Aurélien Chardeau est avocat au barreau de Paris depuis vingt ans. Chez De Gaulle Fleurance depuis 2022, il intervient en contentieux des affaires, en droit pénal des affaires et en compliance. Conseil auprès d’acteurs majeurs des secteurs industriels, life sciences, bancaires et financiers, il est également enseignant à l’Essec Business School et membre de nombreuses associations professionnelles dont l’association Droit et Procédure.

Décideurs. Lorsque l’on évoque le contentieux, on pense souvent à la résolution du litige et la réparation du préjudice. Est-ce vraiment sa seule utilité ?

Aurélien Chardeau. Partons d’un postulat et d’une distinction entre deux aspects de notre métier : le conseil et le contentieux. Le conseil consiste à accompagner le client dans les choix qu’il fait pour l’avenir. Il l’accompagne pour des projets futurs. Le contentieux, lui, va regarder le passé et résoudre un conflit. Avenir, passé… Une dichotomie intéressante que j’aime partager avec mes élèves. Mais il arrive que le contentieux se tourne aussi vers l’avenir, permettant à un client de créer de la valeur et non seulement de récupérer de l’argent en réparation du préjudice subi. Pour s’en convaincre, je voudrais vous parler de deux dossiers qui illustrent bien cela : dans un cas, le contentieux va permettre de recréer du lien, dans l’autre il va permettre à une entreprise d’accompagner le lancement de son produit.

Comment le contentieux peut-il recréer du lien entre des parties jusque-là adverses ?

Évidemment, c’est plutôt paradoxal. Le contentieux, c’est le conflit. À partir d’une situation conflictuelle présentée devant un juge, comment deux entreprises peuvent-elles renouer le dialogue et faire de nouveau des affaires ?

Prenons ce dossier avec la construction d’un grand site industriel prévue en Europe de l’Est. Son commanditaire, qu’on appelle un maître d’ouvrage, est un groupe français très puissant, l’un des leaders mondiaux sur son marché. Il fait appel à une société outre-Atlantique, l’entrepreneur principal, qui décide de sous-­traiter la mission à une entreprise asiatique (notre client).

Survient un litige entre le maître d’ouvrage et l’entrepreneur principal. Une situation conflictuelle qui provoque l’arrêt pur et simple du chantier et même la résiliation des contrats. Le sous-traitant asiatique vient alors nous voir. En plus de vouloir être payé pour le travail réalisé, il souhaite surtout rétablir la relation commerciale avec le client final. Mais cet industriel français ne veut pas en entendre parler. Il est convaincu par l’entrepreneur principal que les désagréments subis sont du fait du sous-traitant. Il fait donc comme si nous n’avions pas existé sur ce chantier. Il a d’ailleurs déjà signé avec un autre constructeur. Quant à l’entrepreneur principal, il convainc son sous-traitant que tout est de la faute du client final…

La situation est donc totalement bloquée. C’est alors que nous lançons plusieurs actions en justice, dont la principale est engagée conjointement contre le client final et l’entrepreneur principal.

C’est là que c’est intéressant : le contentieux est contraignant. Il oblige chaque partie à rentrer dans un rôle. Le plus classique c’est que l’une attaque, l’autre se défende et contre-attaque, etc. Mais ici, notre objectif était ailleurs. Nous avons forcé les parties à se mettre autour d’une table dans le cadre d’une médiation judiciaire et donc, à se parler.

Avez-vous rencontré des points bloquants avant d’arriver à une solution ?

Beaucoup ! À tel point que la médiation judiciaire a tout d’abord échoué ! Ce n’est que bien plus tard que nous avons réussi. Le principal point bloquant était que le maître d’ouvrage ne voulait pas nous parler. Il prétendait ne pas nous connaître et nous renvoyait à l’entrepreneur principal.

