Un nouveau scandale sanitaire défraye la chronique : celui des polluants éternels ou PFAS. En Europe comme aux États-Unis, l’indignation monte contre les entreprises qui distillent ces composés perfluorés dans la nature en dépit de leurs effets délétères sur la santé et l’environnement. Un risque judiciaire que les juristes et assureurs anticipent. Explications.
PFAS : juristes et assureurs se préparent à une vague de contentieux en France
Après l’amiante et le Mediator, ce sont les PFAS qui pourraient devenir le scandale sanitaire de la décennie. Derrière cet acronyme se cachent les substances perfluoroalkylées, une grande famille de plusieurs milliers de produits chimiques synthétiques utilisés depuis les années cinquante. Ces polluants éternels sont partout, dans les vêtements, les cosmétiques, les produits phytosanitaires et même dans les ustensiles de cuisine et les emballages de restauration rapide. Problème : les PFAS sont nocives pour la santé. Sources de cancers, entraînant une baisse de la fertilité ou touchant le système immunitaire, ces composés vont générer des contentieux.
Arrivée du contentieux en France
L’enquête Forever Pollution Project menée par une coalition de médias européens, dont Le Monde, et publiée en février 2023, révèle une carte de 17 000 sites européens contaminés. L’Hexagone n’est pas épargné. Au sud de Lyon, 37 riverains de la "Vallée de la Chimie", la zone de France la plus polluée aux PFAS, et 10 associations, dont Notre Affaire à Tous, ont saisi la justice le 25 mai 2023 par un référé pénal environnemental dirigé contre l’industriel Arkema France. Ce n’est pas la première fois que la société se trouve ainsi visée. Louise Tschanz, avocate spécialiste en droit de l’environnement et fondatrice du cabinet Kaizen Avocat, qui représente les associations et les victimes lyonnaises, rappelle avoir "préalablement déposé deux référés pénaux environnementaux le 31 mai 2022, contre Arkema France et Elkem Silicones France". Aujourd’hui, les demandeurs souhaitent que la justice ordonne à l’entreprise de se mettre en conformité avec le droit de l’environnement, et qu'elle prononce la limitation immédiate des rejets de PFAS dans l’eau à 1 kg par mois avec une campagne de mesure de la contamination. Interrogé au sujet de ces procédures, le groupe indique qu’ "Arkema n’a pas reçu de notification dans cette ou ces procédures et n’est donc pas en mesure de les commenter". L’association Génération futures a elle aussi déposé des plaintes contre X adressées aux procureurs de la République dans les Hauts-de-France, en Bourgogne Franche-Comté et dans les Pays de la Loire. Avec ces plaintes, l’association espère que "l’enquête pénale qui sera lancée permettra de mettre en lumière l’étendue de ces pollutions ainsi que l’étendue des violations des différents acteurs impliqués", selon Hermine Baron, l’avocate de Générations futures.
Procédures aux montants faramineux
Aux États-Unis, où le scandale a éclaté dans les années quatre-vingt-dix, pris de l’ampleur à partir de 2013 et s'est fait connaître du grand public sept ans plus tard, plus 6 400 actions en justice impliquant les PFAS ont été lancées depuis 2005, dont 1 235 en 2021, selon l’agence Bloomberg Law : 6 100 visaient l’entreprise DuPont et ses poêles en téflon.
Le 2 juin dernier, trois entreprises américaines (DuPont, Chemours et Corteva) ont signé un accord à près de 1,2 milliard de dollars pour enterrer des poursuites pour contamination aux PFAS et "pour solder toutes les poursuites liées aux plaintes d'une eau potable contaminée aux PFAS dans les réseaux publics de distribution d'eau", selon un communiqué des trois signataires. Selon l’agence Bloomberg, une quatrième entreprise, 3M, a conclu un accord de principe à plus de 10 milliards de dollars, l’un des plus gros accords jamais conclus aux États-Unis concernant un litige de masse en matière de responsabilité civile. Et d'après ses estimations, le montant total des actions en responsabilité sur les PFAS aux États-Unis avoisine les 30 milliards de dollars.
Depuis 2022, les États américains légifèrent pour bannir les PFAS. En Californie, dans le Colorado, le Maryland et le Vermont, il sera désormais interdit d’utiliser les polluants éternels pour fabriquer des produits de beauté et la Géorgie, l’Illinois, l’Oregon, le Rhode Island et Washington s’apprêtent à faire de même.
Montée des restrictions en Europe
Bref, les affaires liées au PFAS fleurissent un peu partout et en France aussi, de nombreux cabinets d’avocat se positionnent. D’autant qu’en Europe, si la lutte contre les PFAS n’est pas nouvelle – la majeure partie des pays européens sont déjà signataires de la Convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants qui restreint depuis 2009 l’usage de certains PFAS –, elle s’intensifie depuis plusieurs mois. En 2022 en Belgique, l’entreprise 3M s’est engagée à verser 571 millions d’euros au gouvernement flamand pour dépolluer les sols et contrôler la dispersion des PFAS dans l’air. En mai 2023, le juge anversois a condamné la société à verser 2 000 euros à une famille contaminée. Plus au sud de l’Europe, des litiges apparaissent : en décembre 2022 en Italie, deux dirigeants de l’entreprise Solvay ont été inculpés pour "catastrophe environnementale coupable" par le ministère public italien pour avoir déversé des PFAS dans la rivière de Spinetta Marengo, dans le Piémont, et contaminé la nappe phréatique, les sols puis les habitants.
L’Union européenne s’est saisie du problème. L’Agence européenne des produits chimiques restreint certaines PFAS depuis février dernier. Ce n’est que le début : des propositions d’interdiction totale d’utilisation sont à l’étude, sur proposition de l’Allemagne, du Danemark, des Pays-Bas, de la Norvège et de la Suède. Les États membres sont appelés à se prononcer en 2025. Des interdictions qui pourraient entrer en vigueur en 2026 ou en 2027.
D’après Louise Tschanz, il pourrait donc "y avoir énormément de procédures en Europe, y compris en France". Selon le cabinet Dac Beachcroft, qui partage cet avis, on peut s’attendre à ce que "l'affaire 3M en Belgique soit à l’origine d’une vague de litiges similaire à celle observée aux États-Unis durant la dernière décennie" à l’échelle européenne. Si la tendance en Europe suit celle des États-Unis, il faut s’attendre à des litiges à l’encontre des fabricants de PFAS puis à l’encontre des entreprises les utilisant. De quoi enjoindre aux assureurs d’être "très attentifs aux risques liés aux PFAS dans tous ces secteurs et dans plusieurs juridictions", ajoute le bureau londonien de la firme.
Chloé Lassel