Michel Sapin (Franklin) : "Je ne viens pas pour donner un carnet d’adresses"
Décideurs Juridiques. Michel Sapin, quelles sont les raisons de cette reconversion ?
Michel Sapin. Ce mouvement est dans la continuité de mon engagement dans l’action publique. Ancien faiseur de droit et de lois, je souhaitais passer de l’autre côté du miroir en accompagnant ceux et celles qui doivent l’appliquer, notamment en matière de lutte anticorruption et antifraude.
J’ai par ailleurs la passion du droit, et ce depuis mes premières années au sein de la juridiction administrative. Mon souhait est d’être utile aux clients du cabinet, en droit public et en compliance mais également de partir à la conquête de nouveaux territoires. Je pense aux institutions gouvernementales françaises et étrangères préoccupées par la mise en œuvre du droit et l’élaboration des règles de bonne gouvernance. Mais aussi aux entreprises étrangères désireuses de s’installer en France en ayant anticipé l’application des règles, notamment celles de lutte anticorruption et antifraude.
Pourquoi devenir avocat et non pas simple consultant ?
M. S. D’un point de vue pratique, l’accès à la profession m’a été permis grâce à une passerelle entre l’ordre administratif et judiciaire en qualité d’ancien magistrat. Être avocat, ce n’est pas juste une étiquette. C’est un ensemble de règles déontologiques. Mais également une garantie de confiance pour les clients car nos échanges sont couverts par le secret professionnel.
Quelle est votre vision du métier d’avocat ?
M. S. Mon entrée dans la profession est encore trop récente pour que je puisse me faire une idée précise mais je vois déjà que les manières d’exercer sont très diverses et que l’âme d’un cabinet diffère d’une structure à l’autre.
Lorsque vous étiez ministre, quelle relation entreteniez-vous avec les avocats ?
M. S. Quasiment aucune, pour être tout à fait honnête. Au gouvernement, les avocats sont bien évidemment des conseillers mais je n’étais pas décisionnaire dans leur choix. Je n’ai par ailleurs jamais été en contact avec les avocats de Franklin, sans quoi nous aurions été en position de conflit d’intérêts.
Pourquoi avoir fait le choix du cabinet Franklin ?
M. S. Je ne le connaissais pas auparavant mais je souhaitais rejoindre un cabinet qui accepte mes conditions d’exercice du métier, mes valeurs. Je suis très attaché à l’éthique et à la probité et, surtout, je n’intègre pas un cabinet pour lui apporter un carnet d’adresses mais pour intervenir sur des éléments techniques des dossiers et approfondir les relations humaines. C’est le caractère humain et humaniste de Franklin qui m’a plu avant tout. J’ai apprécié l’état d’esprit de ses associés et la jeunesse de cette structure qui est par ailleurs déjà installée et reconnue sur le marché.
En tant qu’auteurs des lois Sapin 1 et 2, et donc spécialiste des poursuites pénales et de leur prévention, pourquoi ne pas avoir choisi un cabinet doté d’un département droit pénal des affaires et compliance plus important ?
M. S. J’ai rencontré de nombreux grands cabinets, anglo-saxons notamment. Mais je voulais travailler avec un cabinet français indépendant. C’est une question d’attachement à la nation bien sûr, mais également de culture. Chez Franklin, la communication est directe et c’est ce que je recherchais. Tous les associés sont à égalité, il n’y a pas de managing partner.
Que pensez-vous apporter au cabinet ?
M. S. Mes compétences. En compliance bien évidemment, mais également en contentieux administratif et sur les projets d’infrastructures à l’international ou encore en droit social. J’ai exercé pendant environ trois ans en tant que juge administratif et mes fonctions d’élu, que ce soit en tant que député ou ministre [ndlr : de la Justice, de l’Économie et des Finances, de la Fonction publique et du Travail] m’ont permis de développer une connaissance fine des juridictions. Mais également de me construire une culture internationale importante : le ministre des Finances se déplace beaucoup dans les pays étrangers.
"Au-delà de la synergie d’expertises, Michel Sapin a un regard différent du nôtre : celui du public et du parapublic"
Cette expérience est très utile sur des dossiers relatifs à des projets internationaux, notamment d’infrastructures, traités par le cabinet. Par exemple, si les partenariats public-privé sont aujourd’hui en déclin en France, notamment en raison des risques juridiques et politiques qu’ils présentent, on voit émerger des projets qui utilisent un mécanisme très proche en Afrique. Cela est satisfaisant dans la mesure où c’est un outil de grande qualité et très performant.
Enfin, le dialogue social a toujours été très important pour moi. C’est pourquoi je contribuerai également à la pratique sociale.
Du côté de Franklin, quelle a été votre démarche ?
Jérôme Michel. Depuis bientôt vingt ans, notre approche a toujours été d’allier le droit des affaires au droit public et d’exploiter la diversité des parcours. Aussi, l’arrivée de Michel Sapin s’ancre parfaitement dans notre stratégie. Certes, au début, nous étions assez prudents car nous n’étions pas forcément en recherche de talents. Mais en rencontrant Michel Sapin, nous avons été convaincus de son envie d’exercer notre profession et de ses capacités à enrichir notre pratique. Ce qui est apparu comme une opportunité s’est transformé en un véritable coup de foudre.
Comment s’intègrent ces spécialités dans votre organisation ?
J. M. Nous intervenons d’ores et déjà dans tous les domaines de spécialité de Michel Sapin : droit pénal et compliance, droit public, droit social…. Et, au-delà de cette synergie d’expertises, il a un regard différent du nôtre : celui du public et du parapublic. Depuis son arrivée, il a déjà pu nous donner sa vision sur certains dossiers, notamment lors d’un important contentieux de droit public. Notre tandem est plutôt efficace.
Et, au-delà de cette culture du droit public que vous partagez tous les deux, les regards se tournent vers l’Afrique…
J. M. Tout à fait. Michel Sapin a déjà évoqué les projets d’infrastructures dans lesquels notre expertise commune des PPP est fondamentale. Mais il y a aussi les dossiers d’assistance de nos clients en matière réglementaire (nous avons conseillé la Mauritanie lors de la construction de son code de la propriété intellectuelle par exemple) mais aussi lors de projets énergétiques et financiers (au Congo, au Rwanda, au Burkina-Faso, en Côte d’Ivoire…). Or, pour pouvoir faire du bon travail dans la région, il faut connaître la culture des pays, leur population, leur histoire, etc. Ayant grandi en Afrique, j’y suis investi depuis ma tendre enfance et, depuis deux ans environ, je me plonge dans un grand nombre de dossiers réglementaires publics. Je me réjouis de ne plus être seul ! Avec Michel Sapin, nous sommes aujourd’hui cinq avocats à travailler sur des dossiers africains.
Quelle est la stratégie de Franklin pour l’avenir du cabinet ? Comment réagit le cabinet aux départs de plusieurs de ses associés ?
J. M. Reparlons en très prochainement !
Votre avenir à vous, Michel Sapin, pourrait-il à nouveau être politique ?
M. S. Écoutez, j’ai été élu de mes 28 à 65 ans. Et tous les mandats que j’ai visés, je les ai réalisés. À présent, je ne souhaite ni être en campagne, ni prendre la responsabilité d’un parti. Bien entendu, je continue d’entretenir une proximité avec François Hollande mais je n’ai plus l’envie de faire de la politique. Cette nouvelle profession libérale me permet d’être plus … disons-le : libre.
Propos recueillis par Pascale D’Amore et Romane Gagnant