Les récentes et nombreuses jurisprudences fondées sur la concurrence déloyale nous rappellent l’importance pour les entreprises d’exercer leur activité commerciale en conformité avec la loi et les réglementations qui lui sont applicables.

Malgré sa terminologie, la concurrence déloyale n’est pas sanctionnée par des dispositions du Code de commerce – comme le sont les pratiques anticoncurrentielles ou les pratiques restrictives de concurrence – mais au visa de la responsabilité délictuelle de droit commun (articles 1240 et 1241 du Code civil). En conséquence, l’action en concurrence déloyale suppose la simple démonstration de l’existence d’une faute, d’un préjudice subi et du lien causal entre la faute et le préjudice.

Traditionnellement, on associe à la faute de "concurrence déloyale", les actes de dénigrement, de parasitisme, de désorganisation d’entreprise, ou encore de risque de confusion : toutes ces formes d’abus commis dans l’exercice de la liberté d’entreprendre.

Mais, cette vision traditionnelle est restrictive. Comme la jurisprudence nous le rappelle maintenant régulièrement, la faute peut résider dans la violation d’une disposition légale ou d’une réglementation.

Un outil performant contre ses concurrents

Ainsi, un opérateur économique qui constaterait que son concurrent a méconnu une disposition légale pourra donc, au titre de cette pratique illicite, agir en concurrence déloyale. Cette action ne sera fondée qu’à condition pour le demandeur de démontrer le triptyque de la responsabilité délictuelle.

       i) La faute de son concurrent, comme par exemple, le fait de s’être livré à une pratique commerciale trompeuse sanctionnée au visa de l’article L. 121-1 du Code de la ­consommation.

Sauf à pouvoir se prévaloir d’une décision judiciaire jugeant la violation d’une norme de droit positif, comme par exemple la commission d’une pratique commerciale comme trompeuse, il appartient au concurrent de la caractériser. À cette fin, il doit établir que la pratique commerciale altère, ou est susceptible d’altérer, de manière substantielle, le comportement économique du consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ;

       (ii) Le préjudice qu’il subit du fait de la pratique illicite contraire à la diligence professionnelle et altérant substantiellement le comportement économique du ­consommateur.

Sur ce point, la démonstration est grandement facilitée par les courants jurisprudentiels actuels.

Tout d’abord, la Cour de cassation pose une présomption d’existence d’un préjudice en présence d’une pratique de concurrence déloyale. Cela résulte d’une série de jurisprudences rendues en 20221, retenant qu’"il résulte de [l’article 1240 du Code civil] qu’un préjudice s’infère nécessairement d’une faute constitutive d’un acte de concurrence déloyale".

Cette jurisprudence, qui énonce une présomption de préjudice, sans pour autant dispenser le demandeur de démontrer l’étendue de celui-ci, répond à la nécessité de permettre aux juges une moindre exigence probatoire, lorsque le préjudice est particulièrement difficile à démontrer.

Outre cette présomption, la Cour de cassation va encore plus loin en facilitant l’évaluation du préjudice. Dans une célèbre décision "Cristal de Paris", la Cour évalue le préjudice en prenant en considération l’avantage indu que s’est octroyé l’auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents. Cette position est justifiée par le fait qu’à la différence des actes de détournement de clientèle ou de désorganisation de l’entreprise concurrente dont les effets préjudiciables sont aisés à démontrer, "tel n’est pas le cas de ceux des pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements intellectuels matériels ou promotionnels d’un concurrent ou à s’affranchir d’une réglementation dont le respect a nécessairement un coût"2. Aussi, ces actes qui "permettent à l’auteur des ­pratiques de s’épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de troubles économiques, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuves disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu".

Ainsi, en présence d’un acte de concurrence déloyale caractérisé par un acte de parasitisme ou une violation d’une réglementation, compte tenu de la difficulté d’évaluer le préjudice, la Cour de cassation a fait évoluer sa position en s’écartant de la position classique selon laquelle la victime doit évaluer son préjudice et que l’indemnisation doit réparer le dommage causé et permet le rétablissement de la victime, sans perte ni profit pour celle-ci3.

Faisant application de cette jurisprudence, on identifie un certain nombre de décisions de condamnations prononcées sur le fondement de la concurrence déloyale, en présence d’une pratique commerciale trompeuse. À titre d’exemple, on peut citer l’action en concurrence déloyale fondée sur une pratique consistant à précocher une case indiquant le montant d’un don sur un site d’économie collaborative, ou à présenter les produits en laissant croire qu’ils étaient tous en cristal, ou encore à indiquer sur les fiches produit des mentions inexactes anticipant sur la réalisation de tests.4

Plus récemment, la Cour de cassation est allée sur un autre terrain en retenant un acte de concurrence déloyale fondé sur la méconnaissance par une entreprise concurrente de ses obligations à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB- FT). Ainsi, dans un arrêt du 23 septembre 2023 la Cour de cassation juge que "le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du Code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires, [de sorte] que le fait pour un concurrent de s’en affranchir [lui] confère un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale".

