Christophe Kullmann (Covivio) : “Nous n’aurons plus un bureau, mais plusieurs"
Décideurs. Quelle est l'empreinte de Covivio en France et en Europe ?
C. Kullmann. Covivio est une foncière européenne diversifiée. Lorsque nombre d’acteurs restent focalisés sur un pays ou une activité, nous bénéficions d’une présence sur plusieurs classes d’actifs et plusieurs pays européens. Notre portefeuille est composé à 58 % de bureaux (en France, en Italie et en Allemagne), à 27 % de logements en Allemagne et à 15 % d’hôtels, dans douze pays en Europe.
Pourquoi avoir choisi de vous développer en Italie ou en Allemagne ?
En Italie, nous sommes essentiellement présents à Milan où, grâce à notre équipe, nous faisons partie des leaders du marché. Il s’agit de la capitale économique du pays. C’est une ville avec un fort potentiel où nous avons plusieurs projets de développement emblématiques comme "Symbiosis", "Vitae" ou "Scalo di Porta Romana". Pour ce qui concerne l’Allemagne, nous y avons investie il y a une quinzaine d’années par l’intermédiaire du résidentiel à l’origine, puis de l’hôtellerie et enfin des bureaux. L’Allemagne est un pays polycentrique qu’aucune ville ne domine, nous avons donc fait le choix d’être présents au cœur des métropoles allemandes les plus dynamiques comme Hambourg, Dresde ou Leipzig, même si le portefeuille est majoritairement concentré à Berlin.
"Nous percevons une évolution des bureaux qui ne se traduit pas par une réduction systématique des surfaces"
Quels enseignements avez-vous tiré de ces derniers mois ?
Nous avons vécu un choc collectif qui s’est traduit par une évolution de la perception que nous avons de nos différentes activités. La crise sanitaire et les restrictions qui l’ont accompagnées ont accéléré des tendances déjà établies. Concernant les bureaux, les notions de flexibilité, de services et de centralité constituaient déjà des besoins prégnants. Le télétravail existait mais n’était pas aussi répandu. Ce que l’on perçoit vraiment aujourd’hui, c’est la volonté de nos clients de faire revenir leurs salariés sur leur lieu de travail et cela nécessite une adaptation des bureaux : plus d’espaces conviviaux, moins de postes de travail attitrés. La crise a renforcé la détermination à être ensemble, l’envie d’un lieu commun pour stimuler l’activité et la créativité. L’avenir du bureau, c’est le bureau mais ce n’est plus le même. Certaines entreprises vont réduire leurs surfaces, à l’instar des banques, mais nous constatons également des demandes équivalentes, voire supérieures en mètres carrés pour beaucoup d’autres sociétés. Nous percevons donc une évolution des bureaux qui ne se traduit pas par une réduction systématique des surfaces.
Et concernant les autres classes d’actifs que vous avez en portefeuille ?
L’hôtellerie est encore fortement impactée par cette crise sanitaire mais l’on pressent une nette amélioration, notamment à la lumière de ce que l’on observe aux États-Unis avec des RevPAR (Revenue per Available Room) supérieurs à ce qu’ils étaient en 2019. L’hôtellerie est une classe d’actifs qui retrouve très vite sa vitalité, malgré les bouleversements conjoncturels. La clientèle business va peut-être connaître quelques modifications structurelles avec des déplacements probablement moins fréquents mais plus longs. Dans cette perspective, les hôtels pourront, en outre, toujours compter sur une clientèle domestique, comme ça a été le cas au cours des derniers mois. Enfin, le secteur résidentiel a démontré tout son intérêt et son attrait.
Quelles sont vos convictions concernant l'évolution des marchés immobiliers ?
Sur la partie bureaux, un élément a été particulièrement renforcé par la crise : la polarisation entre les zones centrales et les zones périphériques. Le marché parisien des bureaux n’a pas rencontré de problème majeur et a même affiché des loyers plutôt orientés à la hausse. Les zones plus périphériques ont davantage souffert avec des loyers en baisse. À titre d’exemple, l’écart entre Paris et La Défense s’est creusé. Ce qui permet malgré tout à certains profils d’entreprises d’étudier une implantation à La Défense, ce qu’elles n’auraient peut-être pas envisagé avant la crise.
"Certaines zones tertiaires ont perdu de leur attractivité"
Votre stratégie d'investissement a-t-elle évolué ?
Nous avons toujours eu une politique active d’asset management, notamment avec une rotation régulière de notre patrimoine. Sur dix-huit mois, Covivio a arbitré pour 1 milliard d’euros de bureaux, au-delà des valeurs d’expertise. Notre métier n’est pas seulement de gérer des immeubles, Covivio est un opérateur immobilier qui développe des projets, les conçoit, les loue et les gère... Nous pouvons les céder lorsqu’ils sont à maturité. Le deuxième élément important, c’est l’accélération d’un phénomène que nous avons mis en œuvre il y a quelques années, à savoir la transformation de bureaux en logements et qui concerne certains immeubles au sein de zones tertiaires secondaires. À Bordeaux par exemple, nous possédions un immeuble de 10 000 mètres carrés loué à IBM sur une vaste zone. Le quartier est devenu à dominante résidentielle, IBM a libéré le site et nous venons d’obtenir les permis pour y développer 45 000 mètres carrés de logements. À Nice, ce sont 25 000 mètres carrés de bureaux qui vont se libérer en vue de cette même finalité. Certaines zones tertiaires ont perdu de leur attractivité. Dans la mesure où nous percevons une forte hausse des charges foncières résidentielles, cette transformation nous semble judicieuse. Sur le résidentiel en Allemagne, nous gardons le cap, à savoir poursuivre nos investissements et déployer notre pipeline de projets pour constamment rénover notre patrimoine existant et concevoir de nouveaux logements.
L'innovation occupe une place importante dans le développement de Covivio. Quelle place occupe-t-elle dans votre stratégie ?
Lorsque votre signature est “L’immobilier vivant”, il est inconcevable de rester assis à contempler ses actifs. Nous avons par exemple mis en place il y a cinq ans l’offre d’espaces flexibles “Wellio” qui , depuis, a pris sa place dans notre offre globale. C’est un exemple d’innovation, appliqué à nos métiers.
"Lorsque votre signature est “L’immobilier vivant”, il est inconcevable de rester assis à contempler ses actifs"
Quels sont vos prochains axes de développement ?
Nous avons pour ambition d’accélérer encore sur notre pipeline de projets. À ce sujet, nous croyons fermement à la mixité des usages. Nous avons également la volonté d’apporter toujours plus de services dans nos immeubles. Enfin, nous poursuivrons notre développement européen et nous comptons sur la reprise hôtelière pour booster nos résultats futurs sur les deux ans à venir.
Vous avez évoqué la transformation de bureaux en logements. La réversibilité de vos futures acquisitions va donc devenir un sujet incontournable ?
Toutes les questions liées au développement durable sont devenues incontournables. Nous avons par exemple revu à la hausse notre ambition carbone avec un objectif de -40 % de nos émissions d’ici 2030 par rapport à 2010. Tous nos futurs développements de bureaux viseront le label BBCA bas carbone. La réversibilité est un sujet : un immeuble haussmannien de bureaux pourra toujours devenir du logement, l’inverse est plus compliqué. Pour ce qui concerne les hôtels, nous en construisons peu mais la trame peut également se prêter à d’autres usages. Au-delà de la réversibilité des actifs, la question de l’absence de démolition est cruciale. Les points clés sont la conservation du bâti existant, la mixité d’usages et la réversibilité des produits.
Propos recueillis par Alban Castres