Le scandale des PFAS déferle sur la France depuis un peu plus d’un an. Le législateur légifère, les industriels défendent leurs intérêts, et les avocats et les assureurs échafaudent leurs stratégies. Régime de responsabilité adéquat, exclusion du risque des polices d’assurance… Les tactiques fleurissent à mesure que le contentieux éclot.

Référés d’urgence, dépôts de plainte, perquisitions, proposition de loi, tests capillaires de personnalités publiques… En un an, les PFAS sont passées de substances quasi inconnues du grand public à sujet phare de l’actualité. Il faut dire que tout est allé crescendo ces derniers mois en France, depuis les révélations début 2023 par le Forever Pollution Project d’une contamination des eaux, des sols et des êtres vivants aux PFAS à l’échelle européenne. Dans la foulée, une proposition de loi a été déposée le 25 avril 2023 à l’Assemblée nationale, à laquelle s’est ajouté le 27 juin 2023 un arrêté imposant à 5 000 installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) de rechercher la présence de PFAS dans leurs rejets aqueux.

Depuis l’année 2023, les révélations au grand public vont bon train. Juin 2023 : on annonce à l’Assemblée nationale la présence de PFAS dans le sang de plusieurs députés français. Janvier 2024 : ces substances ont été détectées également dans celui de responsables européens testés par des ONG. Quelques mois plus tard, des célébrités françaises font don de quelques mèches de cheveux pour analyse ; les résultats sont communiqués en mars. Si certaines ne présentent aucune trace de PFAS, comme Guillaume Meurice ou Kevin Mayer, d’autres sont contaminés. C’est le cas de Nagui, Camille Étienne ou encore Mélanie Laurent. Le 16 mai dernier, ce sont des pompiers, particulièrement exposés en raison de leur équipement imperméable et de leur usage de la mousse anti-incendie, qui font le test à l’appel des Europe-Écologie Les verts. Résultat : ils étaient tous contaminés, indique le 28 mai le syndicat pompier UNSA-SDIS dans un communiqué de presse. De nombreux documentaires creusent la question, dont le retentissant Toxic Bodies de Camille Étienne et Solal Moisan diffusé sur YouTube en mars 2024. Le but de ces révélations en cascade : convaincre les citoyens français et surtout les députés de la dangerosité de ces produits chimiques.

Le litige opposant la commune de Pierre-Bénite, ses riverains, des associations et plusieurs communes de la région lyonnaise à l’entreprise Arkema s’étoffe

La première grande épreuve de la lutte contre les PFAS s’est jouée le 4 avril 2024. Ce jour-là, le sort des polluants éternels a été décidé en première lecture à l’Assemblée nationale, à l’occasion du vote de la proposition de loi anti-PFAS du député Nicolas Thierry (auteur et rapporteur de la proposition). Les élus se sont prononcés en faveur de l’interdiction de leur utilisation dans la fabrication de nombreux produits. Exception faite des poêles en téflon, pourtant l’une des demandes phares du texte de Nicolas Thierry. Les dirigeants et les salariés du groupe Seb (propriétaire de Tefal), qui avaient manifesté contre le texte la veille, ont applaudi la sortie des ustensiles de cuisine de la proposition. À l’opposé, les militants écologistes ont dénoncé un chantage à l’emploi et le lobbying des industries du secteur au détriment de la santé des Français. Le rapporteur s’est toutefois félicité d’"une première avancée majeure, dont on peut collectivement être fiers". La navette parlementaire enclenchée, le texte a été envoyé aux sénateurs qui, après examen le 30 mai, l’ont adopté à l’unanimité (moins une abstention) avec quelques modifications. Prochaine étape : la deuxième lecture à l’Assemblée nationale pour une adoption définitive d’ici la fin de l’année.

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Lyon, épicentre du contentieux français

Les actions judiciaires, elles, se poursuivent. Contentieux français majeur en matière de PFAS, le litige opposant la commune de Pierre-Bénite, ses riverains, des associations et plusieurs communes de la région lyonnaise à l’entreprise Arkema s’étoffe. Fin mai 2023, les plaignants avaient déposé un référé pénal environnemental contre le groupe chimique réclamant la limitation des rejets des polluants à 1 kilogramme (kg) par mois. Une réduction drastique par rapport au plafond de 80 kg par mois d’ici fin décembre 2023 puis 60 kg par mois d’ici fin septembre 2024 fixé par un arrêté préfectoral du 23 septembre 2022. La requête a été rejetée par le juge des libertés et de la détention le 16 novembre 2023. "Entre le dépôt de la requête et l'audience, les prescriptions imposées à Arkema ont changé. Le juge s'est prononcé sur l'état actuel et a constaté qu'Arkema se conformait à sa nouvelle réglementation. Il n’y avait donc pas d’infraction", explique Charline Gillot, élève-avocate et juriste chez Notre Affaire à Tous, qui a suivi le dossier. Le 11 janvier 2024, la chambre de l’instruction juge irrecevable l’appel formé contre la décision de l’automne. Le procureur général et Notre affaire à Tous ont porté l’affaire devant la Cour de cassation qui n’a pas encore rendu son verdict.  

