La Californie a annoncé lundi 23 septembre 2024 poursuivre la société ExxonMobil pour son rôle dans la pollution plastique. Le procureur général l’accuse en parallèle d’avoir mené une campagne de greenwashing. L’affaire s'ajoute à la liste grandissante des contentieux climatiques en cours à travers le monde.

Le ton monte entre la Californie et le géant pétrolier ExxonMobil. Le 23 septembre dernier, Rob Bonta, le procureur général de l’État américain, a déposé plainte contre l’entreprise pour sa campagne de désinformation sur la pollution plastique. C’est une action inédite. Selon le communiqué du procureur, ExxonMobil a “prétendument participé à une campagne de tromperie qui dure depuis des décennies et qui a provoqué et aggravé la crise mondiale de la pollution plastique”. Quatre associations – Sierra Club, Surfrider Foundation, Heal the Bay et Baykeeper – ont déposé une autre plainte similaire en parallèle.

Des mensonges pour le profit

Le "top cop" de la Californie pointe les “déclarations publiques trompeuses et “un marketing astucieux” qui colportent l’idée fausse que le recyclage permettrait de résoudre le problème de la quantité toujours croissante de déchets plastiques produits par ExxonMobil. Aux États-Unis, seuls 9 % des plastiques sont recyclés. Les 91 % restant sont incinérés ou enfouis dans des décharges, ou pire, déversés dans la nature et les océans. Un chiffre colossal quand on sait que la production de plastique à partir de pétrole a augmenté de 20 000 % depuis les années cinquante. Selon le procureur américain, la major du plastique – c’est le plus grand producteur mondial de polymères utilisés pour fabriquer des plastiques à usage unique – a conscience du caractère mensonger de ses promesses. “ExxonMobil a menti pour augmenter ses profits record au détriment de notre planète et peut-être en mettant en danger notre santé.” Et d’insister : “Par sa tromperie, ExxonMobil a provoqué ou contribué de manière substantielle à une pollution plastique qui a porté atteinte et continue de porter atteinte à l'environnement, à la faune et aux ressources naturelles de la Californie.”

Il cite la fois où ExxonMobil a fait placer une publicité de 12 pages de style éditorial dans une édition de juillet 1989 du magazine Time intitulée “L’urgent besoin de recycler”. Le publireportage présentait le recyclage comme solution intelligente pour les déchets plastiques et incitait à faire des efforts pour promouvoir cette technologie. Autres agissements reprochés au major pétrolier : la promotion par le biais d’une association professionnelle de diffusion du symbole des flèches de poursuite pour les plastiques, que les consommateurs associent intuitivement au recyclage, et la présentation du recyclage chimique comme “percée technologique” permettant un recyclage propre. Cette forme de recyclage comporte en fait des vices éludés par ExxonMobil comme le fait que plus de 90 % des déchets ainsi traités deviennent du carburant.

“Les Californiens en paient le prix”

Une enquête sur les industries des combustibles fossiles et de la pétrochimie pour leur rôle dans la crise mondiale des déchets plastiques et de la pollution avait été lancée en avril 2022 par Rob Bonta. Elle a permis d’accéder à des documents restés secrets jusqu’à présent et qui ont servi de base à la plainte de septembre 2024. La liste des reproches qui figurent dans la plainte est longue : tromperie des consommateurs, violation des lois californiennes sur les nuisances, les ressources naturelles, la pollution de l'eau, la publicité mensongère et la concurrence déloyale. Le procureur accuse aussi la firme américaine d’avoir fait supporter au secteur public les coûts de nettoyage et d’environnement de sa tromperie et de sa production de plastique. “Les Californiens en paient le prix.”

ExxonMobil réfute les accusations. Selon les mots de sa porte-parole Lauren Kight, la compagnie pétrolière regrette que la Californie n’ait pas cherché à se rapprocher de l’entreprise “pour résoudre le problème et éviter que le plastique ne finisse dans les décharges. Pour l'entreprise, les autorités californiennes n'ont pas réussi à mettre en place de système de recyclage efficace et cherchent à rejeter la faute sur les autres.

