Le 26 mars 2024, l’Agence française anticorruption (« AFA ») a publié un guide présentant les différents risques de corruption soulevés par les opérations de mécénat et de parrainage (« M&P »), et proposant aux entreprises des mesures concrètes pour les prévenir. Pour les entreprises françaises internationales, les recommandations de l’AFA viennent utilement compléter les mesures préconisées par les autorités américaines et anglaises.

Les opérations de M&P permettent aux entreprises de valoriser leur image en affichant leur engagement envers les valeurs portées par les projets ou les organismes qu’elles soutiennent. Cependant, ces opérations soulèvent différents risques juridiques tels que la corruption, la fraude, les conflits d’intérêts et la violation des règles de passation des marchés publics. C’est pour accompagner les entreprises dans la compréhension, l’identification et la maîtrise de ces risques que l’AFA1 et, avant elle, le DoJ, la SEC2 et le ministère de la Justice britannique3, ont publié des lignes directrices pratiques et détaillées en matière de M&P.

 

Politiques et procédures

 

L’AFA recommande aux entreprises de mettre en place des politiques et procédures encadrant leurs pratiques de M&P afin d’atténuer les risques liés aux atteintes à la probité. Ces politiques doivent inclure plusieurs éléments clés, tels que la justification et les objectifs des actions de M&P, leur alignement avec la stratégie et les valeurs de l’entreprise, le respect des réglementations en vigueur, l’interdiction des dons en cas de décision importante en attente concernant le bénéficiaire, la cohérence avec les autres politiques de l’entreprise et l’exigence du respect des procédures anticorruption par les salariés. En outre, l’AFA recommande des mesures complémentaires, telles que la désignation d’un responsable pour traiter et surveiller les demandes de M&P, la prise de décision collégiale via un comité dédié et la mise en place de procédures d’approbation rapides pour les opérations urgentes. Cette approche est similaire à celle préconisée aux États-Unis et au Royaume-Uni où les autorités recommandent également que les entreprises mettent en place des mesures de contrôle internes basées sur les risques. Aux États-Unis, les autorités attendent des entreprises qu’elles effectuent une évaluation raisonnable des risques de corruption liés aux opérations de M&P, et notamment celles effectuées en dehors des États-Unis. Il est de bonne pratique d’exiger une certification de conformité au FCPA par l’organisme bénéficiaire et de vérifier l’absence de liens entre les dirigeants de l’organisme et son gouvernement étranger. Tout comme la France, le Royaume-Uni n’impose pas aux entreprises de mettre en place des politiques et procédures concernant les dons caritatifs. Cependant, le UK Bribery Act crée une infraction pour « manquement à la prévention de la corruption » (failure to prevent). En cas de poursuites, la défense principale de l’entreprise réside dans la démonstration de l’existence de procédures adéquates visant à prévenir la corruption, par exemple l’existence de politiques et de mesures de due diligence. L’approche française rejoint celle des États-Unis et du Royaume-Uni, préconisant des contrôles internes basés sur les risques


Convention de M&P


L’AFA recommande aux entreprises de formaliser leurs accords de M&P par écrit, en y précisant les conditions générales de leur collaboration, les droits et obligations des deux parties, et les engagements anticorruption pris par le bénéficiaire. Ces engagements comprennent notamment une politique de tolérance zéro en matière de corruption, l’instauration d’un dispositif de prévention et de détection des atteintes à la probité, l’acceptation mutuelle des codes de conduite et une clause de résiliation en cas de violation de ces engagements ou d’implication d’une partie dans des faits susceptibles d’être qualifiés d’atteintes à la probité.

Aux États-Unis, les opérations de M&P doivent également s’accompagner d’accords écrits formalisant les conditions de ces engagements. Ces accords, tout comme en France, doivent encadrer l’utilisation des fonds octroyés, exiger le respect d’engagements anticorruption, prévoir des droits d’audit et des clauses de résiliation en cas de manquement aux obligations contractuelles des parties. À l’instar de la France, le Royaume-Uni ne crée pas d’obligation légale pour les entreprises de passer des accords écrits en matière de M&P. Toutefois, de tels accords sont fortement recommandés pour démontrer l’existence de procédures adéquates et se prémunir contre l’infraction de failure to prevent.


