Annoncé et attendu, le projet de directive européenne relative à la lutte contre la corruption promet d’harmoniser les droits des États membres, principalement en matière pénale, tout en entrouvrant la porte de la compliance1.  

Le projet est ambitieux et vient combler de réelles disparités entre États membres, comme celle de la responsabilité des personnes morales. Vis-à-vis de la loi française, il est plus ambivalent : plus exigeant sur certains points, moins-disant sur beaucoup d’autres. Depuis la loi Sapin 2 de 2016, le dispositif ­répressif et administratif français en matière de lutte contre la corruption joue en effet le rôle de figure de proue en Europe continentale. À quelques exceptions près, le projet de directive ne devrait donc pas, en l’état, présenter de difficultés particulières pour les entreprises françaises, notamment celles déjà soumises à la loi Sapin 22.  

Si le projet de directive est quasiment mutique en matière de programme de conformité, l’introduction d’une nouvelle responsabilité en cas de défaut de surveillance ou de contrôle de la part des entreprises implique cependant, en creux, de mettre en place des programmes de contrôles internes.

 

Principaux apports du projet de directive en matière répressive

Les apports du projet de directive sont nombreux au plan européen : si la majorité ne devraient pas entraîner de modifications substantielles du droit français, certaines dispositions notables vont plus loin que le dispositif national actuel.

En premier lieu, la directive vient définir et réprimer certaines atteintes à la probité, la plupart d’entre elles étant déjà connues en droit français. La directive innove cependant en créant une nouvelle infraction d’enrichissement lié aux infractions de corruption. Le projet de directive prévoit également des délais de prescription plus longs que ceux prévus par la loi française. Il fixe par exemple un délai de prescription minimum de quinze ans pour l’infraction de ­corruption d’agent public, contre actuellement un délai maximum de douze ans en droit français. Inversement, le projet de directive n’impose pas aux États membres d’incriminer la tentative de corruption publique ou privée, contrairement au droit français.

Le projet de directive prévoit par ailleurs que le plafond des amendes ne devrait pas être inférieur à 5 % du chiffre d’affaires mondial total réalisé par la personne morale déclarée responsable, alors que le Code pénal français prévoit des amendes spécifiques à chaque infraction. Le plafond des amendes devra donc être relevé lors de la transposition de la directive.

Enfin, le projet de directive prévoit l’introduction de circonstances aggravantes et atténuantes en cas d’infraction, telles que l’obtention pour l’auteur d’un avantage considérable, ou inversement la coopération de l’auteur des faits avec les autorités.  Si les facteurs minorants d’autorévélation des faits et de coopération sont déjà connus du droit français, ils ne relèvent cependant que du droit souple, puisqu’on ne les retrouve que dans les lignes directrices publiées par le Parquet national financier (PNF) concernant la mise en œuvre de la Convention judiciaire d’intérêt ­public (CJIP).

Avec la directive, ces facteurs ­intégreraient pleinement le droit positif. On regrettera cependant que la directive ne soit pas allée plus loin en proposant un outil de justice pénale négociée à l’instar de la CJIP issue de la loi Sapin 2, afin de faciliter le traitement des dossiers de corruption ­complexes.

Si les facteurs minorants d’autorévélation des faits et de coopération sont déjà connus du droit français, ils ne relèvent cependant que du droit souple, puisqu’on ne les retrouve que dans les lignes directrices publiées par le Parquet national financier (PNF) concernant la mise en oeuvre de la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Avec la directive, ces facteurs intégreraient pleinement le droit positif. On regrettera cependant que la directive ne soit pas allée plus loin en proposant un outil de justice pénale négociée à l’instar de la CJIP issue de la loi Sapin 2, afin de faciliter le traitement des dossiers de corruption complexes.

Conformité et responsabilité pénale : des vases communicants ?

En matière de conformité, le projet de ­directive est moins ambitieux que la loi Sapin 2 qui, en sus de renforcer le dispositif répressif français, avait introduit pour les entreprises d’une certaine taille l’obligation de maintenir des programmes de lutte contre la corruption axés sur différents piliers (code de conduite, cartographie des risques, ­évaluations des tiers, formation du personnel, etc.). Le projet de directive évoque quant à lui les programmes de "contrôle interne, de sensibilisation à l’éthique et de conformité" seulement dans deux cas : comme facteur atténuant en ce qui concerne les infractions retenues par la directive, ou, implicitement, lorsque le projet propose la création d’organismes spécialisés dans la prévention de la corruption.

Compte tenu de la nouvelle infraction de défaut de surveillance des entreprises, on peut regretter que la directive ne soit pas plus prescriptive en matière de programmes de conformité

On peut donc regretter que le projet de ­directive ne soit pas plus prescriptif en matière de programmes de conformité. En effet, comme évoqué ci-dessus, la directive introduit une nouvelle responsabilité en cas de défaut de surveillance ou de contrôle des entreprises, qui n’a pas à ce jour ­d’équivalent en France. Mais comment se dégager de cette responsabilité si ce n’est en rapportant la preuve que l’entreprise avait déployé les mesures de contrôles internes nécessaires à détecter et prévenir les risques d’atteinte à la probité ? Cette nouvelle responsabilité comporte donc en creux l’obligation de mettre en place des programmes de conformité adéquats. De ce point de vue, les entreprises ayant déjà un programme de conformité, qu’elles relèvent ou non du périmètre de la loi Sapin 2, seront mieux positionnées que les entreprises ne disposant pas de ces programmes pour assurer leur défense. Ce faisant, la directive va plus loin que la loi française en attendant implicitement de toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, qu’elles déploient des programmes de contrôle interne.  Même si l’on reconnaît ici l’approche anglaise du UK Bribery Act, le projet de directive crée une responsabilité aux fondements juridiques incertains, pouvant même interroger sur la légalité de cette peine. Il serait souhaitable que la directive, qui doit encore faire l’objet du trilogue législatif européen, aborde le sujet des programmes de conformité de manière plus directe pour offrir aux entreprises davantage de prévisibilité et leur permettre de mieux anticiper les attentes des autorités en matière de lutte contre la corruption.

1 Proposition de directive du parlement européen et du conseil relative à la lutte contre la corruption, remplaçant la décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil et la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l’Union européenne, et modifiant la directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil

2 Entreprises françaises employant au moins 500 salariés, ou appartenant à un groupe de sociétés dont la société mère a son siège social en France et dont l’effectif comprend au moins 500 salariés, et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est ­supérieur à 100 millions d’euros.

 

LES POINTS CLÉS

  • Les apports du projet de directive sont nombreux au plan européen : si la majorité ne devraient pas entraîner de modifications substantielles du droit français, certaines dispositions notables vont plus loin que le dispositif national actuel.
  •  Le projet de directive n’impose pas directement la mise en place de programmes de conformité.
  •  L’introduction d’une nouvelle responsabilité en cas de défaut de surveillance ou de contrôle de la part des entreprises implique cependant, en creux, de mettre en place des programmes de contrôles internes.

 

SUR L'AUTEUR

Margot Sève, European Counsel et docteur en droit, conseille des groupes français et internationaux aux prises avec de multiples autorités de poursuite et de régulateurs, notamment à l’occasion d’enquêtes internes, revues de programmes de conformité, et d’opérations M&A. La pratique de Skadden couvre tout le spectre des sujets de conformité (anticorruption, sanctions internationales, blanchiment d’argent, fraude, etc.) et des besoins des entreprises (audit d’acquisition, programme de conformité, cartographies des risques, enquête interne, relations avec les autorités et remédiation).

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