Une partie du globe croisait les doigts pour qu’elle prenne la tête de la plus grande démocratie du monde. Si Donald Trump a eu la faveur des grands électeurs, sa victoire ne saurait effacer l’ascension fulgurante de Kamala Harris, juriste-politique, dont la personnalité a marqué l’année 2024.

Quand Kamala Harris annonce qu’elle veut devenir procureure pour mener son combat pour la justice, sa famille reste interdite. “L’application de la loi a un impact tellement direct et fort sur les plus vulnérables d’entre nous que ceux qui la font appliquer doivent être leur porte-parole.Dans le milieu où a grandi l’ex-candidate au poste de président des États-Unis, un procureur c’est un flic. Elle déroulera sa stratégie à ses proches comme on présente “une thèse”. Kamala Harris a fait du droit pour défendre les droits. La jeune femme se rêve en une sorte de Robin des droits en somme. L’un de ses biographes, Olivier Piton, avocat à Washington, écrit d’elle qu’“elle se battait particulièrement, et effectivement avec beaucoup de vigueur, contre les violences faites aux femmes, contre la corruption. Elle était en pointe sur les sujets sociaux. C'est son combat.”

Rainbow Sign

Fille d’un couple d’immigrés intellectuels, Kamala Harris a été biberonnée aux luttes sociales et raciales dès le plus jeune âge. Elle aime raconter qu’on l’emmenait aux manifestations en poussette. Selon la légende entretenue par Kamala Harris dans son autobiographie, ses parents sont tombés amoureux alors qu'ils marchaient ensemble pour la justice et les droits civiques. Son père Donald Jasper Harris, né en Jamaïque et naturalisé américain, était professeur émérite à l'université de Stanford. Économiste, il conseillait le gouvernement de son pays natal. S’il n’avait pas croisé le chemin de l’Indienne Shyamala Gopalan dans les couloirs de l’université de Californie à Berkeley, la jeune femme, débarquée à 19 ans aux États-Unis pour suivre des études scientifiques, aurait dû monter dans un avion-retour pour un mariage arrangé. Doctorante en endocrinologie – elle a reçu sa distinction l’année de la naissance de Kamala –, Shyamala Gopalan s’est illustrée dans la recherche sur le cancer du sein. C’est de cette union digne du rêve américain que sont issues Kamala, née en 1964, et Maya Harris, venue au monde deux ans plus tard, dans une Californie en ébullition, cœur battant du mouvement en faveur des droits civiques, de la contre-culture, du rejet de la guerre au Vietnam, et bastion des hippies.

Kamala Harris grandit et se forme dans un environnement ouvert où les adultes parlent aux enfants comme à des adultes. À Berkeley, elle habite à deux pas du Rainbow Sign, un centre culturel noir de la région de la “baie”. “C’était un espace d'apprentissage, qui se vantait d'avoir une bibliothèque remplie des dernières revues Black Arts et un studio qui organisait des ateliers sur l'art, la musique et la danse”, décrit la revue Slate. Le sexe féminin était à l’honneur au Rainbow Sign où se sont retrouvées, en avril 1971, plus de 350 femmes appelées par la Black Women Organized for Political Action, un groupe cherchant à encourager les femmes afro-américaines à s'impliquer davantage dans la politique. Kamala Harris expliquera dans ses mémoires que dans ce lieu, “les familles avec enfants étaient particulièrement les bienvenues à Rainbow Sign, une approche qui reflétait à la fois les valeurs et la vision des femmes à sa tête”. C’est aussi entre les quatre murs de ce bouillon de culture afro-américaine qu’elle croisera James Baldwin, Nina Simone, Alice Walker ou encore Shirley Chisholm, la première députée afro-américaine à se présenter à la présidence. Kamala claironne qu’elle n’avait rien d’une enfant exceptionnelle. On lui a implanté dans le crâne l’idée qu’elle l’était.

“Thurgood Marshall a compris l’importance de porter les passions de la rue jusqu’aux salles d’audience américaines

Aussi belle l’histoire de la rencontre de ses parents fut elle, le couple ne tient pas et en 1976, les deux sœurs Harris s’installent avec leur mère à Montréal. Cette mère dont Kamala Harris ne manque pas de rappeler l’influence majeure qu’elle a exercée sur elle, son parcours et sa force de caractère. “Ma mère mesurait à peine 1 mètre 50, mais donnait l’impression de faire 2 mètres.”

