Voilà dix mois que Julie Couturier et Vincent Nioré se sont installés à la tête du barreau de Paris. Statut des collaborateurs, bien-être au cabinet, État de droit et rapport Sauvé… Les sujets de réflexion ne manquent pas. Le temps, davantage. Entretien avec la bâtonnière de Paris et son vice-bâtonnier à quasi-mi-mandat.

Décideurs Juridiques. Le barreau de Paris a organisé le 29 septembre les chantiers de la collaboration. Pourquoi avoir ciblé ce sujet ? 

Julie Couturier. Je suis issue des rangs de l’UJA (Union des jeunes avocats de Paris), donc attachée au statut des collaborateurs. Pendant notre campagne, avec Vincent, nous avons fait le constat d’une radicalisation des positions et d’une rupture du dialogue entre cabinets et collaborateurs. On s’est demandé comment remettre de l’huile dans les rouages. Les collaborateurs représentent 12 000 avocats sur les quelque 30 000 du barreau de Paris. Il faut les prendre en compte. Certaines choses ont avancé, en matière de congé parental notamment, mais il y a encore beaucoup à faire. Le tout est de trouver le bon équilibre pour ne pas perdre l’esprit libéral de la profession. La collaboration est un compagnonnage entre le jeune avocat et le cabinet.

Les salaires ont déjà considérablement augmenté ces derniers mois, mais les difficultés de recrutement et de fidélisation subsistent. Quelles sont les aspirations des collaborateurs aujourd’hui ?

J. C. La pandémie a modifié le rapport au travail, et la profession d’avocat n’y échappe pas. Les collaborateurs aspirent à davantage de conciliation entre leur vie professionnelle et leur vie privée, à davantage de souplesse. Ils attendent aussi une meilleure prise en compte du harcèlement et des discriminations. Les sujets de bien-être au travail et de management sont venus percuter le recrutement. Ce n’est pas que les collaborateurs ne veulent pas travailler, mais ils veulent travailler autrement.

"Un avocat peut être un très bon professionnel et un très mauvais manager"

Des propositions pour améliorer l’expérience des collaborateurs ?

J. C. Nous avons souhaité organiser une manifestation horizontale, mettre tout le monde autour de la table. Certains avocats d’une génération plus ancienne n’entendent pas forcément les revendications des plus jeunes. Les débats ont été animés, il faut que le tout décante. Mais les cabinets sont sur le chemin de la prise de conscience. De notre côté, nous voudrions instaurer un mentorat à l’échelle du barreau, indépendamment de la relation professionnelle. Certains jeunes avocats n’ont pas de réseau, ou auraient besoin d’échanger avec des avocats qui ne font pas partie de leur cabinet. L’idée serait de permettre aux nouveaux d’avoir un avocat expérimenté vers qui se tourner. L’idée du volontariat a été bien accueillie, notamment par les avocats honoraires qui ont du temps et envie de transmettre. Un rapport au Conseil de l’ordre est en préparation, pour une mise en place début 2023.

Les chantiers de collaboration n’ont pas vocation à être du one shot. Nous espérons que nos successeurs les organiseront de nouveau dans deux ans, que le sujet deviendra un marronnier. Nous allons essayer d’instaurer un comité de suivi, pour agréger les idées et associer au projet des personnes qui ne font pas partie de l’ordre. Nous avons remarqué qu’il y a des pratiques vertueuses dans les cabinets qui mériteraient d’être diffusées pour donner des idées aux autres.

Faut-il mieux former les avocats au management ?

J. C. C’est l’un des fils rouges de nos réflexions. Un avocat peut être un très bon professionnel mais un très mauvais manager. Nous avons réfléchi à l’éventualité d’une obligation de formation au management avant de recruter. Elle pourrait compter au crédit de la formation continue, et serait un mécanisme gagnant-gagnant car le responsable apprendrait aussi sur lui. Reste à voir si l’idée passera au Conseil de l’ordre. 

"Nous ne sommes plus dans un État de droit, nous sommes dans un État de surenchère de l’information"

Comment pourrait-on mieux prévenir les situations de harcèlement ou de discrimination ?

J. C. Une commission existe déjà au barreau de Paris et a été réformée récemment. À l’origine, elle fonctionnait en deux temps, avec une première phase anonyme de libération de la parole et la possibilité de passer à une seconde phase contradictoire avec le présumé agresseur. Mais la personne plaignante pouvait craindre de passer à la seconde phase. Nous essayons donc de développer l’enquête déontologique, qui est un pouvoir propre du bâtonnier. Si des faits remontés lors de la première phase semblent probables, il peut aller enquêter sans exposer la personne qui se plaint. Les enquêteurs déontologiques désignés par le bâtonnier sont souvent issus de l’ordre. 

