Frédéric Loeper, Accuracy : "En 2024, le cabinet aura 20 ans et comptera plus de 600 collaborateurs dans 13 villes sur quatre continents"

Décideurs. Les injonctions sociales et environnementales cernent les entreprises depuis plusieurs années. Quel impact cela a-t-il sur votre activité ? 

Frédéric Loeper. Il existe actuellement une tendance forte à la conformité et aux enquêtes internes dans les entreprises. Notre périmètre d’intervention, qui couvre historiquement principalement des sujets d’anticorruption ou de détournement de fonds, devient de plus en plus vaste. Accuracy intervient aujourd’hui en prévention ou en réaction sur cinq grandes natures de risques : les risques pénaux (la corruption, les pratiques anticoncurrentielles, la fraude fiscale, la fraude financière, le blanchiment d’argent, le détournement de fonds…), les risques réputationnels (les conflits d’intérêts, les problématiques de greenwashing, les attaques boursières…), les risques liés à la cybersécurité (les cyberattaques, les fuites de données…), les risques financiers (comptes falsifiés…) et, enfin, les risques réglementaires (vérification de la conformité de l’entreprise aux règlements applicables). Ces différents risques se recoupent assez régulièrement. Au sein de cette typologie, le devoir de vigilance devient progressivement un sujet majeur pour les entreprises. Outre les conséquences judiciaires, le non-respect de ce devoir impacte très fortement la réputation de l’entreprise, ce qui a des conséquences négatives sur la performance financière (perte de clients), les capacités de recrutement de nouveaux talents, et in fine la valeur de l’entreprise. Nous intervenons de plus en plus pour aider nos clients à mettre en place ou revoir des dispositifs permettant de respecter leur devoir de vigilance. Cela inclut l’analyse du respect des droits humains sur toute la chaîne de valeurs, des fournisseurs aux clients, mais également l’analyse des impacts environnementaux de tel ou tel projet… Nous avons ainsi été mandatés pour effectuer une revue indépendante sur les enjeux ESG d’un projet majeur d’infrastructure en lien avec les Objectifs de développement durable (ODD) de notre client. À cet effet, nous avons évalué les risques du projet au regard des normes de performance en matière de durabilité environnementale et sociale.

"Pour bien négocier une CJIP, une entreprise doit avoir une connaissance précise de ce qui s’est passé en son sein"

Quel est le bilan de l’année passée ?

Année après année, la conformité au sein des entreprises gagne en visibilité et en impact. Les directeurs de la conformité sont devenus des acteurs incontournables de l’entreprise et leur champ d’action ne cesse de croître. Cela se traduit pour nous par un nombre croissant de missions sur des sujets de plus en plus variés. Nous avons ainsi pu travailler au cours de l’année écoulée sur des sujets liés à des fuites de données informatiques, sur des sujets liés à la défense de l’entreprise face à des fonds activistes, sur des "monitorships" et également sur des travaux d’évaluation des avantages tirés des manquements dans le cadre de conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP).

Les CIJP génèrent-elles de l’activité supplémentaire pour vous ?

Pour bien négocier une CJIP, une entreprise doit avoir une connaissance précise des faits qui se sont déroulés en son sein. Les manquements sont souvent imputables à des collaborateurs qui ont agi à l’insu de la tête de l’organisation. Il y a une quinzaine d’années, les entreprises avaient tendance à gérer en interne les comportements non éthiques de certains salariés ; sans faire appel au régulateur. Aujourd’hui, le sens de l’histoire va vers plus de transparence et vers la collaboration avec les autorités. Pour cela, les entreprises ont besoin d’investigations réalisées en totale indépendance par un tiers qui peut être un avocat ou un cabinet spécialisé. Afin qu’un juge puisse se fier au contenu et aux conclusions de l’enquête interne, l’indépendance de l’enquêteur est fondamentale. Cette indépendance, aussi bien capitalistique que d’esprit, est une force d’Accuracy. Nous sommes un cabinet détenu à 100 % par l’ensemble de ses associés qui sont majoritairement français et nous n’exerçons pas de profession réglementée.

Quel est le niveau de maturité des entreprises sur le plan de la conformité ?

Nous avons réalisé plusieurs missions de revue de programme de conformité au cours de l’année passée et avons constaté une nette amélioration, mais aussi une grande hétérogénéité selon les entreprises et selon les activités sous-jacentes. Ainsi, les entreprises très exposées au risque de corruption ou de blanchiment du fait de leurs activités et des géographies dans lesquelles elles opèrent ont mis en place des programmes robustes et matures. Ce n’est en revanche pas encore toujours le cas pour les entreprises qui en théorie sont moins concernées par ces sujets.

Quels sont les atouts d’Accuracy pour faire face à l’extension des sujets de conformité ?

Accuracy est composé d’un ensemble de compétences de nature très diverses. L’ADN d’Accuracy est la matière financière qui est l’une des principales compétences requises lorsqu’il s’agit de tracer et comprendre des flux financiers. Au-delà de l’aspect purement financier, il est également nécessaire de mobiliser des compétences informatiques, notamment pour réunir des éléments de preuve au sein des messageries électroniques, des disques durs d’ordinateurs, des téléphones, etc. À la suite d’un besoin de nos clients, nous avons investi cette année dans des compétences en cybersécurité.

"Chez Accuracy, on aime les dossiers compliqués à forts enjeux"

Nous proposons également des services en intelligence économique, compétence souvent nécessaire pour identifier des actifs et remonter jusqu’aux bénéficiaires ultimes. Certains de nos collaborateurs sont des experts en conformité, ou encore en data analytics. Identifier des flux financiers dans un système financier revient à chercher une écriture parmi des milliers d’écritures. Une aiguille dans une botte de foin. Il faut détenir les compétences adéquates pour traiter un tel volume d’informations. En outre, Accuracy a développé une pratique autour de l’ESG pour appréhender les sujets environnementaux de nos clients et les contentieux à venir sur le devoir de vigilance.

Est-ce facile de recruter les bons talents ?

Recruter des personnes talentueuses est toujours difficile, mais Accuracy est attractive. L’entreprise bénéficie d’une excellente réputation au sein des grandes écoles d’ingénieurs et de commerce de premier rang. En 2023, nous avons recruté 130 nouveaux consultants dans tous nos domaines d’activité afin de porter l’effectif global du cabinet à plus de 600 collaborateurs, répartis dans les 13 pays où nous avons ouvert des bureaux sur les 19 dernières années. En 2004, lors de la création d’Accuracy, nous n’étions qu’une dizaine à Paris. 

L’IA s’invitera-t-elle ou s’invite-t-elle déjà dans votre activité ?

L’IA fait déjà partie de notre activité. En matière informatique notamment, afin de pouvoir traiter les masses de données que nous récupérons lors d’une mission, nous utilisons depuis plusieurs années des algorithmes d’intelligence artificielle afin d’identifier des documents ou des flux financiers pertinents parmi des milliers ou des millions d’autres informations. Une fois programmé, l’algorithme nous propose des documents qu’il a jugé pertinents ; nous validons ou non cette pertinence puis l’algorithme s’enrichit au fur et à mesure en fonction des documents et informations que nous retenons.

Quelles sont vos perspectives pour 2023 ? Les prochains projets ?

Elles sont bonnes. Notre souhait demeure de travailler sur des dossiers intéressants par leur exposition, leur complexité et la multiplicité des compétences qu’ils requièrent. Nous ne retenons pas une logique quantitative. Chez Accuracy, on aime les dossiers compliqués à forts enjeux. C’est une particularité du cabinet.