L'enfant, à la confiance dopée par cette mère ultra inspirante, se mue en étudiante hyper investie. La jeune femme s’inscrit à Howard, l’université de Washington DC que l’on surnomme le Harvard des noirs. Là-bas, elle choisit le droit pour les raisons que l’on connaît et noue avec l’art oratoire. Elle s’inscrit au club de féminin de débat. Pour ses amis de cette époque, elle devenait la meilleure quand les débats s’enflammaient. Influence de la figure paternelle ou pas, elle préside le cercle d’économie de la fac. “Et je faisais la fête aussi !”, s’amuse-t-elle sur les plateaux de télévision au cours de ses campagnes. Durant la dernière campagne des présidentielles américaines, Donald Trump avait mis en doute sa qualité d’avocate. “Fake news.” Si Kamala Haris a bien raté sa première tentative, elle a été admise au barreau de Californie en 1990. Elle s’ouvre les portes de l’arène judiciaire, sur les traces de son mentor Thurgood Marshall, qui “[avait] compris l’importance de porter les passions de la rue jusqu’aux salles d’audience américaines”, et qui est devenu le premier juge noir élu à la Cour suprême en 1967. Elle fera installer un buste de lui dans son bureau de vice-présidente. Elle vénérait aussi son grand-père indien qui s’est battu pour l’indépendance de son pays et qui rabâchait les oreilles de sa petite-fille avec l’importance de la démocratie et de la lutte contre la corruption.

Oratrice talentueuse

Dans la foulée, celle qu’on qualifiera bientôt de Barack Obama au féminin intègre la machine judiciaire américaine. À commencer par le bureau du procureur du comté d'Alameda où elle s'est spécialisée dans les poursuites en matière d'agression sexuelle sur enfant. En 1994, on apprend dans la presse américaine que Kamala Harris fréquente Willie Brown, ancien avocat et chef de la majorité démocrate à l’Assemblée de Californie, élu maire de San Francisco en 1996. D’aucuns – souvent situés dans le camp républicain – soulignent le bénéfice qu’a tiré Kamala Harris alors âgée de 29 ans de sa relation avec le soixantenaire, qui “passait pour l’homme politique afro-­américain le plus puissant du pays” dans les années 1980-1990 et qui a introduit la jeune juriste dans les sphères démocrates, selon Le Monde. Leur relation n’aurait duré qu’un an.

Kamala Harris a 38 ans lorsqu’elle remporte l’élection au poste de procureur de San Francisco, en 2004, et détrône son ancien patron, Terence Hallinan, aux côtés de qui elle travaillait depuis six ans. Sur les antennes américaines, on s’étonne de la victoire de cette fille “sortie de nulle part”, qui partait avec seulement 6 % d’intention de vote. L’intéressée, qui ne doutait pas de ses capacités, se déclarait soutenue par toutes les associations d’avocats. Ses principes sont soumis à rude épreuve dès ses premiers mois en tant que procureur. Les syndicats de police lui réclament la peine de mort pour le meurtrier d’un des leurs, un jeune garçon qui laissait derrière lui une femme enceinte. Inflexible, Kamala Harris ne cède pas. Ses anciens collègues disent d’elle qu’elle était exceptionnellement douée pour “canaliser les émotions dans un plaidoyer très convaincant”, coinçant les jurés qui n’avaient pas d’autre choix que de suivre ses réquisitions. Autre bon point de son mandat qu’elle aime à rappeler sur son compte Instagram : “En tant que procureur de San Francisco (…) j’ai contribué à faire de la Californie le premier État à interdire l’argument de la ‘panique gay/trans’, qui était souvent utilisé pour justifier d’horribles violences contre la communauté LGBTQ+.”

Parmi les objectifs de Kamala Harris : la réappropriation par les Afro-Américains de la justice pénale. Elle disait se battre pour que cette catégorie de la population cesse d’être privée de droits civiques, et victime de profilages raciaux ou d’abus de pouvoir. Ses vœux progressistes ont pu parfois se teinter d’une forme d’autoritarisme. À San Francisco, elle s’est lancée dans une guerre contre l’absentéisme à l’école, convaincue par une étude qui disait que les gens sans diplôme d’études secondaires avaient plus de chance d’être impliqués dans une activité criminelle ou d’en être victimes. Les habitants du district trouvèrent alors un courrier dans leur boîte aux lettres indiquant qu’en cas d’absence répétée de leurs enfants à l’école, leurs parents seraient convoqués au tribunal.

Faire craquer le patron de Facebook

Kamala Harris est propulsée aux fonctions de procureure générale de Californie en 2011. Comme pour son précédent poste, c’est la première fois qu’une femme, et noire en prime, obtient ce poste. Son spot de campagne pour le poste de procureur général de Californie vante ses créations : unité de protection des mineurs, de justice environnementale et de prévention. Elle veut réparer le système judiciaire. Six ans plus tard, elle fait son entrée au Sénat et représente la Californie au Congrès des États-Unis. Elle est la deuxième femme afro-américaine élue au Sénat américain depuis 1789. Ses talents d’interrogatrice font d’elle une sénatrice efficace. Ses questions sont sans détour et laissent souvent ses interlocuteurs sur le carreau. Comme cette fois où elle a demandé au juge de la Cour suprême Brett Kavanaugh, dans les auditions Sénat-Cour suprême, s’il existait une loi qui conférait au gouvernement le pouvoir de décision sur le corps des hommes. C’est aussi elle qui a fait craquer Mark Zuckerberg convoqué dans le cadre de la fuite de données Facebook-Cambridge Analytica. Le père du premier réseau social mondial a fini par admettre une erreur de Facebook qui n’a pas informé ses utilisateurs du piratage de ses données. Au Sénat, elle défend tout ce que Donald Trump menace : les droits des femmes, la santé, l’environnement…

Quand elle se lance dans la campagne politique pour la présidence de 2020, l’engouement qu’elle suscite dans les débuts ne dure pas. On connaît la suite : elle devient la première femme vice-présidente des États-Unis du démocrate Joe Biden, qu’elle a pourtant recadré quelques mois plus tôt sur le sujet de la ségrégation qu’elle a personnellement vécue. Celle dont Trump a dit qu’elle est “devenue” noire (“Elle est indienne ou elle est noire ?”) a participé enfant à un programme de déségrégation. Un bus la déposait elle et d'autres écoliers de couleur dans un établissement d'un quartier blanc. Expérience ratée : les élèves noirs ont été chassés à coup de cailloux par les enfants blancs.