Mais grâce à la médiation, les avocats ont joué le rôle d’intermédiaire. Nous avons créé un dialogue constructif avec l’avocat du client final. Même si la médiation judiciaire a échoué, nous avons continué à nous parler en allant au-delà des "bourre-pifs" judiciaires avec les échanges de conclusions. Nous avons découvert le pot aux roses au fil des discussions : depuis le début, le client final refusait de nous parler car il était convaincu que tout était de notre faute. C’est ce que l’entrepreneur principal lui avait fait croire et qui était faux !

Une fois cette réalité rétablie, le maître d’ouvrage a accepté de renouer le dialogue avec notre client. Cela nous a permis d’aboutir à une transaction avec un paiement pour le travail effectué tout en ayant une garantie : laisser notre client dans le panel des sous-traitants de la place et restaurer sa réputation d’interlocuteur de confiance sur ce marché. Aujourd’hui, ces deux entreprises se parlent et ont renoué avec la vie des affaires.

J’aimerais évoquer maintenant un second dossier qui démontre combien le contentieux peut être utile pour l’avenir : il s’agit ici d’accompagner le lancement d’un produit avec ce qu’on pourrait appeler "la défense programmée".

Prenons l’exemple d’un client qui souhaite lancer un produit sur le marché, aux côtés de certains de ses homologues. Jusque-là, rien d’anormal. Mais il sait que ce lancement va lui attirer les foudres d’un concurrent très puissant qui est en l’état le principal distributeur de ce type de ­produit. Les enjeux financiers sont très importants.

Le client ne vient pas nous voir pour un contentieux, mais pour répondre de manière légale à un besoin opérationnel. Notre assistance s’articule alors autour de conseils pour habiller juridiquement ce produit. Comment le mettre sur le marché ? Avec qui ? Quel nom lui donner ? Avec qui s’associer parmi les autres acteurs de la place, sans pour autant tomber dans l’entente illicite ? Cet habillage a une vocation d’"armure juridique" pour éviter les coups des contentieux que nous avions anticipés.

“Si notre rôle en amont était de conseiller notre client à la préparation de cette 'armure juridique', nous nous devions de l’accompagner pour nous assurer de sa pleine 'étanchéité'"

Quels étaient les risques identifiés ? 

Le risque c’était que le concurrent assigne notre client et ses partenaires au titre d’une entente illicite et d’actes de concurrence déloyale. Ce qui n’a pas loupé bien entendu puisque trois actions ont été engagées à leur encontre. C’est là aussi la richesse de ce dossier. Si notre rôle en amont était de conseiller notre client à la préparation de cette "armure juridique", nous nous devions de l’accompagner pour nous assurer de sa pleine "étanchéité".  D’autant qu’il s’agit d’un produit sensible et exposé à une pression médiatique importante.

Comme évoqué, notre client n’était pas seul à lancer ce produit et la subtilité résidait aussi dans la coordination avec les autres codéfendeurs. Un travail de fond, aussi bien en amont qu’en aval, qui nous a permis d’obtenir un débouté en première instance. L’armure a donc tenu le coup ! Ces deux dossiers montrent que le contentieux, c’est aussi utile au client pour faire du business.

"Ne jamais oublier l’objectif réel du client derrière l’action judiciaire"

Quelles sont selon vous les compétences nécessaires à la maîtrise de la pratique du contentieux ?

Je vous parlais de la dichotomie entre le passé et l’avenir. Quand on parle du passé, on peut soit le résumer très vite soit, au contraire, aller dans le détail. Le travail d’un avocat contentieux, c’est d’être attentif au témoignage de son client, mais aussi aux faits et aux preuves disponibles. Notre objectif est de raconter, au service du client, une histoire qui colle à la rigueur juridique, d’imbriquer des faits dans une argumentation juridique.

On dit souvent que la qualité des juges réside dans leur capacité à prendre des décisions dans un dossier qui leur est exposé. L’avocat, quant à lui, doit toujours disposer d’un temps d’avance car il doit anticiper les coups. Et surtout, ne jamais oublier l’objectif réel du client derrière l’action judiciaire.

 

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