Le Cercle d’éthique des affaires fête ses 30 ans. L’occasion pour sa présidente Stéphanie Scouppe, directrice de l'éthique et des données personnelles du groupe Aéroports de Paris (ADP), de dresser le bilan de l’association et de répondre aux questions de Décideurs Juridiques sur les enjeux éthiques, de compliance et RSE du moment.

Décideurs Juridiques. Le Cercle d’éthique des affaires (CEA) fête ses 30 ans. Quel bilan dresse-t-il de son activité ?

Stéphanie Scouppe. Le Cercle compte 130 membres qui réfléchissent à des sujets de compliance pure, comme les sujets d’anticorruption par exemple, ou encore les enjeux émergents tels que l’IA. La soft law nous importe autant que la hard law. Avec les “clubs pro” et les intervenants extérieurs qui abordent des sujets présents au cœur de l’activité des entreprises (enquêtes internes, notations extrafinancières et sujets émergents), nos membres prennent de la hauteur. Avec les “formats librairie”, un auteur vient présenter son ouvrage. L’occasion pour les membres du Cercle de réfléchir hors de leur cadre quotidien. La force du Cercle, c’est aussi la relation de confiance qui lie ses membres entre eux. Lors des rencontres du CEA, ils se sentent libres d’échanger sur les bonnes pratiques qu’ils ont adoptées ainsi que sur les difficultés qu’ils rencontrent. Et puis le Cercle possède un bureau de bénévoles qui s’engagent pleinement.

Quelles réactions constatez-vous du côté des entreprises, lesquelles doivent parfois revoir de nombreux aspects de leur fonctionnement pour se conformer aux normes relatives aux problématiques éthiques, RSE, HSE, etc., de plus en plus exigeantes ?

Quand j’ai commencé au début des années deux mille dans le développement durable, les sujets relatifs à l’environnement, la biodiversité et l’inclusion émergeaient. Ils ont connu un apogée avant d’être quelque peu supplantés par l’éthique des affaires. Cela s’explique notamment par l’impact du FCPA [le Foreign Corrupt Practices Act est une loi fédérale américaine de 1977 pour lutter contre la corruption d'agents publics à l'étranger, NDLR] sur les entreprises. Siemens ou Alstom ont payé un lourd tribut. Les entreprises ont dû se défendre et mettre en place des dispositifs robustes.

Aujourd’hui, tous ces sujets se recoupent. Il y a vingt ans, les normes RSE existaient déjà, mais manquaient de maturité. Depuis, la régulation s’est densifiée. Elle exige que les entreprises réinstaurent de la transversalité. Qu'elles fassent travailler ensemble la direction financière avec celles du développement durable, de l’éthique ou des risques. Les entreprises doivent aussi engager une réflexion stratégique sur les messages qu’elles veulent faire passer. Prenons la directive CSRD qui établit un indicateur “plainte”. Ce dernier peut à la fois renvoyer à des alertes qui remontent à la RH ou à des alertes qui transitent par l’intermédiaire du dispositif d’alerte. Sans une définition claire du mot “plainte”, on risque de faire remonter tout et n’importe quoi. Il y a vingt ans, les entreprises communiquaient sur des indicateurs qu’elles considéraient comme des enjeux majeurs. Il était impossible de comparer une entreprise à une autre, avec des indicateurs et des unités propres à chaque firme. D’où le besoin d’uniformisation.

Quel regard le Cercle porte-t-il sur le devoir de vigilance ?

Le devoir de vigilance génère une responsabilité élargie pour les entreprises qui ne peuvent limiter leur surveillance à leurs propres sites et propres activités. Ou se cacher derrière la sous-traitance ou la “clause qui va bien”. Cela change fondamentalement la nature des relations de l’entreprise avec l’ensemble des parties prenantes. Si avant les sociétés échangeaient avec les parties prenantes internes, les associations territoriales ou environnementales, ou encore les associations de riverains des sites, elles doivent aujourd’hui surveiller toute la chaîne de valeur.