Toujours dans l’affaire Pierre-Bénite contre Arkema, une instruction pénale est ouverte depuis juillet 2023 à la suite d’une plainte contre X déposée par la mairie en mai 2022. À celle-ci s’ajoute une plainte collective déposée en septembre 2023 pour mise en danger de la vie d’autrui, écocide et rejet de substances polluantes dans les eaux. En réponse, le 9 avril 2024, les autorités mènent des perquisitions au sein des locaux d’Arkema et Daikin, une société japonaise dont l’usine voisine de celle d’Arkema est accusée de rejeter les polluants dans l’atmosphère. Contacté, le groupe Arkema indique que la société "a remis aux enquêteurs l’ensemble des éléments demandés. Arkema, comme il l’a toujours fait, continue de coopérer avec les autorités".

En parallèle, la Métropole de Lyon a assigné le 19 mars 2024 Arkema et Daikin devant le tribunal judiciaire de Lyon en référé expertise "pour faire la lumière sur la responsabilité éventuelle des deux industriels dans la pollution aux PFAS". La mairie espère une indemnisation des pollueurs dans le cas où "un lien de causalité entre les activités d’Arkema et de Daikin et les préjudices subis [est établi]", annonce-t-elle dans son communiqué de presse. Le tribunal judiciaire de Lyon a examiné l’affaire le 28 mai et rendra sa décision le 30 juillet prochain. Selon Arkema, "le site de Pierre-Bénite respecte toutes les réglementations quant à ses rejets industriels et est régulièrement contrôlé par les autorités. Le site a notamment mis en œuvre et pris en charge, sous le contrôle de la DREAL, les investigations environnementales prévues par les 4 arrêtés préfectoraux qui lui ont été prescrits depuis mai 2022 concernant les PFAS". Le groupe affirme à nouveau travailler de façon transparente avec les pouvoirs publics.

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Parmi les infractions visées, l’écocide et la mise en danger délibérée d’autrui 

Plaintes contre X

Ailleurs dans l’Hexagone, les actions en justice se multiplient. Des associations, des communes et des partis politiques portent plainte devant la justice pour rejet de substances nuisibles à l’environnement et la santé, entre autres. Déjà, en juin 2023, l’association Générations futures déposait trois plaintes contre X dans les Hauts-de-France, en Bourgogne Franche-Comté et dans les Pays de la Loire pour atteintes à l’environnement aquatique et aux poissons, mise en danger de l’environnement et pour pollution des milieux. Depuis, l’association "compte […] déposer une plainte auprès du procureur de la République pour […] atteinte aux poissons [et] pollution aggravée des eaux" dans le Gard, indique le média Actu Environnement en février dernier.

En ce qui concerne les collectivités territoriales, les villes du Rhône ont fait des émules. Grenoble annonce dans un dossier de presse avoir lancé plusieurs procédures le 22 mars contre Arkema… et l’État. Une procédure administrative est en cours. À l’encontre de la préfecture de l’Isère, la ville demande le retrait de "toutes les autorisations données à Arkema France pour rejeter des effluents pollués dans La Romanche". Elle se constitue aussi partie civile dans deux informations judiciaires, l’une contre Arkema pour "rejet de polluants irréguliers", l’autre contre Smag et Carron pour "activité et présence irrégulières dans le périmètre de protection immédiat des champs de captage de Rochefort". Enfin, la capitale des Alpes dépose une plainte contre X au regard de la pollution des nappes phréatiques qui l’alimentent en eau potable. Parmi les infractions visées, l’écocide et la mise en danger délibérée d’autrui.

Le monde politique est aussi de la partie. Les élus Les Écologistes de la région d’Annecy ont déposé plainte contre X le 11 janvier 2024 à la suite de la découverte de polluants éternels dans l’eau potable d’Annecy et de Rumilly (commune à 20 km du chef-lieu de Haute-Savoie). Leurs demandes sont claires : une enquête pénale et une enquête sanitaire.

Stratégies judiciaires

Toutes ces actions montrent des similitudes. Antoine Clerc, avocat associé du cabinet lyonnais Hélios Avocats, le constate dans la revue Droit de l’environnement. "Si la voie de l’action pénale classique n’est pas innovante en soi, deux choix stratégiques sont notables et révèlent une convergence de ces initiatives". Les cibles sont des personnes indéterminées, laissant le soin à "l’enquête pénale [de] désigner les responsables". Les qualifications, au nombre desquelles l’écocide, pourront "mener à la réparation du préjudice écologique causé par la contamination aux PFAS".

Les différents régimes de responsabilité constituent encore d’autres leviers possibles 

Autre tactique, relevée par Charline Gillot qui compare dans son mémoire les contentieux anti-PFAS américains et européens, les actions intentées par des collectivités territoriales ou des États. Elles "ont souvent pour objet d’imposer à l’entreprise de prendre en charge les coûts liés aux mesures de surveillance de la contamination et de dépollution des zones". Pour l’avocat Antoine Clerc, de telles actions en France sont souhaitables "pour ne pas socialiser le coût d'externalités privées issu de la négligence d'industriels conscients du danger des PFAS".

