Mi-novembre 2023, le Conseil constitutionnel censure partiellement la loi Justice. En cause, les dispositions relatives à la confidentialité des avis des juristes d’entreprise, ajoutées par amendement puis qualifiées de “cavalier législatif”. Après cette censure, ne portant pas sur le contenu même des dispositions mais sur la procédure employée pour adopter le texte, où en est le legal privilege ?

Le 16 novembre 2023, le couperet tombe pour le legal privilege. Le Conseil constitutionnel censure les dispositions du paragraphe IV de l’article 49 de la loi Justice, qui introduisent la confidentialité des consultations juridiques des juristes d’entreprise. Pour les juges de la rue Montpensier, leur insertion dans la loi viole l’article 45 de la Constitution. Autrement dit, pour eux, ce sont des “cavaliers législatifs” qui doivent être écartés sans examen du texte. Ils s’épargnent ainsi un contrôle plus approfondi du legal privilege.

Contretemps

Cette décision n’a surpris personne. Raphaël Gauvain, avocat chez Stephenson Harwood et ancien député, le confirme : “Le risque était identifié.” Ajoutée à un article portant sur la réforme de la profession d’avocat par un amendement au Sénat, la disposition sur la confidentialité des avis des juristes d’entreprise était dans une position délicate. Selon Raphaël Gauvain, certains espéraient que le Conseil constitutionnel “soit plus accommodant” en validant le texte malgré son intégration cavalière. En revanche, puisque la censure ne porte que sur la forme, la question de la constitutionnalité du legal privilege reste ouverte.

Les parlementaires se sont engouffrés dans la brèche. Dès le lendemain de la censure, le 17 novembre 2023, des sénateurs ont déposé une proposition de loi sur le legal privilege. Le 21 décembre 2023, c’est au tour des députés de soumettre un texte sur le sujet. Les deux propositions reprennent largement les ajustements, à l’instar des règles d’opposabilité ou de levée de la confidentialité, issus des débats au Parlement. Débats qui “n’étaient pas inutiles” pour Raphaël Gauvain puisqu’“ils ont permis d’aboutir à un équilibre politique avec les avocats et les représentants des autorités de poursuite”.

De retour dans l’arène

Qui dit nouvelles propositions de loi dit nouvelles discussions à l’Assemblée et au Sénat. Raphaël Gauvain s’attendait à une ouverture des débats en mars-avril. C’est allé plus vite que prévu. Le 14 février, le Sénat adopte en première lecture la proposition de loi déposée par Louis Vogel à 220 voix pour et 111 contre. On aurait pu s’attendre à ce que le Conseil d’État soit sollicité pour avis. “Sur un texte comme celui-ci, assez technique, avec un risque d’inconstitutionnalité sur le fond, il [n’aurait] pas [été] totalement inutile d’avoir cet avis”, souligne l’ancien député. À présent, la proposition va être transmise à l’Assemblée nationale, pour une reprise des débats en mars-avril et la traditionnelle navette parlementaire, explique Raphaël Gauvain. L’adoption d’un texte avant l’été est désormais envisageable. Ou pas, si la proposition législative ne survit pas à l’assaut de ses détracteurs lors des autres débats à venir.

Parmi eux, les autorités administratives peu enclines à se voir opposer le caractère confidentiel des avis des juristes d’entreprise. Elles voient d’un mauvais œil les propositions législatives de décembre qui suggèrent de ne lever le secret qu’à l’occasion d’enquêtes pénales ou fiscales. L’Autorité de la concurrence (ADLC), par la voix de son rapporteur général Stanislas Martin, avait d’ores et déjà annoncé dans une tribune des Échos du 23 septembre 2023 que le legal privilege ne saurait lui être opposé, pas plus qu’à la Commission européenne, au risque de “méconnaître la portée du droit de l'Union européenne”. N’ayant pas eu gain de cause avec la loi Justice, l’ADLC profitera de ces nouveaux débats pour obtenir satisfaction. Elle ne sera certainement pas la seule : l’Autorité des marchés financiers exprimait aussi son inquiétude ces derniers mois et a même tenté de faire valoir l’inopposabilité du legal privilege à son égard dans un amendement du 29 juin 2023. En l’absence de défense en séance à l’assemblée, ce dernier n’est pas allé plus loin. À ce sujet, Dominique Vérien, la rapporteure de la commission des lois du Sénat, a souligné durant la discussion générale du 14 février que “les amendements [à venir] seront l'occasion de débattre du pouvoir des [autorités administratives indépendantes]”.

Possible retour devant le Conseil constitutionnel

Aux autorités administratives s’ajoutent les barreaux. Dans une motion votée le 1er février 2024, le barreau de Lyon “exprime sa ferme opposition aux projets de loi instituant la confidentialité des avis des juristes d’entreprise”. Le lendemain, dans une résolution adoptée en Assemblée générale, c’est au tour du Conseil national des barreaux (CNB) de rappeler, “son opposition […] à la reconnaissance d’un privilège de confidentialité (legal privilege) couvrant les avis, consultations et correspondances émis par les juristes d'entreprise au sein de celle-ci”. Une opinion qui n’est pas partagée par l’ensemble de la profession. Pierre-Olivier Sur, avocat pénaliste chez FTMS et ancien Bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris, regrette la position du CNB et estime “que Paris, première place de droit au monde, et toute la France du droit, vont de plus en plus souffrir d'un désavantage compétitif préjudiciable à tout un écosystème” si les barreaux persistent dans leur “résistance” et que le legal privilege n’est pas adopté.

D’autant plus que la possible adoption du texte par le Parlement n’assure pas l’avenir de la confidentialité des avis des juristes d’entreprise. Le Conseil constitutionnel pourrait être à nouveau saisi pour contrôler la proposition de loi. Et cette fois, les sages de la rue Montpensier se prononceront sur le fond du texte et scelleront le sort du legal privilege. Le périple de la confidentialité des avis des juristes d’entreprises n’est donc pas terminé.

Chloé Lassel

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