Marquée par un environnement inflationniste et de remontée des taux, l’année 2023 offre de belles perspectives tant aux investisseurs qu’aux professionnels du chiffre. Les stratégies obligataires sont l’une d’elles. Point avec Emmanuel Narrat, fondateur d’Haussmann Patrimoine.
Emmanuel Narrat (Haussmann Patrimoine) : "La multiplication des fonds obligataires datés nous donne la possibilité de faire du fund picking"
DÉCIDEURS. Pouvez-vous nous expliquer le fonctionnement d’un fonds obligataire daté ?
Emmanuel Narrat. Ce sont des fonds construits à partir d’obligations privées avec une échéance commune choisie par le gestionnaire. Cela revient à reconstituer une obligation avec sa propre sensibilité, répartie sur beaucoup plus d’émetteurs.
Est-ce un placement risqué ?
Oui, il y a un risque lié à l’émetteur (le risque de défaut) et un risque de fluctuation lié au mark-to-market, c’est-à-dire à la valeur intermédiaire du prix de l’obligation avant son remboursement final pouvant varier dans des proportions importantes. Si aujourd’hui vous investissez dans une obligation avec un taux à 5 % sur 10 ans mais que les taux montent de 1 % par exemple le mois suivant, les prochains investisseurs demanderont un taux de 6 % sur la même durée car ce sera la nouvelle référence du marché. Il sera alors compliqué de revendre l’obligation achetée avec un rendement de 5 %, sauf en baissant le prix jusqu’à ce que le prix payé par l’acheteur lui rapporte du 6 %.
"La durée de vie d’une obligation datée communique une information précieuse pour juger de la volatilité prévisionnelle du portefeuille"
Une obligation peut faire perdre de l’argent en période de montée des taux d’intérêt, lorsqu’on est pressé de récupérer son argent. La durée de vie d’une obligation datée communique une information précieuse pour juger de la volatilité prévisionnelle du portefeuille. Plus la durée de vie du fonds est longue, plus la valeur peut fluctuer à la hausse ou à la baisse en cours de route. Il faut savoir que, si nous restons positionnés jusqu’à l’échéance, le risque est maîtrisé.
Il existe aussi le risque de défaut…
Tout à fait. Il y a plusieurs sortes de risques de défaut (simple retard, impossibilité de payer un ou plusieurs coupons, voire de rembourser tout ou partie du capital) qui peuvent intervenir à différents moments de la vie du portefeuille. L’appréciation de ces risques est une affaire de professionnels. Le marché obligataire est très technique et il comporte beaucoup de titres, combinant de nombreux éléments de notations des émetteurs et de leurs obligations, et d’éléments mathématiques. Si on achète une action Carrefour, il suffit de regarder ses bilans et rapports annuels officiels. En revanche, si nous achetons une obligation Carrefour, il faut bien sûr examiner sa pérennité, sa capacité à rembourser ses dettes, étudier les caractéristiques de ses émissions, et voir si, compte tenu de la surcote ou de la décote de l’obligation, le risque de prêter à cette personne morale est bien rémunéré. C’est là que les gérants ont besoin de toute l’expérience requise pour construire leurs portefeuilles.
Malgré ces risques, nous avons vu de nombreuses solutions se créer ces derniers mois…
L’aubaine de l’année 2023 est le pendant de la mauvaise année dernière : les taux ont remonté, les rendements redeviennent attractifs. Certains gérants ont usé de leur créativité pour créer tout un panel de fonds datés, avec différents partis pris en termes de notation, de types d’émetteurs, et de zones géographiques. La multiplication des fonds obligataires datés nous donne la possibilité de faire du fund picking pour adapter la volatilité du portefeuille au profil du client, et diversifier pour réduire le risque inhérent à la classe d’actifs.
La convertibilité d’un fonds obligataire est-elle une bonne chose ?
La convertibilité est un plus pour l’investisseur. C’est en quelque sorte une menace pour la société si elle ne tient pas son engagement, puisqu’elle peut se retrouve dans l’obligation de faire entrer des actionnaires à son capital alors que ce n’était pas le projet initial. Cela crée une pression de remboursement coûte que coûte. C’est une autre façon d’aborder les obligations privées sur des durées un peu plus longues, mais intéressante car certains fonds offrent une fiscalité favorable sur les plus-values. Nous pouvons aussi retrouver ces fonds dans des assurance-vie ou des PER, qui viennent concurrencer le fonds euro.
Quelle poche obligataire préconiseriez- vous au sein d’une allocation d’actifs globale ?
Pour une bonne diversification du portefeuille nous recommandons a minima 5 %, mais cela peut aller bien au-delà. Tout dépend du profil et du projet de l’investisseur.
Qu’est-ce qui motive un investisseur à aller sur une obligation plutôt que sur une action ?
La sensibilité aux cours de Bourse d’un investisseur. À la base, la magie de la Bourse est la liquidité. Seulement, avec le temps, elle est devenue un ennemi car cette ultra liquidité a conduit les investisseurs et les fonds spéculatifs à faire du trading à la nano seconde ou à faire circuler des informations erronées afin de créer des mouvements de cours non corrélés à la vie des entreprises. Sur le marché obligataire, l’approche est plus pragmatique, avec un nombre de valeurs beaucoup plus important, ce qui le rend plus efficient. Les clients souhaitant aller sur ce marché sont généralement stressés par la Bourse. Ils en ont assez des montagnes russes et préfèrent une promesse de gain moins forte mais plus probable. Nous n’avons pas besoin que l’entreprise surperforme pour faire un placement rentable.
L’obligataire serait-il toujours intéressant en cas de récession ?
Au-delà du risque de récession, celui d’une crise économique peut mettre en difficulté des sociétés qui ne seraient plus viables dans une conjoncture plus compliquée.
"2023 est une année passionnante pour les professionnels du patrimoine"
Ce risque existe, nous ne savons pas à l’avance de quoi seront faites les prochaines années. Avec le recul, je dirais que les bonnes sociétés de gestion ayant bien choisi leurs émetteurs avant une période de crise ne s’en sortiront pas trop mal car, après la période de 2008 qui a été un exemple de scénario catastrophe grandeur nature, bon nombre de gérants ont su limiter la casse.
Comment envisagez-vous le second semestre de l’année ?
2023 est une année passionnante pour les professionnels du patrimoine. Nous avons des opportunités un peu partout grâce à la baisse de la Bourse en 2022, à la remontée des taux d’intérêt et à l’ouverture de très bons fonds spécialisés dans le non-coté dont nous, conseillers en gestion de patrimoine, étions privés depuis trop longtemps (private equity, dettes privées, infrastructures…). Mais certains marchés d’actions ont déjà bien rebondi, peut-être trop car certains indices sont au plus haut, et la prudence nous semble de mise sur le second semestre. Nous privilégierons les marchés en retard, sous-cotés, comme les small et mid cap, les valeurs défensives, certains produits obligataires, voire des produits structurés. L’important sera d’obtenir une bonne diversification des classes d’actifs pour réduire les risques en période de récession.
Propos recueillis par Marine Fleury