Le PNF fêtait le 14 octobre 2024 ses dix ans d’activité : 3 200 procédures, 532 condamnations, pour un total 12,217 milliards d’euros d’amendes. Prochain défi : l’intégration des nouvelles technologies dans le travail d’enquête face à des circuits de fraude toujours plus perfectionnés.
10 ans du PNF : colloque en grande pompe à la cour d’appel de Paris
PNF. Trois lettres entrées dans le langage commun de la justice. Preuve, selon Marie-Suzanne Le Quéau, procureure générale de Paris, que le Parquet national financier a su, depuis dix ans, s’imposer dans le paysage judiciaire et la société française. Né après le scandale de l’affaire Cahuzac, locataire de Bercy coupable de blanchiment d'argent provenant de fraude fiscale, ce parquet achève un mouvement de spécialisation des magistrats lancé au début des années 2000, avec notamment les assistants spécialisés, rappelle Laureline Peyrefitte, Directrice des Affaires Criminelles et des Grâces, qui entamait le discours d’ouverture du colloque d’anniversaire du PNF.
Le PNF peut se targuer de 3 200 procédures, 532 condamnations – 111 rien que pour l’année 2023 –, pour un total 12,217 milliards d’euros d’amendes en faveur du Trésor public, rappelle son chef Jean-François Bohnert qui se demande s’il faut louer l’insolente jeunesse ou l’âge de raison de l’institution. Et salue la plupart des personnalités présentes, têtes des autorités d’enquêtes françaises et étrangères. États-Unis, Luxembourg, Côte d’Ivoire, Monaco… Les homologues du PNF étaient représentés en nombre à la cour d’appel de Paris où se déroulaient les festivités. Comme pour illustrer les louanges des trois intervenants (Marie-Suzanne Le Quéau, Laureline Peyrefitte et Jean-François Bohnert) sur la place que s’est faite le PNF à l’international. L’institution judiciaire française a rempli ses promesses en renforçant la crédibilité de la France aux yeux des investisseurs étrangers – un véritable enjeu de souveraineté –, en nouant des liens avec ses homologues étrangers, comme le Departement of Justice américain ou le Serious Fraud Office, et en endossant le rôle d’interlocuteur de premier plan sur la scène internationale. La Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) que personne n’a oublié de mentionner – en soulignant qu’elle était un “fabuleux outil de recouvrement pour les finances publiques”, de traitement efficace et rapide des atteintes à la probité causées par des personnes morales – a contribué à ce succès. Tout comme le maillage institutionnel très dense sur lequel le PNF, devenu “pièce maîtresse de notre système judiciaire, pionner d’une nouvelle ère d’une justice spécialisée”, s’appuie en travaillant main dans la main avec Tracfin, l’Agence française anticorruption, l’Autorité des marchés financiers, la Haute Autorité pour la transparence, la Maison des lanceurs d’alerte, les cours des comptes, et en multipliant les protocoles ces six dernières années avec ces autorités pour définir les modalités de leur collaboration (qui fait quoi ?).
“Le PNF a contribué à la moralisation de la vie publique réclamée par l’opinion”
Pour faire court, le PNF a grandement contribué à la “modification de la structuration du traitement judiciaire de la grande criminalité”, selon les mots de Laureline Peyrefitte. Une évolution bienvenue dans un monde où le crime est de plus en plus performant. Pour traquer les comportements déviants couverts par le PNF – atteintes aux finances publiques (fraude fiscale complexe, escroquerie à la TVA de grande complexité…), à la probité (corruption, trafic d’influence, favoritisme…), au bon fonctionnement des marchés (délit d’initié, diffusion d’informations fausses ou trompeuses…) – et ceux faussant le libre jeu de la concurrence (entente illicite, abus de position dominante), 20 magistrats spécialisés en matière économique et financière mènent un travail d’équipe avec neuf assistants spécialisés en fiscalité, droit boursier, comptabilité, marchés publics, droit de la fonction publique, saisies-confiscations ou encore informatique, le tout chaperonné par Jean-François Bohnert, ancien procureur de Reims, membre du collège de l’Autorité de la concurrence entre 2016 et 2019 et ex-numéro 2 d’Eurojust. Cet Alsacien, qui parle couramment anglais et allemand, avait été pointé du doigt en 2017, notamment par une tribune écrite par des magistrats dans Marianne, pour avoir lancé en retard l’enquête contre le cabinet McKinsey, une fois l’affaire révélée par la presse. Depuis, il se défend régulièrement contre les piques politiques envoyées au PNF. "Le Parquet national financier ne fait pas de la politique", expliquait-il au micro de France info en mai dernier. “Nous ne cherchons pas, évidemment, ni à plaire ni à déplaire, ce n'est pas un objectif en soi. Mais il est certain que notre activité, je le conçois, peut déranger.” Marie-Suzanne Le Quéau a d’ailleurs rappelé les nombreuses critiques et les crispations qui ont accompagné l’institution dès sa création, qui serait un “instrument politique pour museler l’opposition”. Des doutes dissipés par la liste des personnalités politiques et médiatiques inquiétées par une enquête du parquet spécialisé (François Fillon, Michel Mercier, garde des Sceaux de Nicolas Sarkozy, l'ancien patron de l'UDI Jean-Christophe Lagarde, Serge Dassault, Éric Dupond-Moretti, Isabelle Adjani, Anne Hidalgo, etc.). “Au contraire, le PNF a contribué à la moralisation de la vie publique réclamée par l’opinion”, affirme la magistrate.
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50 millions de pages de données
Le vent a tourné pour l’institution, qui en une décennie a assisté à la métamorphose du crime. “Il y a dix ans, on s’inquiétait de la fraude fiscale et dans la classe politique, aujourd’hui ce sont les parcours des flux et du blanchiment d’argent qui nous menacent.” Et pour cause, on évalue le montant du blanchiment d’argent à travers le monde à plus de 1 600 milliards de dollars. Or, appelle Marie-Suzanne Le Quéau, “priver les organisations mafieuses de leur argent c’est signer leur arrêt de mort, et le PNF a toute sa place pour aider à débusquer les circuits de blanchiment”. C’est un défi que l’avenir lance au parquet. Jean-François Bohnert en profite pour placer quelques suggestions, comme celle d’aligner le régime de l’enquête préliminaire fiscale et financière sur celui de l’enquête en criminalité organisée, “judicieux voir indispensable”, ou de créer un fonds de concours de modernisation de la justice pour nourrir les ressources de la justice dans sa dimension judiciaire et à hauteur des services d’enquête spécialisés. Autre point d’attention : la complexification des relations géopolitiques qui interfèrent dans les relations entre le PNF et les autorités étrangères, et le passage à l’ère des perquisitions numériques. Le PNF a récemment récolté 50 millions de pages. Inexploitable à court terme par les humains, ce flux de données impose l’assistance de la technologie. De l’intelligence artificielle pour ne pas la nommer.
Anne-Laure Blouin
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