Rejoindre un cabinet ou bien ouvrir sa propre structure ? Telle est la question que se posent de nombreux avocats, parfois après plusieurs années dans un cabinet, parfois à peine la robe enfilée. Crainte de la solitude et bienfaits d’une liberté préservée : retours d’expérience.
Ces avocats qui ont fait le choix de l’indépendance
Prendre le contrôle sur son exercice, renforcer ses liens avec ses clients, rééquilibrer sa pratique professionnelle avec sa vie personnelle… Les raisons qui poussent un avocat à devenir indépendant sont nombreuses et diffèrent selon les profils. Après onze années d’exercice dans des cabinets internationaux tels que Baker McKenzie ou EY, Alexandre Brochard, avocat en fiscalité patrimoniale, a sauté le pas il y a près d’un an : “Je voulais garder une approche technique du métier mais aussi être davantage impliqué dans la vie de mes clients.“
“Je voulais accompagner mes clients de A à Z. Je voulais être un conseil à part entière“
L’avocat se plaisait dans les “grosses structures“ – elles lui ont permis de travailler sur des dossiers internationaux, complexes et intéressants. “Dossiers auxquels j’avais accès grâce au nom du cabinet et sans forcément avoir besoin de me battre“, reconnaît-il. Seulement avec le temps, il s’interroge sur ses envies professionnelles. “J’ai me suis rendu compte que j'étais vu dans ces structures comme une sorte de référent technique alors que, en tant qu'avocat en fiscalité patrimoniale, je voulais accompagner mes clients de A à Z. Je voulais être un conseil à part entière et c’est la raison pour laquelle j’ai réfléchi à m’installer.“
De son côté, Christine Méjean, avocate en droit pénal des affaires, exerce en tant qu’indépendante depuis plus de dix ans : “Je voulais trouver un équilibre différent entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle, être à mon compte et faire quelque chose qui ait du sens pour moi.“ Devenue avocate sur le tard, après dix ans passés comme ingénieure financière, elle a fait ses classes chez Metzner Associés. Elle ne restera pas bien longtemps : “Après deux années de collaboration, je me suis installée rapidement car je voulais entreprendre.“
“Maintenant ou jamais“
Conserver ou créer sa clientèle reste une problématique essentielle pour les avocats qui s’installent seuls. Du fait de ses expériences passées, Alexandre Brochard explique avoir réussi à conserver beaucoup de ses clients internationaux : “Travailler dans des structures avec des bureaux présents à travers le monde m’a permis de développer un réseau international. Sans la puissance de la marque internationale, je craignais de perdre cet écosystème, mais cela n’a pas été le cas : certains de mes anciens clients et anciens partenaires professionnels conscients de mon expertise continuent de me faire confiance.“ De son côté, Christine Méjean voulait mettre en avant son hyperspécialisation : “Je sais faire des choses très techniques qui peuvent servir dans des missions complexes mais au début je n’avais pas de réseau professionnel dans le monde du droit. J’ai été confrontée à la difficulté de me faire une place sur le marché.“ Qu’à cela ne tienne, elle crée un réseau de femmes avocates aujourd'hui dénommé 1900 avocates fonde en 2019 le cabinet Abyl Avocats pour permettre à des avocats indépendants spécialisés d'intervenir ensemble sur des missions complexes : “Nous pouvons faire en sorte, collectivement, que le travail en indépendant soit plus facile. Surtout quand, au début de notre pratique en indépendant, nous avons peu de réseau.“
Et si l’idée d’un exercice solitaire inquiète ? Face à ce constat, chacun réagit différemment. Si Alexandre Brochard reconnaît être seul dans sa structure, il explique ne jamais être isolé : “J’ai des confrères très proches et je ne suis jamais vraiment seul techniquement car j’échange avec d’autres praticiens du droit. J’ai même l’impression d’avoir une pratique plus collégiale qu’auparavant, comme je m’implique plus pour mes clients, je finalise toutes les procédures et je travaille avec de nombreux confrères et partenaires de l'écosystème des familles (notaires, family offices, experts comptables).“
Penser l’avenir
Le choix de l’indépendance n’est pas forcément une évidence, tout de suite, pour tous les avocats. “Bien avant même d’y penser, j'avais l'impression que c’était un constat d’échec d’être seul dans son cabinet après avoir exercé dans une grosse structure. Désormais, je crois que les gens que j’ai jugés avaient les mêmes constats que moi et que beaucoup d’autres“, avoue l’avocat en fiscalité patrimoniale. Organiser son temps de travail librement, gérer son taux horaire, ne rendre de comptes à personne : travailler pour soi présente de nombreux avantages dont celui de la simplicité de communication. Alexandre Brochard confirme : “Je travaille avec des family offices, des notaires et des experts comptables, les axes de communication sont plus simples. Si je veux écrire un article ou donner des formations, je le fais, je suis plus libre dans ma pratique car je décide de tout.“
“Prenez garde à bien vous entourer pour ne pas vous retrouver seul“
Maîtriser la technique, avoir confiance en ses capacités, s’assurer d’avoir une clientèle suffisante… Franchir le cap de l’indépendance, c’est surtout savoir se lancer au bon moment. Un temps de formation supplémentaire étant nécessaire après l’obtention de son Capa pour être opérationnel, se lancer directement après ses études n’est pas toujours “souhaitable“. “On n’est pas vraiment autonome avant cinq ou six ans d’expérience. Il y a une nécessité de se former et les grosses structures permettent d'acquérir une très bonne méthodologie et de faire ses armes techniquement et socialement. Le risque quand on se lance trop vite c’est de se dégoûter du métier“, considère l’avocat. Un avis que partage sa consœur spécialisée en droit pénal des affaires : “Deux années de collaboration c’était court. Si j’avais commencé par le métier d’avocat, et si je n’avais pas l’expérience de huit ans de métier, je me serai peut-être lancée moins vite“. Dans tous les cas, “prenez garde à bien vous entourer pour ne pas vous retrouver seul“, conseille Christine Méjean à ceux qui voudraient suivre son exemple.
Estève Duault