La DGCCRF sanctionne E.Leclerc d’une amende record de 38 millions d’euros. La répression des fraudes reproche au géant de la grande distribution d’avoir dépassé la date limite pour les négociations commerciales avec certains de ses fournisseurs.
Négociations commerciales hors délais : E.Leclerc écope d’une amende de 38 millions d’euros
Trente-huit millions d’euros. C’est le montant de l’amende que devra régler E.Leclerc à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Motif : Eurelec, sa centrale d'achat européenne, n’a pas respecté les délais impartis de négociations commerciales avec 62 de ses fournisseurs. Comprendre : en dépassant ces délais courant les quatre jours entre les 15 janvier et 19 février derniers, l’enseigne a balayé leur raison d’être fixée par une loi du 17 novembre 2023 : celle de protéger les revenus des agriculteurs contre la pression des distributeurs qui jouent la carte de la course contre la montre afin d’obtenir les prix les plus bas.
Les faits s’inscrivent dans le contexte houleux du début de l’année 2024. La crise agricole battait son plein : les agriculteurs réclamaient un “revenu décent”, alors que 20 % d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté. Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, avait immédiatement réagi et enjoint aux entreprises qui ne respectaient pas les lois Egalim de s’y conformer. Avec en toile de fond, une période de forte inflation incitant le gouvernement à avancer la date butoir des négociations. But de la manœuvre : obtenir dans les rayons des magasins des répercussions rapides des baisses de prix de certaines denrées.
Une amende sans surprise
Michel-Édouard Leclerc, porte-parole du groupe, avait admis au micro de France Inter avoir anticipé d’éventuelles injonctions et sanctions à la suite des négociations commerciales. “Dès que les accords commerciaux sont finis à minuit, le lendemain, l'administration vient pomper dans les ordinateurs tous les accords commerciaux, ils vont faire leur marché et probablement nous aurons des assignations, soit des injonctions de faire autrement, soit des assignations pouvant conduire à des procès”, avait-il alors déclaré. À cette époque, l’Hexagone connaissait de grandes manifestations d’agriculteurs. Manifestations qui “se fini[ssen]t sur les parkings des hypermarchés” selon le patron de Leclerc, “c’est une manière pour les pouvoirs publics de dériver les tensions sur des espaces sans trop de population”. Il affirmait aussi que toutes les consignes des manifestations des fédérations agricoles visaient la grande distribution et Leclerc. Et disait être “personnellement” visé par “un groupe de députés” de la majorité.
Distributeurs vs industrie agroalimentaire : la guerre est déclarée
Publié en mai dernier, le bilan de l’Observatoire des négociations commerciales annuelles pour 2024 avait laissé un goût amer aux agriculteurs qui s’inquiétaient notamment de la sanctuarisation de la matière première agricole. Certains acteurs industriels alertent l'opinion du risque d’un possible oligopole résultant d’un rapport de forces déséquilibré entre distributeurs et fournisseurs. Profitant de leurs positions dominantes sur le marché, les distributeurs imposeraient leurs conditions au préjudice de leurs fournisseurs. “On ne représente que 2 % de leurs ventes alors qu’ils représentent 20 % de notre chiffre d’affaires (…) Ils sont beaucoup trop puissants”, résume un acteur industriel.
Consciente de ce déséquilibre, la DGCCRF veille au grain : le leader de la grande distribution avait déjà écopé d’une amende de 6,34 millions d’euros en 2020 pour le même motif de négociations commerciales hors délais. Six fois plus élevée quatre ans plus tard, la sanction ne représente que 0,08 % du chiffre d’affaires annuel d'E.Leclerc.
Ilona Petit
Crédit photo : Ilona Petit