Enfin, il est intéressant de relever une similitude de traitement de la faute et du préjudice en présence d’un acte de concurrence déloyale, avec celui accordé en présence de pratiques anticoncurrentielles qui résulte de la Directive Dommage de 2014 (présomption de préjudice, évaluation facilitée) qui permet de penser que cette jurisprudence a vocation à se développer.

L’action en concurrence déloyale, avec ces nouvelles applications, a donc de beaux jours devant elle ! Elle constitue un outil fort pour les entreprises qui subissent ces actes de concurrence déloyale, mais pourrait avoir des conséquences significatives pour l’auteur de la pratique, qui pourrait se voir contraint par une sanction administrative et/ou pénale, des éventuels dommages et intérêts pour la victime directe, et d’indemniser son concurrent de l’avantage indu, et probablement, plusieurs fois, si plusieurs concurrents décidaient d’agir sur le même fondement.

Une incitation à la compliance

Prendre pleinement conscience du fait que la concurrence déloyale peut résulter d’une violation d’une disposition légale ou réglementaire doit inciter, plus encore, les entreprises à se mettre en conformité.

"S’inscrire dans une démarche de conformité à la règle est aujourd’hui gage d’une performance solide et pérenne, qui devient un facteur stratégique pour le ­développement des entreprises"

La compliance fait habituellement écho à la mise en place de processus internes pour lutter contre la corruption, contre le blanchiment d’argent et contre le terrorisme, ou encore pour se conformer au Règlement Général sur la Protection des Données (RGDP) ou à la prévention des pratiques ­anticoncurrentielles.

Aujourd’hui, cette exigence d’exemplarité s’impose aussi dans le quotidien de la vie des affaires.

Au sein d’une entreprise, la compliance suppose la mise en place de règles comportementales, de process de mise en œuvre et des règles contractuelles bien encadrées. Mais, plus que leur mise en place, il est indispensable que chaque membre d’une entreprise ait conscience des risques inhérents au respect de ces règles. Ce qui implique un travail important de prévention et de formation au sein des entreprises.

Outre la sanction financière démultipliée qui peut s’abattre sur elle, des sanctions pénales et réputationnelles ne sont pas à ignorer. S’inscrire dans une démarche de conformité à la règle est aujourd’hui gage d’une performance solide et pérenne, qui devient un facteur stratégique pour le ­développement des entreprises. L’opérateur économique qui se conformera aux règles du marché bénéficiera alors d’un avantage concurrentiel certain sur le marché. L’action en concurrence déloyale l’y permettra.

1 Com. 16 février 2022, n°20-14.916 et n° 20-19.256 ; Com. 7 septembre 2022, 21-14.028.

2 Com. 12 février 2020, n° 17-31.614.

3 Civ. 1re, 14 mai 1992, Bull. civ. 1992, I, n° 138 ; Com. 21 février 2012, n° 10-27.966 ; Com. 10 février 2021, n°18-26.035.

4 T. com. Paris, 15e ch., 31 mai 2021, Trustweb c/ Helloasso : legalis.net ; Com. 12 février 2020, n° 17-31.614 ; Com., 7 décembre 2022, 21-16.462.

 

LES POINTS CLÉS

  •  Si votre concurrent ne respecte pas les dispositions légales qui lui incombe, vous pouvez agir contre lui sur le fondement l’action en concurrence déloyale ;
  •  l’évaluation de votre préjudice est facilitée en présence d’un acte de concurrence déloyale résultant de la violation
    d’une réglementation ;
  •  l’action en concurrence déloyale est un outil efficace pour contraindre vos concurrents à se conformer aux règles
    du marché ;
  •  l’indemnisation à laquelle peut prétendre un concurrent, s’ajoute aux éventuelles indemnisations de(s) la victime(s) directe(s), sanctions pénales et/ou administratives ;
  •  la conformité à la règle et la mise en place de processus de compliance au sein d’une entreprise lui permettent de réduire le risque de sanction ;
  •  la compliance d’une entreprise lui confère un avantage concurrentiel certain.

 

SUR LES AUTEURS

Jean-Baptiste Gouache, avocat associé et fondateur de gouache avocats, a fait de l’opération de distribution une spécialisation verticale sur tous les domaines du droit pour proposer un accompagnement opérationnel des enseignes et des industriels.

Clémence Boissonnet a développé une pratique en droit économique au service des entreprises de toute taille, françaises et internationales. Elle adopte une approche à la fois juridique et économique pour les accompagner dans la mise en place et le développement de leur réseau de distribution tant sous l’angle du droit de la distribution que du droit de la concurrence. Elle a rejoint le cabinet gouache en septembre 2023.

Proche de ses clients, le cabinet a accompagné plus de 600 marques françaises et étrangères, opérant dans tous les secteurs d’activité, dont il maîtrise les benchmarks et pratiques de marché.

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