Perzel, l'orfèvre de la lumière
L’entrée se fait par la rue de la Cité universitaire, dans le XIVᵉ, en bordure du parc Montsouris. Une adresse discrète, comme réservée à un public d’initiés, un siège aux allures d’atelier un peu passé, et à l’intérieur, un enchaînement de pièces aux murs blancs, presque dépouillées, simplement nimbées de lumière et saturées de luminaires aux formes épurées, les fameuses créations Perzel. Ici, on ne s’encombre pas de coquetteries marketing. On ne se soucie ni de codes du luxe à respecter ni de stratégie de fidélisation à déployer ; uniquement du produit. Celui qui, depuis près d’un siècle, se fabrique sur place ; dans l’atelier quasiment inchangé où, reconnaît Olivier Raidt, petit-neveu du fondateur et PDG de l’entreprise, travailler relève à la fois de la prouesse physique et de la création artistique. « Un sacerdoce » auquel les ateliers Jean Perzel doivent leur réputation d’orfèvres de la lumière et leurs créations celle d’œuvres d’art, réalisées à raison de quelque 900 pièces par an et recherchées dans le monde entier.
Artisanat d’art
À l’origine de ce statut d’exception, des procédés de création ancestraux, fondés sur la maîtrise du geste et non sur la performance de la machine. Une spécificité qui, explique Olivier Raidt, fait de chaque pièce une réalisation unique et de chaque étape de sa fabrication le fruit d’une transmission sur trois générations. « Ici on travaille comme le maître d’origine, à la main, indique-t-il. On taille le verre optique au diamant, sans découpes au laser ou à l’eau, sans que rien ne soit robotisé. » Résultat : chaque pièce nécessite soixante heures de travail et un savoir-faire hors du commun.
"Les autres font des séries, nous, nous travaillons à l'unité, dans un atelier où rien n'est rationnel mais où tout est comme chez un grand couturier, à la carte"
Élaboré par le fondateur des Ateliers lui-même, Jean Perzel, ancien légionnaire reconverti maître verrier en 1923, celui-ci est aujourd’hui perpétué par une dizaine de passionnés. Des irréductibles, durs au mal et intraitables dans leur art. « Certains sont là depuis trente-cinq ans », raconte Olivier Raidt. Ce sont eux, « les anciens », qui l’ont formé lorsque, à sa sortie d’école de dessins industriels, il rejoint l’entreprise familiale. « À l’époque j’étais parachutiste au Liban, dans la légion comme le grand-oncle, raconte-t-il. Je voulais de l’aventure, des grands espaces… Mes parents m’ont récupéré et dirigé vers une école de dessin technique pour me donner un socle, la culture du métier. » Le reste, il va l’apprendre sur place. Dans cet espace clos où, rappelle-t-il, « c’est l’humain qui fait la différence. » Le talent, l’excellence, l’endurance aussi. Ses frères et sœurs s’y essayent. Ils ne « tiendront pas ». Lui, si. « C’est là que j’ai appris le métier. Comme mon père qui a commencé à quatorze ans, avec, le soir, cours d’architecture, de dessin… et la journée, apprentissage à la dure dans les ateliers, aux côtés d’artistes aux profils de caïds. »
Œuvres cotées
Ces mêmes profils d’artisans d’exception, endurants et rigoureux, perpétuent aujourd’hui les procédés de fabrication qui, il y a plus de quatre-vingt-dix ans, poussaient la famille Rothschild à acheter l’intégralité de la première collection Perzel… « L’artisanat d’art relève d’une exigence folle, insiste-t-il. Il faut être un passionné pour tenir, sinon c’est impossible. Ici, on est habitué à une pression continue, à des conditions de travail très physiques…» Et formé à une totale polyvalence. Car, du dessin à la distribution en passant par la fabrication et la restauration, chaque étape est traitée en interne, dans les ateliers de ce petit immeuble construit au début des années 1930 par l’architecte Michel Roux Spitz et que la Maison Perzel n’a jamais quitté. Un lieu hors du temps où, insiste Olivier Raidt, « tout est fait maison », élaboré à la main selon des procédés inchangés depuis la création.
"Nos créations sont comme des grands crus : elles prennent de la valeurs avec le temps. C'est pourquoi une Perzel a la cote"
Ici chaque pièce est en bronze, assemblée à l’argent. Chacune est dessinée, découpée, mise en forme puis patinée selon une palette de 150 teintes, sablée et numérotée… Toutes sont démontables de manière à être restaurables. « Les autres font des séries, nous, nous travaillons à l’unité, résume Olivier Raidt. Avec des pièces découpées à partir de patrons en zinc, dans un atelier sur quatre niveaux où rien n’est rationnel mais où tout est comme chez un grand couturier, à la carte. » Chaque nuance de couleur, chaque détail de confection… avec la garantie, à l’arrivée, d’une pièce unique, signée et cotée. Une preuve d’excellence qui, pour son patron, confirme le statut à part des Ateliers Perzel dans l’univers d’un certain luxe pour initiés. « Nos créations sont comme des grands crus : elles prennent de la valeur avec le temps, résume-t-il. C’est pourquoi une Perzel a une cote. »
Ni café ni champagne
Une reconnaissance que justifie certes le design intemporel du style, sobre et épuré, minimaliste même, mais aussi l’efficacité technique sans pareille de luminaires à la sophistication discrète. « Les gens viennent acheter chez nous une élégance et un confort car Perzel, ce n’est pas que du design, c’est une efficacité d’éclairage incomparable, la possibilité de s’adapter à tous les volumes, d’offrir toutes les nuances d’éclairage, explique Olivier Raidt. À l’intérieur, nos produits offrent le même niveau de qualité que ce que l’on voit à l’extérieur : ce sont des Rolex, des mécanismes de haute précision. » Inusables et, insiste-t-il, inimitables. D’où le fait qu’il bénéficient tous d’une garantie à vie.
Si bien que lorsqu’il s’agit de vendre à un particulier (ce qui représente environ 50 % des ventes des Ateliers) la dimension de conseil, anecdotique chez d’autres, devient un ingrédient essentiel. Une étape de plus dans le processus de création de valeur qui, comme toutes les autres chez Perzel, est abordée avec rigueur. Quitte, parfois, à aller à l’encontre des idées de l’acheteur. « Ici on n’offre ni café ni champagne, mais on peut consacrer trois heures à conseiller un client, déclare Olivier Raidt. Pour chaque vente, je demande la hauteur de plafond, la surface au sol… parfois c’est un combat : je lutte avec l’acheteur dans son propre intérêt. Parce que je sens ce qui lui conviendra. Et cela aussi fidélise énormément. » Suffisamment, en tous cas, pour que les Ateliers Perzel (aujourd’hui labélisés Entreprise du patrimoine vivant) ne comptent plus les clients prestigieux qui, du monde de la politique à celui des artistes, du Ritz au Queen Mary, se fournissent depuis près d’un siècle dans son atelier en bordure du parc Montsouris.
Caroline Castets