Si le Conseil constitutionnel n’a jamais censuré le cumul des sanctions pénales et administratives en matière fiscale, il en a toutefois tempéré la mise en œuvre par trois critères. Désormais, sous l’influence de la CJUE, la Cour de cassation vient d’en dégager un quatrième, sans plus grande portée pratique que les précédents.

En matière fiscale, le contentieux relatif au cumul des sanctions administratives et pénales n’a pas fini de faire couler de l’encre, et les deux arrêts rendus par la chambre criminelle le 22 mars 2023 poursuivent une œuvre dont l’intérêt doctrinal est inversement proportionnel à l’effet pratique.

En effet, alors même que se succèdent les arrêts de plus en plus longs et subtils sur cette question, force est de constater que la pratique des juridictions n’est pas affectée, que ce cumul se porte mieux que jamais, et que la fin du verrou de Bercy a, au contraire, systématisé la coexistence de procédures administratives et pénales en matière fiscale.

Une telle situation, prévue essentiellement par les articles 1741 et 1749 du Code général des impôts (CGI), faisait déjà l’objet de trois réserves d’interprétation posées par le Conseil constitutionnel. La Cour de justice de l’Union européenne a cru bon d’en ajouter une quatrième, qui vient d’être consacrée par les deux arrêts rapportés de la chambre criminelle, sans bouleverser l’économie générale du système.

Les trois critères dégagés par le Conseil constitutionnel

En 2016, les célèbres affaires Wildenstein et Cahuzac avaient donné au Conseil constitutionnel l’occasion de définir les premiers contours du cumul de sanctions de nature pénale et administrative, à travers plusieurs réserves d’interprétation émises dans le cadre de questions prioritaires de constitutionnalité.

Ainsi, ce cumul était conditionné à la réunion de trois critères :

- l’interdiction de toute condamnation pénale en cas de décharge de l’impôt pour motif de fond1 ;

- la gravité des faits2 ;

- le plafonnement de sanctions de même nature au maximum le plus élevé3.

Si, en apparence, ces décisions semblaient poser des conditions au cumul, reste que le critère essentiel pour le justiciable – à savoir la notion de gravité – demeure particulièrement flou ; c’est dans ce cadre que deux autres arrêts, qui ne dissipent pas les doutes, ont été rendus.

L’émergence d’un quatrième critère dégagé par la Cour de cassation

Le cumul de sanctions pénales et fiscales est, depuis les deux arrêts du mois de mars 2023, conditionné à un quatrième critère, initié par la CJUE : l’exigence d’une proportionnalité générale des sanctions de toutes natures.

Par arrêt du 21 octobre 20205, la chambre criminelle a adressé deux questions préjudicielles à la CJUE. Les questions posées n’étaient pas relatives au principe non bis in idem en lui-même, mais aux conditions dans lesquelles il peut être écarté, et à leur caractère prévisible (première question) et proportionnel (seconde question) : elles appelaient des précisions, plutôt qu’une position de principe.

Par arrêt du 5 mai 2022, la CJUE a répondu aux deux questions préjudicielles posées par la chambre criminelle.

Sur le défaut de clarté et de prévisibilité des conditions du cumul des sanctions ­pénales et fiscales telles qu’interprétées par le Conseil constitutionnel, la CJUE considère que "la circonstance que la jurisprudence nationale se réfère, dans le cadre de son interprétation des dispositions législatives pertinentes, à des notions générales devant graduellement être clarifiées ne fait pas, en principe, obstacle à ce que la réglementation nationale puisse être considérée comme prévoyant des règles claires et précises permettant au justiciable de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale" (§ 42). Elle ajoute que "la circonstance que les conditions exigées pour un cumul de poursuites et de sanctions de nature pénale ne découlent pas exclusivement de dispositions législatives mais également de leur ­interprétation par les juridictions nationales n’est pas, en soi, de nature à remettre en cause le caractère clair et précis de la réglementation nationale" (§ 39).

