La Cour de Justice de l’Union européenne donne quitus à l’utilisation par la justice roumaine d’enregistrements obtenus par la ruse de deux journalistes du Sunday Times à l’encontre d’Adrian Severin. L’affaire de cet eurodéputé qui s’était laissé corrompre avait fait grand bruit en 2011.
Validation européenne de la procédure pénale à l’encontre de l’eurodéputé roumain piégé par le Sunday Times
“Cash for Law.” C’est ainsi que le Sunday Times avait titré son article sur des faits de corruption au sein du Parlement européen en 2011. Une décennie plus tard, le 9 octobre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne éconduit Adrian Severin, l’un des eurodéputés visés à l’époque par l’enquête du média britannique. Les juges luxembourgeois ont conclu que la procédure pénale qui avait suivi le déballage de l’affaire dans la presse n’avait rien d’inéquitable, contrairement à ce que l’homme politique roumain avait tenté de faire valoir.
Retour au début des années 2010. Des journalistes rencontrent Adrian Severin, alors eurodéputé roumain à Strasbourg et à Bruxelles. Sous de faux noms, ils se font passer pour des lobbyistes londoniens. Adrian Severin accepte leur proposition de siéger comme membre consultatif de l’entreprise, contre rémunération. Les journalistes relateront plus tard dans leur article que le député a œuvré pour obtenir la modification d’un projet d’amendement d’une directive européenne relative aux systèmes de garantie de dépôts, conformément aux vœux des journalistes. Cela fait, Adrian Severin leur adresse une facture de 12 000 euros pour “services de conseil”. Manque de chance pour lui, les journalistes ont récolté, tout au long de leurs échanges, des preuves, notamment des enregistrements téléphoniques ou de conversations en face-à-face ainsi que des messages électroniques. Autant d’éléments qui serviront de base à l’enquête judiciaire ouverte quelques jours après la publication de l’article et à l’assignation en justice d’Adrian Severin pour corruption passive et trafic d’influence. Les trois juges de la Haute Cour de cassation et de Roumanie le condamnent en 2016. Son immunité parlementaire avait été levée en 2011 par le Parlement européen à la demande des autorités roumaines. Il écope à l’époque d’une peine de trois ans et trois mois de prison et il est reconnu coupable de corruption passive et de trafic d’influence. Le politicien finit par se tourner vers la Cour européenne des droits de l’Homme après deux recours internes en 2017 et 2018. En 2017, l’appel aboutit au contraire à un rallongement de sa peine qui passe de trois à quatre ans de prison ferme.
Agents provocateurs
À Luxembourg, les sept juges européens n’adhèrent pas à l’argument selon lequel les journalistes se sont comportés comme des “agents provocateurs”. Pas d’intervention étatique, pas de provocation. C’est la règle en matière de preuve pénale : on accepte la déloyauté des particuliers. Même logique pour l’utilisation des captations et des enregistrements des journalistes comme éléments de preuve à charge – illégale pour Adrian Severin. Si les juges roumains n’ont pas donné suite aux demandes d’expertise pour vérifier leur authenticité, ils ont laissé le champ libre à l’élu et à ses avocats pour visionner les pièces et formuler des objections. Autre point : d’autres preuves ont été versées aux débats. La CJUE souligne quand même dans son communiqué le “poids que les éléments de preuve obtenus ou fournis par les journalistes, et notamment les enregistrements, ont pu avoir et des difficultés que leur utilisation a pu causer à la défense”.
Les problèmes de connexion de la visioconférence réalisée pour l’audition des journalistes anglais par les autorités roumaines n’ont pas davantage vicié la procédure. C’était un autre argument de l’ex-député : l’audition des journalistes aurait été réalisée dans des “conditions défavorables à la défense”. Et aurait permis aux autorités roumaines d’exercer une influence sur eux. Inexact corrigent les juges de l’Union, à ce stade de la procédure, les témoins avaient été auditionnés par les autorités britanniques, et non pas par le parquet roumain. Rien ne prend auprès de la CJUE.
Deux autres députés étaient tombés dans le piège des journalistes. Ernst Strasser, l’ancien ministre de l’Intérieur autrichien s’était laissé berner. Il a été condamné en janvier 2013 à quatre ans de prison ferme pour corruption par un tribunal de Vienne. Sa défense a toujours consisté à dire qu’il avait joué le jeu soupçonnant dès le début la supercherie. Dernier lapin dans les phares : Zoran Thaler, ministre des Affaires étrangères slovène entre 1995 et 1997, puni en 2014 par la justice de son pays natal d’une peine de deux ans et demi de prison et d’une amende de 32 250 euros.
Anne-Laure Blouin