Lorsqu’une entreprise prend des engagements sur l’inclusion, le travail des enfants ou la biodiversité, les observateurs vont pointer du doigt toutes les zones d’incohérence. Une entreprise n’a plus le droit à l’erreur. Elle doit incarner tous ses engagements à tous les niveaux et sur tous les sujets. Un exercice difficile pour les très grandes entreprises. C’est d’ailleurs ce qui a conduit certaines d’entre elles, comme ADP, à ouvrir leur système d’alerte aux collaborateurs de leurs sous-traitants ou de leurs fournisseurs. Les sociétés doivent pouvoir interpeller leurs partenaires sur des problématiques RSE.

Dans un tweet, le Cercle aborde la question du conscious quitting. À quel point cette question de la prise en compte du besoin de sens chez les collaborateurs intéresse-t-elle les dirigeants ?

Cette question est essentielle. Une entreprise n’existe pas sans les hommes. Dans notre baromètre de 2023, 89 % des salariés interrogés se disent prêts à quitter leur société pour des cas de harcèlement ou de discrimination et 82 % pour des cas de fraude, de blanchiment ou de corruption. Par ailleurs, 79 % des travailleurs estiment que l’éthique est une nécessité. Le Covid a changé le monde. Avec le télétravail dû aux confinements, les relations interpersonnelles se sont transformées : multiplication des réunions teams, surcharge de travail et perte du relationnel dans le travail quotidien. La crise sanitaire a posé la question du sens de la vie à tout le monde. Les entreprises doivent faire face à une pénurie de candidats : l’équilibre des forces a donc été modifié. Les gens osent plus facilement changer d’entreprise. La quête de sens interroge la relation qu’ont les salariés avec leur entreprise et leurs équipes, ou la matière qu’ils travaillent. Le défi pour les structures va consister à créer de l’attachement, ailleurs que dans les bureaux. Et à réviser le modèle managérial, les conditions de travail et les valeurs proposées. Les jeunes générations accordent plus d’importance à leur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Nombre de jeunes recrues demandent si la structure pratique la semaine de quatre jours.

En matière de numérique et d’IA, quelles sont les réflexions du Cercle sur ces questions ?

La première réflexion, c’est que l’IA doit être accompagnée d’un questionnement éthique sur ses finalités, son impact sur les collaborateurs et la dimension environnementale. Appréhender c’est questionner. Certaines sociétés ont déjà mis en place des comités d’éthique qui se penchent sur le sujet. Comment accompagner les collaborateurs ? Faut-il restreindre l’accès à l’IA certains d’entre eux ? Comment acculture-t-on les collaborateurs qui craignent le remplacement ?

Quels sont les enjeux éthiques à venir ?

La responsabilité de l’entreprise s’élargit. Il faut balayer les angles morts pour anticiper les enjeux émergents. Par exemple, la sobriété qui est demandée aux acteurs économiques les conduit à envisager des stratégies de renoncement et à se préparer à une société post-croissance, un point que le Cercle aborde dans son Cahier des tendances de 2022. Les entreprises doivent adopter une logique de compliance, pas seulement au sens de la conformité juridique, mais au sens de la diffusion d’une culture qui doit permettre à chaque collaborateur de se poser des questions. Tout va très vite, on ne sait pas encore ce qui va émerger demain, comme l’IA dont on effleure à peine les implications. Il existe également des enjeux géopolitiques. Le jeu du bloc Russie-Chine-Inde a déjà des conséquences sur des entreprises qui se sentent prises en étau. Le Cahier des tendances du Cercle de 2022 évoque le fait que le monde multipolaire et ses tensions contraignent les multinationales à assumer une réelle responsabilité (géo)politique.

Propos recueillis par Anne-Laure Blouin 

Le 18 octobre prochain, le Cercle d’éthique des affaires organise une soirée pour ses 30 ans. Fondé en 1993, le Cercle d'Éthique des Affaires est la plus ancienne association française regroupant les professionnels de l'éthique et de la conformité. En 2011, ses statuts ont été modifiés pour suivre l'évolution de la profession afin de devenir un groupe de réflexion de premier plan où chercheurs et praticiens peuvent échanger librement sur les sujets d'éthique et de conformité.

Crédit photo : Sébastien Aubry

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