Elle pose toutefois une limite : celle de la prévisibilité de l’interprétation judiciaire d’une affaire.

Ainsi, la règle est valable "à la condition que le résultat soit raisonnablement prévisible au moment où l’infraction a été commise, au vu notamment de l’interprétation relative à la disposition légale en cause" (§ 41). En un mot, les critères autorisant ou prohibant le cumul peuvent être affinés par la jurisprudence, à condition d’être perpétuellement prévisibles : à mots couverts, la CJUE annonce qu’aucune évolution majeure et soudaine du droit ne pourra, en la matière, résulter de la jurisprudence.

S’agissant de la deuxième question préjudicielle, le prévenu interrogeait l’absence de toute limitation en cas de cumul d’une sanction administrative pécuniaire avec une peine privative de liberté. La CJUE avait en effet jugé qu’un tel cumul doit poursuivre des objectifs complémentaires et doit assurer une coordination limitant au strict nécessaire la charge supplémentaire résultant de cette double poursuite6. Or, l’état du droit français prévoyait que le juge pénal devant statuer sur le cas d’un prévenu déjà condamné administrativement pour les mêmes faits "n’est tenu de veiller au respect de l’exigence de proportionnalité que s’il prononce une peine de même nature"7. Conformément aux conclusions de l’avocat général, la CJUE a jugé que "d’une part, que les autorités compétentes sont soumises à l’obligation de veiller à ce que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées n’excède pas la gravité de l’infraction constatée et, d’autre part, que cette obligation doit ressortir, de manière claire et précise, de la réglementation nationale en cause" (§ 53).

Logiquement, la Cour de cassation a entériné ce principe dans ses deux arrêts du 22 mars 2023.

Ainsi, en matière de cumul des sanctions pénales et fiscales, un quatrième critère est dégagé : le principe de proportionnalité est applicable, sans exception, à l’ensemble des sanctions imposées, peu important désormais qu’elles soient de nature différente.

On n’oserait qualifier cet ajout de précision ou d’innovation.

On peut s’interroger sur les motifs d’une telle accumulation de critères, alors même que le critère essentiel – la gravité de la fraude – n’est que très peu défini, et que la CJUE a explicitement indiqué qu’il n’appartient pas à la jurisprudence de réserver des surprises au justiciable.

Le droit pénal fiscal demeure, à date, l’un des rares contentieux dans lesquels un cumul de sanctions est possible et, malgré les décisions successives, on peine encore à en cerner l’encadrement. 

1 Décisions n° 2016-545 QPC et n° 2016-546 du 24 juin 2016.
2 Ibid.
3 Ibid.
4 Crim.,21 oct. 2020, n° 19-81.929.
5 CJUE, 5 mai 2022, affaire C-570/20.
6 CJUE, 20 mars 2018, aff. C-524/15.
7 Crim. 11 sept. 2019, n° 18-81.067.

LES POiNTS CLÉS

Si le cumul des sanctions pénales et fiscales demeure possible, c’est aux fastidieuses conditions que : 
- le contribuable n’ait pas été préalablement définitivement déchargé de l’impôt pour un motif de fond ; 
- la fraude soit considérée comme suffisamment grave ; 
- le montant de la sanction pécuniaire prononcée n’excède pas le montant le plus élevé encouru au titre
de l’une des sanctions ; 
- le principe de proportionnalité de la sanction soit appliqué à l’ensemble des sanctions, y compris lorsqu’elles sont
de nature différente (incluant donc la privation de liberté).

Ces critères, fastidieux et mal définis, n’ont pas d’impact réel sur les décisions de justice.

SUR LES AUTEURS

David Apelbaum, Michaël Bendavid et Margaux Durand-Poincloux assurent la défense de personnes physiques et d’entreprises en matière de droit pénal des affaires, notamment dans les secteurs de l’énergie, de l’hôtellerie, de la santé et l’art. Ils développent une expertise particulière en droit pénal financier et fiscal, dans des dossiers à forts enjeux et à dimension internationale.

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