Les différents régimes de responsabilité constituent encore d’autres leviers possibles. Quatre peuvent être mobilisés selon l’avocat lyonnais. La responsabilité de l’exploitant d’une ICPE, la responsabilité de l’entreprise en tant que productrice de déchets (dans le cas où les PFAS seraient ainsi qualifiées), la responsabilité du fait des produits défectueux et "la responsabilité attachée aux obligations de compliance dans le cadre du reporting extra-financier et, surtout, du devoir de vigilance".

Interdictions en vue

Notre voisin belge a lui aussi son lot de contentieux PFAS. En décembre 2023, le collectif flamand Darkwater 3M a poursuivi en justice le siège américain de l’entreprise pour contourner le risque d’insolvabilité de la branche belge de la société. L’objectif ? Obtenir l’indemnisation des 500 familles riveraines de l’usine 3M de Zwijndrecht (province d’Anvers) auxquelles se sont ajoutés 1 400 citoyens. Mais surtout, il s’agissait de faire venir les dirigeants américains de l’entreprise en Belgique pour qu’ils répondent des actes de la société. La réponse de la firme ne s’est pas fait attendre. Le 11 mars 2024, 3M a annoncé verser 1,5 million d’euros aux entreprises agricoles et horticoles de Zwijndrecht. Mais pour les personnes physiques, rien n’a été annoncé. Ce n’est pas la première fois que l’entreprise américaine met la main à la poche. En juin 2023, le groupe acceptait de verser jusqu’à 12,5 milliards de dollars pour mettre un terme à ses ennuis judiciaires aux États-Unis.

Il n’est pas le seul à transiger avec les autorités américaines. Dans le New Jersey, les branches américaines des groupes Arkema et Solvay sont accusées depuis 2020 par le Département de la protection de l’environnement (NJDEP) d’avoir déversé dans les eaux de West Depford (sud de Philadelphie) des PFNA (membre de la famille des PFAS) empoisonnant ainsi la faune, la flore et les habitants. En juin 2023, Solvay a finalement annoncé une transaction avec le NJDEP d’un montant de 393 millions de dollars. En mai 2024, Arkema s’est engagé à signer un chèque de près de 109 millions de dollars. Les juges doivent valider l’accord.

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L’Union européenne n’est pas en reste. L’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) se penche toujours sur la proposition d’interdiction déposée par cinq pays européens. Des comités se réunissant tout au long de l’année pour discuter des différents secteurs touchés par les polluants éternels et des composants visés par la possible restriction. Autre axe d’intervention, la révision de la directive européenne relative aux emballages et aux déchets d’emballage sur le point d’être adoptée. Elle prévoit l’interdiction des emballages en contact avec les denrées alimentaires s’ils contiennent des PFAS (et du Bisphénol A) dans une concentration supérieure à certaines limites. Dans le Country Comparative Guides 2024 de Legal 500, Sylvie Gallage-Alwis et Gaëtan de Robillard, avocats associés du cabinet Signature Litigation, prédisent que ces développements législatifs "conduiront sans aucun doute à de nouvelles actions en justice contre des entreprises pour pollution environnementale liée aux PFAS".

Les PFAS pourraient causer au secteur des assurances la perte la plus coûteuse de son histoire 

Un polluant très coûteux

Avec de tels contentieux, complexes et massifs, les assureurs doivent donc se préparer. Une étude publiée en mars 2024 du Landesbank Baden-Wuerttemberg (LBBW) Research révèle que les PFAS pourraient causer au secteur des assurances la perte la plus coûteuse de son histoire. "Les demandes d'indemnisation pour les produits chimiques per- et polyfluorés (PFAS) à durée de vie extrêmement longue risquent de représenter une charge financière plus importante que le scandale mondial de l'amiante", estime le centre de recherche de la banque allemande. Lequel n’est pas le seul à parvenir à cette conclusion. Praedicat, prestataire de service d’analyse des risques, s’attend à des indemnisations pouvant atteindre plusieurs milliards de dollars dans les cas extrêmes.

Werner Schirmer, analyste en assurance de la LBBW, estime que les entreprises américaines sont davantage susceptibles de faire l’objet de recours. Pour les assureurs européens, il est plus difficile de se prononcer, mais des certitudes émergent. Les assureurs et les réassureurs ayant des activités aux États-Unis sont plus à risque, selon Werner Schirmer. Une prévision qui pourrait être contrebalancée. "Aux États-Unis, depuis les affaires de l'amiante, certains assureurs ont toutefois introduit des clauses d'exclusion pour la pollution de l'environnement dans leur responsabilité civile d'entreprise", rappelle l’analyste. Raison pour laquelle il est difficile de faire des prévisions précises quant à l’impact assurantiel des PFAS. Il suggère de "garder un œil sur la question". Voire les deux.

Chloé Lassel

Crédits photos : Anne-Laure Blouin, Chloé Lassel

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