Copala

Son profil pour le poste de président des États-Unis semblait parfait. C’était sans compter l’étiquette de super flic qui lui colle à la peau. Elle hérite du surnom de “Copala” (contraction de “cop” et “Kamala”). Celle qui a passé douze ans au sein de la justice californienne et défendu des causes progressistes comme le mariage gay, a, en parallèle, envoyé beaucoup de gens derrière les barreaux. Oprah Winfrey l’appelle “procureur superstar” à cause de son taux de condamnation record à 90 %. Son programme de lutte contre la récidive “Back on Track” inspire d’autres États. Qualité ou défaut pour une future présidente ?

Autre angle mort cinglé par ses adversaires : son programme économique. Le biographe Olivier Piton le décrypte : “C'est une juriste, elle vient du droit. Si elle sort des sujets sociaux, elle reste floue.” Les éditorialistes du Wall Street Journal lisaient le programme économique de Kamala Harras comme un prolongement des politiques ancrées à gauche de Joe Biden. “Plus de dépenses, plus d'impôts, plus de règles, plus de gouvernement.” Finalement, elle s’affichait moins radicale que son président qu’il s’agisse des hausses d’impôts pour les plus riches, ou des hausses de l’impôt sur les sociétés. Pour Sam Sutton, qui couvre les questions financières pour le journal Politico, Kamala Harris a suscité l'adhésion chez une partie des acteurs de Wall Street qui la cernait comme “plus pragmatique” que Joe Biden en matière de politique économique et fiscale. Kamala Harris se voulait “pro business” avec un plan de taxation moins ambitieux sur les revenus du capital. Elle a su flatter l'industrie du private equity, avec certaines fleurs fiscales comme celle de la participation salariée dans les entreprises. Preuve qu’elle sait négocier avec le milieu des affaires : elle obtient en 2012 le versement de 20 milliards de dollars de dédommagement pour les propriétaires de Californie dont elle est procureure – des familles de la classe moyenne menacées de saisie, par les cinq plus grandes banques américaines considérées comme responsables de la crise financière des subprimes. Héritière d’une situation inflationniste pesante pour les ménages américains que son prédécesseur n’a pas su résoudre, Kamala Harris entendait jouer sur la concurrence et se pencher sur le cas des entreprises qui gonflent les prix de manière indue, notamment ceux des denrées alimentaires. “La concurrence est le poumon de l’économie. Plus de concurrence signifie des prix plus bas”, scandait la démocrate en meeting. Et de se parer de son expérience de procureure de Californie pour signifier à son public qu’elle saurait lutter contre les abus des grandes entreprises.

La flamboyante Kamala a disparu des radars depuis sa défaite. Elle s’est envolée à Hawaï avec son mari Douglas Emhoff et ses beaux-enfants, Cole et Ella qui l’appellent “Momala”. Histoire de prendre quelques jours de repos dont personne ne dira qu’ils ne sont pas mérités. La candidate déçue pourtant soutenue par Lady Gaga, Léonardo Di Caprio, George Clooney, Jennifer Lopez, Eminem, Beyoncé, Bruce Springsteen, Steevie Wonder, ou encore Taylor Swift, n’a pas encore dévoilé au monde ses projets pour la suite. Bakari Sellers, avocat, commentateur politique et homme politique américain, ancien représentant de Caroline du Sud et aussi proche allié de Harris pense que Kamala Harris “peut faire tout ce qu'elle veut. Elle est plus que capable. Elle a donné à ce pays plus que suffisamment. Elle peut aller dans le secteur privé et gagner de l'argent. Elle peut aller dans une école de droit et enseigner (…) Elle peut devenir gouverneur de Californie et faire table rase du terrain. Elle peut se présenter à nouveau à la présidence. Ou elle peut tout simplement dire au diable et aller passer du temps avec Dougie”. Selon des sondages américains réalisés dans la foulée des résultats électoraux, “si la primaire présidentielle démocrate de 2028 avait lieu aujourd’hui” Kamala Harris récolterait le soutien d’une majorité des démocrates. En cette journée du 6 janvier, la belle perdante, en qualité de présidente du sénat des États-Unis, devra confirmer publiquement la victoire de son adversaire Donald Trump. Un passage obligé pour la plupart des présidents sortants. Nul doute que Kamala Harris le fera la tête haute. 

 Anne-Laure Blouin

 

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