Une affaire similaire avait éclaté en France en janvier 2023. Des ONG avaient assigné Danone devant le tribunal judiciaire de Paris sur le fondement du devoir de vigilance pour les mêmes raisons. Elles réclamaient au mastodonte alimentaire un état des lieux global, “de la production des produits, au transport, en passant par la logistique, la promotion et la commercialisation des produits plastiques”. L’entreprise s’était défendue d’être “une entreprise pionnière dans la gestion des risques environnementaux . En septembre de la même année, le juge avait exigé que les deux parties tentent de trouver une solution grâce à une médiation.

 

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Plage à Los Angeles - crédit photo Christian Koch BKA

 

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Ce n’est pas la première fois qu’ExxonMobil doit faire face à la justice sur fond d’enjeux climatiques. En juin dernier, c’est au Texas qu’un tribunal a rejeté une plainte portée cette fois par l’entreprise à l’encontre de deux de ses actionnaires pour les empêcher de déposer une proposition de résolution climatique lors de son assemblée générale de mai. Les investisseurs menés par Arjuna Capital et le groupe d'actionnaires activistes Follow This réclamaient à la major de reporter sur ses émissions de scope 3. En octobre 2019, ExxonMobil se tenait devant la Cour suprême de l'État de New York, accusé par le procureur général de la Big Apple d'avoir trompé, entre 2010 et 2014, ses investisseurs en sous-estimant délibérément les risques financiers liés au réchauffement climatique. L’entreprise s’en était tirée faute de preuves, mais le juge avait soulevé dans sa décision que “rien dans ce jugement ne [visait] à exempter ExxonMobil de sa responsabilité de contributeur au changement climatique par le biais de l’émission de gaz à effet de serre dans la production de ses énergies fossile”.

86 actions climatiques en cours contre le secteur fossile

En 2023, l’Unep (Programme des Nations unies pour l'environnement, PNUE) estimait que le nombre total d'affaires judiciaires liées au changement climatique avait plus que doublé depuis 2017. On comptait 884 dossiers en 2017 contre 2 180 en 2022. Si les États-Unis concentraient bon nombre de ces litiges, le mouvement inflationniste gagne le monde entier. Selon Inger Andersen, directrice exécutive du PNUE, “les contentieux liés au climat deviennent un mécanisme clé pour garantir l'action climatique et promouvoir la justice climatique”. En septembre 2024, le rapport de l'ONG Oil Change International et le groupe de recherche Zero Carbon Analytics recensait 86 actions en justice climatique intentées contre des entreprises du secteur fossile dans le monde. Parmi elles, 16 % sont fondées sur des pratiques de greenwashing. Selon le rapport, ce type de demande aboutit “dans la quasi-totalité des cas à une décision défavorable à l'énergéticien auteur de la publicité trompeuse ou à un retrait de celle-ci”. Signe que pour les entreprises qui vont bientôt devoir publier leur rapport de durabilité, il faut prendre le sujet au sérieux.

Sauver sa réputation

Des directeurs juridiques contactés recommandent une collaboration étroite entre la direction juridique et les autres directions de l’entreprise (financière, des ressources humaines, de la compliance, de la communication…) pour répondre aux défis CSRD et CS3D – du nom des directives sur le reporting extra-financier et le devoir de vigilance. De manière à anticiper les pièges à éviter et ne pas risquer d’engager sa responsabilité. Sans surprise, la BPI classe parmi les risques indirects du climat sur l’entreprise, les risques juridiques et de responsabilité qui visent les recours en justice contre les entreprises accusées de participer au changement climatique ou d’être inactives. Elle liste aussi les risques réglementaires dopés par une inflation de textes et d’obligations de reporting ou d’affichage environnemental, et le risque réputationnel, que les entreprises redoutent davantage que les amendes, qui demeurent, elles, à hauteur de leurs moyens. Les atteintes à la réputation font d’ailleurs partie intégrante de la stratégie des ONG qui lancent des actions contre les grandes entreprises. Chez Mighty Earth, on considère que la voie judiciaire constitue une phase nécessaire pour que les sociétés prennent conscience de leur responsabilité, des risques financiers et d’image attachés à la condamnation.

Anne-Laure Blouin

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