d’éclairer sur la portée des dispositifs et de prévenir les risques, notamment sociaux. Cette démarche implique la mise en place de mesures en amont et de suivi en aval, en anticipant les éléments de contrôle du juge pour se prémunir en cas de contentieux.
Comment voyez-vous évoluer ces sujets dans les prochaines années ?
L’exigence d’éthique et l’utilité sociale deviennent des marqueurs incontournables. Beaucoup d’organisations expérimentent actuellement des schémas qui créeront par la suite un nouveau référentiel de valorisation de l’entreprise. De façon opérationnelle, les engagements pris se traduiront par une nouvelle forme de dialogue social. Les chartes éthiques et les accords d’entreprise assumeront une nouvelle responsabilité sociale, une conscience environnementale. Les processus de gouvernance avec les parties prenantes se développeront. En somme, l’entreprise deviendra plus que jamais connectée à son écosystème.
Propos recueillis par Marie-Hélène Brissot