Mardi 29 octobre 2024, moment de flottement à l’audition de Louis Aliot qui comparaissait pour détournement de fonds publics dans l’affaire des assistants parlementaires du Parlement européen de l’ex-Front national. L’ex-eurodéputé s’entête : son assistant triait bien son courrier.

Des bâillements, la langue d’un juge qui fourche, celle de l’auditionné qui reste de bois… Le public s’est un peu ennuyé le mardi 29 octobre 2024 dans la salle du tribunal de Paris où se jouait une énième audience dans l’affaire des assistants parlementaires des eurodéputés du Rassemblement national. Deux personnes passaient à la barre : Louis Aliot, député européen de 2014 à 2017, accusé de détournements de fonds publics, et Laurent Salles, qui fut son assistant parlementaire entre le 1er juillet 2014 et le 28 février 2015, mis en cause pour le recel de l’infraction de détournements et suspecté d’avoir en réalité travaillé pour Yann Maréchal-Le Pen.

Courrier et photocopies

Le tribunal enquête ce jour-là sur la réalité du contrat de travail entre Louis Aliot et Laurent Salles. On comprend vite que le travail de ce dernier n’avait rien de très motivant. Son employeur ne le conteste pas : Laurent Salles n’aimait pas son emploi d’assistant parlementaire local. Il voulait travailler au pôle événementiel du parti (ou Direction nationale des grandes manifestations, DNGM) pour Yann Maréchal-Le Pen. Et, “il a fini par y arriver”. Il a tout de même passé deux périodes d’essai, sans le savoir. “Ce n’était pas si fluide”, commente Louis Aliot. Pour l’ancien compagnon de Marine Le Pen, Laurent Salles devait, à titre principal, trier le courrier qui arrivait au siège. Pour le reste, il passait beaucoup de temps à la DNGM sous la houlette de la sœur cadette de la patronne du Front national. Cette dernière n’a pas mâché ses mots lors des interrogatoires de police lorsqu’on lui demandait si Laurent Salles travaillait “surtout à ses côtés” : “Oui, je confirme, mais il travaillait un peu pour Louis Aliot.” Le courrier ou les photocopies, a-t-elle ajouté. L’ancien assistant parlementaire, lui, avait affirmé, la première fois que les enquêteurs judiciaires l’ont interrogé en 2017, travailler essentiellement pour la DNGM. De même qu’il avait admis ne pas connaître le nom des autres assistants parlementaires, ses collègues, et n’avait pu décrire la teneur de ses missions pour Louis Aliot. Au second interrogatoire, en 2018, Laurent Salles se rattrape : il travaillait “à hauteur de 30 %” pour son député. Du courrier qu’il triait, il tirait une synthèse qu’il transmettait une fois par mois à son député, lorsqu’il le croisait au Carré à Nanterre, nouveau siège du parti qui avait vendu le “Paquebot” en 2011 pour éponger ses dettes. Laurent Salles adopte également la ligne de défense générale en ajoutant qu’un assistant accrédité ou local travaille dans tous les cas pour le parti.

“Ce n’est pas un assistant avec qui j’échangeais par SMS”

De son côté, Louis Aliot avait refusé, en décembre 2017, de se rendre à la convocation de la police sous couvert de son immunité parlementaire. Il ne s’est présenté que devant le juge d’instruction, avant de porter plainte pour violation du secret de l’instruction. “Je suis sorti du bureau des magistrats à 16h15. À 17h, l’AFP téléphonait à mon avocat pour avoir des infos. Voilà le niveau du respect des procédures en France aujourd’hui !”, avait-il twitté le 22 décembre 2017. Le numéro 2 du RN a d’ailleurs remis le sujet sur la table deux fois pendant que la présidente Bénédicte de Perthuis du tribunal le cuisinait sur la façon dont il travaillait avec son assistant. Il faut dire que les perquisitions des appareils téléphoniques laissent songeur, un SMS seulement ayant été relevé. Louis Aliot balaie l’argument : “Ce n’est pas un assistant avec qui j’échangeais par SMS.” Et de rajouter que ce n’est pas non plus “un travail qui nécessite de [l]’alerter pour un courrier”. Et puis, il le voyait toutes les semaines au siège du parti où Laurent Salles se rendait chaque jour (selon la badgeuse) pour aller à son bureau. Un bureau voisin de celui de Yann Le Pen qui badgeait à la même fréquence, dont il était l’assistant selon l’organigramme du parti publié en 2015, et avec qui il échangeait régulièrement par mail. Là encore, Louis Aliot a réponse à tout. Les cadres comme lui ne badgent pas. Concernant l’organigramme, il semble en désapprouver le contenu (selon lequel une vingtaine d’assistants d’eurodéputés occupaient des postes dans le parti) et regrette de ne pas avoir eu à l’époque “l’influence” nécessaire pour s’opposer à sa publication. Quant aux 316 appels passés entre lui et ses autres assistants parlementaires, ils étaient justifiés par la nature de leur travail, un “travail de fond”. L’un des avocats de la défense évoquera d’ailleurs plus tard le “jugement de valeur” se portant sur les tâches des uns et des autres dans ce dossier. Celles de Laurent Salles se limitaient au tri du courrier pour le volet Parlement européen, appuie la procureure Louise Neyton, tout en soulignant que ça n’a pas toujours été le cas et en ajoutant qu’une autre de ses missions a progressivement été passée sous silence. Dans une lettre répondant au directeur du Parlement européen qui soupçonne une utilisation frauduleuse par le parti des fonds de l’institution, Louis Aliot évoque “l’agencement d’agenda” effectué par son assistant. C’était en mai 2015. Une mission qui disparaît au fil des versions au profit du tri du courrier dont on n’a “que des synthèses verbales” et parce que le suivi d’agence d’agenda “ça laisse des traces” (synchronisation, mails...).