Limites financières


Si les contributions de M&P ne sont pas plafonnées en France, l’AFA insiste sur le fait qu’elles doivent être proportionnées aux capacités financières des entreprises et ne servir en aucun cas à l’enrichissement personnel des dirigeants. Ainsi, les avantages reçus par l’entreprise donatrice en contrepartie d’un parrainage doivent être raisonnables et proportionnels aux contributions versées. De même, l’AFA précise que toute contrepartie accordée dans le cadre d’un mécénat4 ne doit pas dépasser le quart du montant initial du don. Si les États-Unis et le Royaume-Uni ne fixent pas non plus de limites financières spécifiques, les entreprises doivent cependant faire preuve de discernement pour éviter les abus.


Contrôles


L’AFA préconise la mise en place de contrôles comptables spécifiques aux opérations de M&P. Ces contrôles visent à garantir un suivi précis des flux financiers et non financiers entre l’entreprise et les bénéficiaires, en s’assurant d’une utilisation des fonds conforme aux accords et à la loi. Les mesures préconisées incluent l’enregistrement précis des dons, la conservation des documentations pertinentes, et le suivi de l’utilisation effective des fonds par les bénéficiaires (visites sur site possibles). Il est également recommandé que les procédures de M&P soient régulièrement contrôlées par le département d’audit. Cette approche est également une bonne pratique aux États-Unis et au Royaume-Uni, où les autorités attendent des entreprises qu’elles mettent en place des contrôles internes visant à identifier les violations potentielles du US FCPA et du UK Bribery Act. La loi américaine impose également aux « émetteurs » et à leurs agents l’obligation d’établir et de tenir des livres et registres précis reflétant les transactions accompagnées de pièces justificatives adéquates (accords écrits, factures).

 

Formation et ligne d’alerte


L’inclusion des organismes bénéficiaires dans les programmes de formation de l’entreprise donatrice est une bonne pratique dans les trois pays. De même, l’ouverture de la ligne d’alerte de l’entreprise donatrice aux organismes bénéficiaires est préconisée par l’AFA afin de permettre le signalement de tout acte répréhensible.

 

LES POINTS CLÉS

  • Compte tenu des risques d’atteinte à la probité soulevés par les opérations de mécénat et de parrainage, l’AFA a publié des lignes directrices en mars 2024.

  • L’AFA conseille aux entreprises de mettre en place des politiques et procédures pour encadrer ces opérations, ainsi que des conventions prévoyant la résiliation des opérations en cas de manquements.

  • À l’instar des U.S. et du UK, l’AFA préconise également des contrôles comptables rigoureux, assurant un suivi détaillé des flux financiers, l’enregistrement des dons et la vérification de l’utilisation des fonds.

 

SUR LES AUTEURS

Margot Sève, counsel et docteur en droit, et Elsa Benchemhoun, collaboratrice, conseillent des groupes français et internationaux aux prises avec de multiples autorités de poursuite et de régulateurs, notamment à l’occasion d’enquêtes internes, revues de programmes de conformité, et d’opérations M&A. La pratique de Skadden couvre tout le spectre des sujets de conformité (anticorruption, sanctions internationales, blanchiment d’argent, fraude, etc.) et des besoins des entreprises (audit d’acquisition, programme de conformité, cartographies des risques, enquête interne, relations avec les autorités et remédiation).

 

1 AFA, “Sécuriser les Opérations de Parrainage et de Mécénat des Entreprises” Mars 2024.

DOJ Criminal Division et SEC Enforcement Division, “A Resource Guide to the U.S. Foreign Corrupt Practices Act” (« FCPA ») 2nd Edition.

MOJ, “The Bribery Act 2010: Guidance About Procedures Which Relevant Commercial Organisations Can Put Into Place To Prevent Persons Associated With Them From Bribing (Section 9 of the Bribery Act 2010)”

Par exemple, nommer une aile d’un musée au nom de l’entreprise mécène.

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