Dans le volet relatif au financement du terrorisme de l'affaire Lafarge, huit personnes sont renvoyées devant le tribunal correctionnel. Le procès devrait se tenir à l'automne 2025, près de dix ans après le dépôt de la première plainte. 

La plainte date de novembre 2016. Huit ans plus tard, les juges d’instruction ont décidé de renvoyer devant le tribunal correctionnel la société Lafarge et quatre de ses anciens dirigeants. Ils seront jugés pour financement d’une entreprise terroriste et violation d’un embargo. Deux autres personnes compléteront le banc des accusés : deux anciens employés chargés de la sécurité en Syrie et deux intermédiaires syriens, dont l’homme d’affaires Firas Tlass. L’ancien directeur sûreté du groupe, Jean-Claude Veillard, s’en est sorti avec un non-lieu. Ses avocats, Sébastien Schapira et Antoine Galudec, ont exprimé leur soulagement auprès de l’AFP : “Après sept années d’un combat judiciaire sans relâche, l’innocence est enfin établie.

Quant au cimentier, il “prend acte de la décision des magistrats instructeurs dans ce dossier hérité du passé”. Solange Doumic, avocate de l’ex-directeur général adjoint opérationnel de Lafarge, Christian Herrault, regrette que n’ait pas été prise en compte “la réalité des faits vécue par [son] client”. Selon son analyse livrée à l’AFP, l’instruction “n’a jamais voulu sortir de la ligne tracée à l’origine par l’enquête interne – une enquête à charge faite uniquement pour satisfaire le Department of Justice américain”.

Les autorités françaises blanchies

Une information judiciaire avait été ouverte en 2017. Ce sont onze anciens salariés et le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains (ECCHR) qui avaient saisi les autorités françaises après des révélations sur des financements effectués par le cimentier au profit de l’État islamique – plusieurs millions d’euros de droits de passage, de commissions pour des sauf-conduits et des taxes sur les matières premières auraient été versés à des groupes armés –, pour continuer à exploiter son activité en Syrie malgré le conflit et les risques que courraient ses employés maintenus sur place. D’après l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, les personnes mises en cause “ont, dans une logique de recherche de profits pour l’entité économique qu’ils servaient, ou pour certains de profit personnel direct, organisé, validé, facilité ou mis en œuvre une politique supposant de faire parvenir un financement aux organisations terroristes implantées autour de la cimenterie”. À l’instar du Parquet, les juges d’instruction ont en revanche exclu une influence des autorités françaises dans le maintien de l’activité de la cimenterie. L’existence de communications “entre les responsables sûreté de Lafarge et les services secrets français ne démontre absolument pas la validation par l’État français des pratiques de financement d’entités terroristes mises en place par Lafarge en Syrie”.

Première société au monde mise en examen pour complicité de crimes contre l’humanité

Dans le volet de l’affaire relatif aux accusations de complicité de crimes contre l’humanité – le dossier a été scindé en deux en juin 2023 –, Lafarge est également mis en examen. Une mise en examen validée en janvier dernier par la Cour de cassation, après un pourvoi de l’entreprise française contre l’arrêt du 18 mai 2022 de la chambre de l’instruction de la cour d’appel qui avait maintenu quant à elle la mise en examen contre Lafarge pour deux chefs d’accusation : complicité de crimes contre l’humanité et mise en danger de la vie d’autrui. En validant la compétence des juridictions françaises dans cette affaire, la Cour de cassation a fait de Lafarge la première société au monde, en tant que personne morale, à être mise en examen sur ce fondement. Si les associations de défense des droits de l’homme comme Sherpa avaient applaudi cette partie de la décision, elles avaient déploré l’abandon de la mise en examen pour mise en danger de la vie d’autrui. Sur ce point, la Cour de cassation avait jugé que l’implication de Lafarge dans la gestion de sa filiale syrienne ne suffisait pas à justifier l’application du droit du travail français aux travailleurs syriens. Selon Anna Kiefer, chargée de contentieux et plaidoyer à Sherpa : “Cette décision illustre une fois de plus à quel point il est difficile pour les travailleurs de multinationales d’accéder à la justice. Il existe un paradoxe flagrant : alors que les sociétés mères tirent profit de l’activité de leurs filiales, elles peuvent échapper à leur responsabilité en cas de violations commises à l’étranger.”

Là encore, si le procès va bien avoir lieu, les salariés syriens n’en bénéficieront pas. Ils avaient été jugés irrecevables dans ce volet de l’affaire portant sur les infractions liées au terrorisme, explique Sherpa. Le parquet national antiterroriste (Pnat) a dix jours pour faire appel de l’ordonnance de renvoi.

Anne-Laure Blouin

 

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