Parmi les autres travaux effectués par Laurent Salles aux côtés de Louis Aliot, on compte l’organisation du congrès du parti en novembre 2014. Et une galette des Rois organisée par la Fédération des Hauts de Seine, seul rendez-vous entre les deux hommes selon l’agenda consulté par les enquêteurs. Un événement que l’assistant parlementaire a contribué à mettre sur pied avec sa casquette de conseiller municipal de Suresnes. Alors certes, Laurent Salles devait travailler à Nanterre selon son contrat de travail, soit à plusieurs centaines de kilomètres de celui de son employeur qui habitait principalement à Perpignan, quand il n’était pas à Paris ou à Bruxelles… Difficile dans ces conditions de se voir régulièrement… Mais au FN, on est plutôt favorable au télétravail. “Un assistant parlementaire peut effectuer ses fonctions partout”, explique Louis Aliot.

Ça flotte

Si à la mairie de Perpignan – où Louis Aliot est maire –, les questions de ressources humaines sont résolues par un DRH, il n’en va pas de même au Parlement européen selon ce Toulousain qui “ne se destinai[t] pas à une carrière politique nationale”. Surtout en 2014, quand le Front national parvient à faire élire 23 députés et que c’est “la pagaille”. C’est à cette période que s’est tenue la réunion du 4 juin lors de laquelle Marine Le Pen aurait donné ses consignes de recrutement aux élus FN notamment celle de céder au parti deux des trois assistants rémunérés par le Parlement. Louis Aliot conteste : “Marine Le Pen n’a jamais dit ça.” Il se souvient pourtant de la réunion et du comptable Charles Van Houtte qui a été recruté pour ses connaissances sur le fonctionnement de l’institution permettant de gérer cette ribambelle d’eurodéputés. Cela n’a pas suffi à instaurer un processus d’entretien bien rodé. Comme Julien Odoul, Laurent Salles n’a pas passé d’entretien. Il a été recommandé à Louis Aliot par Nicolas Bay. Personne dans le tribunal ne parvient par ailleurs à savoir si l’assistant parlementaire a démissionné ou a été licencié. Ce qui fait dire à Louis Aliot qu’“on voit bien qu’il se passe des choses”. Et d’évoquer des “flottements”. La présidente demande : “Qu’est-ce qui flotte ?” Entre-temps, Marine Le Pen est rentrée à pas de loup dans la salle, ses dossiers sous le bras. Elle a préparé une intervention que la magistrate lui refuse. Ce n’est pas le moment. Depuis son arrivée, à l’écoute des débats, la candidate à la présidentielle secouait la tête en signe de désaccord. Le mouvement s’amplifie lorsqu’un des trois juges laisse échapper l’adjectif “faux” devant le mot “contrat” alors qu’il interroge Louis Aliot. L’auditoire se réveille, il se passe quelque chose. Finalement, les discussions reprennent sur le tri du courrier opéré par Laurent Salles. Pendant ces longues heures, Louis Aliot aura réussi à évoquer le sujet de sa thèse, ce qui a requis brièvement l’attention de la présidente (l’élection du président au suffrage universel direct), et la recommandation de Roland Dumas pour sa passerelle de professeur à avocat. Il rappelle également comment il est devenu maire de Perpignan en 2020, l’occasion d’exhumer l’épisode de la “fraude à la chaussette” des municipales de 2008 (lors desquelles il a obtenu  12,3 % des voix) qui avait défrayé la chronique. Vers 17 h, la question du droit pour un assistant parlementaire à travailler pour le parti refait surface. Le procureur prie la défense d’apporter ce texte de loi dont elle parle qui autoriserait les assistants parlementaires français à travailler pour leur mouvement politique sur leur temps parlementaire. Notamment lorsqu’on est graphiste comme Charles Hourcade, l’assistant de Marie-Christine Boutonnet, ou garde du corps comme Thierry Légier. Quoi qu’il en soit, depuis le départ de Laurent Salles, le courrier de Louis Aliot est transféré et trié à Perpignan.

Anne-Laure Blouin

 

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