Et la procédure de sanction disciplinaire ?

J. C. Nous menons également une réflexion sur l’amélioration de la transparence des sanctions disciplinaires du Conseil de l’Ordre. Nous évoluons. Il n’est pas question de communiquer de façon proactive auprès des médias, mais nous confirmerons ou infirmerons si nous sommes interrogés. Nous restons attachés aux notions de contradictoire et de présomption d’innocence... 

Vincent Nioré. … qu’il faut remettre au cœur des débats. Les critiques adressées à la commission disciplinaire, dont on entend qu’elle manque de transparence, sont infondées. Les avocats ne pratiquent pas l’entre-soi. La réforme disciplinaire a introduit l’échevinage. Les magistrats entrent dans la procédure disciplinaire. Magistrats qui, dans le rapport sur les États généraux de la justice, sont ceux à propos desquels la question de l’entre-soi est soulevée. Le rapport Sauvé souligne à quel point il est crucial que la magistrature sorte de son autarcie. Du côté des avocats, l’entre-soi n’existe plus vu la violence des sanctions disciplinaires. Il faut parler aussi de l’entre-soi entre les journalistes et les enquêteurs ou les magistrats. Aujourd’hui, le seul secret inexpugnable est celui des sources, pas celui de l’avocat. Il y a une coordination pour fabriquer des boucs émissaires, au mépris de la présomption d’innocence. Nous ne sommes plus dans un État de droit, nous sommes dans un État de surenchère de l’information.

"L’inflation normative a eu des conséquences sur l’entente entre les acteurs judiciaires"

Quelles armes reste-t-il à l’avocat aujourd’hui ?

V. N. Le secret professionnel est détruit, par la jurisprudence et par la loi. Il nous reste le silence et l’exercice des droits de la défense. Dans le principe de l’égalité des armes, voici la nôtre : celle de la procédure. Julie et moi demandons des réformes. Nous voulons que l’avocat de la défense puisse être présent lors d’une perquisition judiciaire, comme le prévoyait un amendement de Raphaël Gauvain étouffé par le Sénat. 

Les juristes d’entreprise ont espoir d’obtenir prochainement le legal privilege, que le rapport sur les États généraux de la justice évoque également. Qu’en pensez-vous ? 

V. N. Le legal privilege est la quête du Graal pour les juristes. Mais je ne vois pas pourquoi Bercy et la Chancellerie accorderaient aux juristes quelque chose qui n’est pas accordé aux avocats, surtout qu’il y a déjà des solutions. Lorsqu’un avocat écrit à un juriste, les communications sont protégées. Pour comprendre le secret professionnel, il faut aller se battre en perquisition. 

Le reste du rapport Sauvé vous parle-t-il ?

J. C. Nous sommes alignés avec les constats : le service public de la justice est à bout de souffle. Les avocats tirent la sonnette d’alarme depuis longtemps, les magistrats ont suivi avec la tribune des 3000. Nous partageons l’appel à une réforme systémique. Il faut arrêter le système de rustines.

Il y a des points à faire bouger d’urgence : c’est le cas du décret Magendie. Les procédures d’appel sont trop longues. À côté, la loi est devenue très bavarde. Le nombre d’articles de loi a augmenté de 65 % en vingt ans. L’inflation normative a eu des conséquences sur l’entente entre les acteurs judiciaires. C’est un cercle vicieux : qui dit inflation législative dit rallongement des écritures, car les avocats craignent de mettre en jeu leur responsabilité. Et qui dit rallongement des écritures dit magistrats surchargés. Ils disent aussi qu’ils nous lisent trop, donc qu’ils n’ont plus envie de nous entendre. Il faut faire une pause sur les réformes.

Deux ans à la tête du barreau, c’est peut-être trop court pour tout faire…

V. N. Il existera toujours un sentiment d’inachevé. En deux ans, nous avons le temps de faire certaines choses, mais dans la précipitation. Il nous faut faire des arbitrages, bien sûr, mais un temps plus long permet de vraiment mener à bien ce qui a été lancé. Avec un mandat de trois ans, nous pourrions faire passer des réformes structurantes pour la profession. Sans compter le fait qu’établir une relation de confiance avec nos interlocuteurs, notamment publics, prend du temps. Le mandat renouvelable n’est pas possible pour les barreaux de plus de 30 avocats… Mais il pourrait être une solution. C’est au CNB de gérer ce sujet.

Propos recueillis par Pascale D'Amore et Olivia Fuentes

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