Jordan Belfort, le louveteau de Wall Street
Tout commence par une soirée chez la sœur de sa quatrième femme (car "quand on aime on ne compte pas !" nous dit-il). Ce jour-là, le célèbre investisseur Jordan Belfort – incarné par Leonardo DiCaprio dans Le Loup de Wall Street – se penche sur le relevé de compte titres de son beau-frère. La scène est cocasse. Fernando, entrepreneur argentin à succès, a perdu près de 97 000 dollars en boursicotant. Sa femme fulmine en espagnol dans un débit à mille à l’heure et se plaint de tous les sacs Chanel qu’elle ne pourra s’offrir. L’investisseur leur propose alors une stratégie pour gagner de l’argent sur les marchés et éviter à son beau-frère une nouvelle soufflante.
Non aux commissions
Dans Investir, mes secrets pour gagner en Bourse, Jordan Belfort décrit une méthode qui permettrait de se passer des pro de Wall Street et surtout de leurs commissions. Le manuel se veut facile à lire, à suivre et à mettre en œuvre. Il s’adresse aussi bien aux investisseurs d’un jour qu’aux plus aguerris et même à ceux qui méprisent le système et pourront par ces connaissances "battre les marchés financiers à leur propre jeu et prélever (leur) juste part de richesse" en "toute sécurité". Une stratégie qui passe par la constitution d’un portefeuille parfaitement équilibré en fonction de son âge, de son appétence au risque ou encore de ses motivations.
La finance est un univers qui peut vite dépasser le commun des mortels. La somme totale des actifs dans le monde atteint les 1 500 000 000 000 000 000 de dollars, selon McKinsey. L’auteur s’appuie sur sa vie personnelle – il a passé deux ans en prison pour fraude boursière et blanchiment d’argent – et sur l’histoire de Wall Street pour expliquer pléthore de notions d’économie et d’investissement. Certaines sont assez pointues, d’autres prêtent à sourire. C’est le cas de "la théorie du plus grand abruti". Celle-ci consiste à se dire qu’il y a toujours "un plus grand abruti" prêt à payer davantage une action, même si son prix est surévalué. Il est possible de se faire de l’argent sur lui jusqu’à ce que, faute "d’abrutis", le titre finisse par chuter.
Haro sur Wall Street
S’il y a une chose sur laquelle insiste Jordan Belfort, c’est que Wall Street est une "machine à surfacturer" dont on pourrait se passer. Il cite Warren Buffett, le célèbre investisseur qui préférerait confier ses prédictions boursières à un singe aux yeux bandés qui joue aux fléchettes plutôt qu’à un gestionnaire de hedge funds. Pour Jordan Belfort, nous sommes conditionnés pour croire que la gestion active rapporte alors qu’il reste plus avantageux, par exemple, de miser à long terme sur le S&P 500 en confiant ses deniers à des acteurs comme Vanguard, qui prennent des commissions parmi les plus basses du secteur.
"La machine essaie de nous transformer en moutons afin de pouvoir lentement nous tondre"
Douze ans après sa chute, le loup de Wall Street rappelle que la place financière a conduit à quatre reprises le monde au bord de la crise et qu’aucune force ne vient contrecarrer les plans de la bête. "La machine à surfacturer de Wall Street est une alliance contre nature entre Wall Street, Washington et les médias financiers qui essaie de nous transformer en moutons afin de pouvoir lentement nous tondre jusqu’à ce que nous ne soyons plus bons qu’à être découpés en côtes d’agneau", explique-t-il. Il précise ne pas nourrir de ressentiment quant à sa condamnation qu’il considère justifiée et presse le lecteur de ne pas se laisser berner par les enfumeurs de Manhattan.
Afin de comprendre comment nous en sommes arrivés là, l’auteur remonte à l’origine de Wall Street. Il nous raconte l’accord de Buttonwood qui posera les bases du New York Stock Exchange et d’un entre soi puissant ; mais aussi l’influence de personnalités, comme le banquier qui avait "la mainmise sur tout le système financier", J.P. Morgan ou Charles Dow et Edward Jones, lesquels créèrent le premier indice permettant de connaître la performance de la Bourse, le Dow Jones.
Depuis, la place financière américaine manipule "le tout grâce à (ses) fils invisibles, (que l’écrivain nomme) la bourse et le système bancaire". Tous jouent et se jouent de la croissance et de la récession, répétant toujours les mêmes erreurs jusqu’à ce que l’économie trébuche. Ce système devint plus puissant encore lorsque dans les années 1920 l’investisseur lambda rejoint le bal, alimente la machine et se fait davantage plumer. Nous comprenons bien dès lors que Jordan Belfort ne serait donc pas LE loup de Wall Street mais un louveteau comparé au reste de la meute. On vous laisse juge.
Olivia Vignaud