Soupçonnée de greenwashing, Shein fait l’objet d’une enquête ouverte par le gendarme de la concurrence italien. Il accuse le géant chinois de la fast fashion de produire des “affirmations environnementales génériques, vagues, confuses et/ou trompeuses ”.
Greenwashing : Shein dans le viseur de l’autorité de la concurrence italienne
L’enseigne de prêt-à-porter Shein pratiquerait-elle le greenwashing ? C’est en tout cas ce que soupçonne l’autorité de la concurrence italienne (AGCM), qui a ouvert une enquête à l’encontre de la société de gestion du site web de Shein, Infinite Style Services Co., basée à Dublin.
“Affirmations environnementales génériques, vagues, confuses et/ou trompeuses”
Sur son site, la firme chinoise promeut sa nouvelle gamme de vêtements evoluSHEIN by Design : des produits conçus avec des “matériaux à faible empreinte carbone, des tissus récupérés et des fibres sans danger pour les forêts”.
Des affirmations que le gendarme italien de la concurrence qualifie de “génériques, vagues, confuses et/ou trompeuses”. Pour lui, les vêtements de cette gamme prétendument écoconçue ne peuvent en réalité plus être recyclés, contrairement à ce que laisse penser la campagne publicitaire de la marque.
Les onglets #SHEINTHEKNOW – qui a été supprimé depuis - et responsabilité sociale du site présentent également l’enseigne de fast fashion comme soucieuse de l’environnement et de son empreinte carbone : “SHEIN s’engage à réduire les émissions absolues de gaz à effet de serre (GES) sur l’ensemble de sa chaîne de valeur de 25 % d’ici à 2030 et s’engage à ne plus en émettre en 2050 au plus tard” explique la page consacrée à la responsabilité sociale.
En pratique, le son de cloche est quelque peu dissonant. Les derniers rapports de durabilité de Shein indiquent au contraire que ses émissions de gaz à effet de serre augmentent depuis deux ans. Connue pour le renouvellement ultrarapide de ses collections, l’enseigne proposerait entre 7 000 et 10 000 nouveaux articles par jour, d’après une étude menée par l’association Les amis de la Terre. Le coût écologique de leur production s’élèverait de 15 000 à 20 000 tonnes de Co2 par jour, soit plus de quinze vols de Paris à New-York. À titre de comparaison, la marque de sneakers éthiques Veja affichait en 2019 une empreinte carbone annuelle de 36 867 tonnes.
Si l’autorité de la concurrence a vu juste, Shein risque jusqu’à 10 millions d’euros d’amende, soit 0,03 % de son chiffre d’affaires, estimé à environ 30 milliards d’euros en 2023.
La lutte contre la fast fashion au cœur des politiques
L’Italie n’est pas le seul pays de l’Union européenne à se soucier des répercussions de la fast fashion sur l’environnement. En France, plusieurs dispositions législatives – dont la loi climat et résilience – luttent contre les “green claims”. Ces publicités qui vendent des produits “respectueux de l’environnement” ou “neutres en carbone” sont désormais interdites, à moins de présenter la “preuve tangible” de leurs affirmations.
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La Commission européenne est également sur le coup : une proposition de directive en date du 22 mars 2023 entendant légiférer sur la question des allégations écologiques trompeuses est dans les tuyaux et a déjà reçu l’aval du Parlement européen le 12 mars 2024. Elle indique aux entreprises le type d’information à fournir pour justifier leurs allégations de marketing environnemental. Et instaure notamment des délais pour la vérification des preuves, et des sanctions. Sans compter que Bruxelles a déjà frappé une première fois cette année avec la directive européenne 2024/825, dite anti-greenwashing. Elle interdit toute une série de pratiques liées à l’écoblanchiment et vise à rendre le consommateur plus conscient des conséquences de ses achats.
Une étude réalisée par la Commission en 2020 a compté plus de 230 labels environnementaux actifs sur le marché européen. La moitié d’entre eux sont accordés sans véritables vérifications préalables, qu’ils soient publics ou privés.
Shein, Temu : gare aux contenus illicites !
Si le bilan carbone des plateformes de fast fashion inquiète les régulateurs, leur conformité au Digital Services Act (DSA) pose également question. En avril et mai derniers, la Commission a désigné Shein et Temu comme de “très grandes plateformes numériques”. Ce qui signifie qu’elles doivent se conformer aux obligations les plus strictes du DSA, dont l’objectif est de lutter contre les dérives des contenus en ligne.
Quelques mois plus tard, en juin 2024, Bruxelles en remettait une couche. Les instances de l’UE demandaient aux géants chinois de fournir des informations supplémentaires concernant les mesures concrètes mises en place pour se conformer aux obligations du DSA, notamment celles portant sur le signalement des produits illégaux vendus sur leurs sites Internet.
“Chaque jour, des centaines de milliers de colis arrivent chez nous, surtout en provenance de Chine, avec des marchandises qui ne respectent pas les règles du marché européen” a averti le secrétaire d’État allemand à l’Économie le mois dernier, lors d’une réunion avec les autorités de Bruxelles. Soutenu par cinq autres États membres – dont la France –, il demande à la Commission de “prendre toutes les mesures nécessaires” afin d’“appliquer rigoureusement” le DSA. Shein n’a qu’à bien se tenir.
Ilona Petit