Dans le contexte actuel de hausse des taux d’intérêt, Daniel Biarneix, président de l’Association française des trésoriers d’entreprise, fait le point sur les enjeux actuels de la fonction de trésorier, à savoir la finance verte, la réglementation ou encore la digitalisation des paiements.
Décideurs. Quels sont les produits de placement des trésoriers ?
Traditionnellement, pour un trésorier, il existe trois possibilités de placement alliant sécurité et liquidité. Le premier est le dépôt sur le compte bancaire de l’entreprise. L’autre possibilité consiste à souscrire à un dépôt à terme avec une banque, offrant une rémunération en contrepartie d’une durée d’immobilisation des fonds fixée au départ. Et enfin le trésorier peut se tourner vers des OPCVM monétaires.
Comment la remontée actuelle des taux d’intérêt affecte-t-elle votre métier ?
La remontée actuelle forte et rapide des taux d’intérêt (supérieure à 3 % sur 1 an) affecte à la fois les placements et les financements des entreprises. Sur les placements, l’arbitrage, favorable aux dépôts bancaires quand les OPCVM offraient une rémunération négative, amène maintenant les trésoriers à réduire leurs encours sur comptes bancaires, dont la rémunération est souvent en retard par rapport aux OPCVM. Pour les financements, il convient de faire une différenciation en fonction de la taille des entreprises. En effet, la plupart des grands groupes empruntent sur les marchés obligataires à taux fixe, sur de longues durées, ce qui les immunise en partie contre le mouvement de hausse des taux.
"Le coût du crédit se renchérit inéluctablement"
En revanche, les plus petites structures, comme les PME et les ETI, recourent principalement au crédit bancaire à taux variable ; heureusement une portion significative de ces financements bancaires est couverte à taux fixe en utilisant des dérivés, ce qui limite l’exposition de ces entreprises à la hausse des taux. De plus, les marges de crédit demandées par les établissements bancaires ou les investisseurs obligataires ont elles aussi augmenté avec une différenciation accrue selon la qualité de crédit des emprunteurs. Le coût du crédit se renchérit inéluctablement, mais la gestion prudente des échéanciers obligataires ou de dérivés à taux fixe permet aux trésoriers d’étaler l’impact de la hausse des taux pour donner aux entreprises le temps de s’adapter à ce nouvel environnement financier.
Quel regard portez-vous sur le développement de la finance verte ?
Au-delà du cadre sociétal, je pense que la finance a un rôle à jouer pour contribuer à protéger notre planète. Cela s’est traduit par l’apparition de nouveaux produits de financement. Je pense notamment aux obligations vertes ("green bonds") dont les montants levés permettent de financer des projets à caractère environnemental. Mais il existe aussi ce que l’on appelle les "sustainability linked bonds ou loans" (obligations ou emprunts durables), dont le coût dépend de l’atteinte d’objectifs environnementaux ou sociaux. Preuve qu’il s’agit d’une nouvelle tendance de fond, désormais près d’un tiers des financements obligataires émis en euros par des sociétés non financières impliquent la prise en compte de critères extra-financiers, dits ESG (Environnement, Social et Gouvernance).
Quel sera le principal enjeu pour les trésoriers cette année ?
À mon sens, cette année, le principal enjeu des trésoriers concerne la gestion des risques financiers et ce, à plusieurs niveaux : la préservation de l’accès à la liquidité, l’évolution des taux d’intérêt et de change, la gestion du risque de contreparties mais aussi la gestion des risques politiques, et enfin celle liée à l’inflation, compte tenu en particulier de l’explosion des prix de l’énergie observée l’an dernier, sans oublier les risques permanents liés à la cybersécurité.
Pouvez-vous nous parler de l’évolution de la réglementation sur votre métier ?
L’activité de trésorerie, et plus généralement toutes les activités de financement, sont extrêmement régulées, notamment par le biais de la réglementation européenne sur nos contreparties financières. Quoi qu’il en soit, actuellement c’est le projet de révision du règlement européen EMIR ("European Market Infrastructure Regulation") sur les produits dérivés qui requiert notre attention, en particulier pour que soient maintenues les exemptions de compensation et de reporting pour les entreprises utilisant ces produits uniquement à des fins de couverture, et pour les transactions intra-groupe (sans impact sur la stabilité des marchés financiers).
Quels sont les principaux défis de la profession dans les années à venir ?
Selon moi, le principal défi de la profession concerne le développement de la finance durable, désormais devenue incontournable et dont nous souhaitons qu’elle soit inclusive, incitative et dynamique. Mais il ne faut pas oublier la digitalisation des paiements proposée par de nouveaux acteurs financiers comme les Fintechs. Elle continue d’être au cœur de nombreuses innovations, à l’image du paiement instantané et de l’initiation de paiement via son téléphone portable. Cela pourrait être à terme une révolution, permettant de développer des moyens de paiement alternatifs aux espèces et aux chèques, avec des coûts et des fonctionnalités plus attractifs pour les entreprises comme pour leurs clients.
Propos recueillis par Romain Feraud