La coupe du monde de rugby montre à quel point le ballon ovale est devenu populaire dans l’Hexagone. L’occasion de revenir sur le développement économique de ce sport, professionnel depuis seulement une vingtaine d’années, qui doit majoritairement son succès aux investisseurs privés et à Canal+.
Comment le rugby français rattrape son retard économique sur le football ?
En 1995, le magnat des médias Rupert Murdoch fait entrer le rugby dans une nouvelle ère. Il acquiert sur dix ans les droits de diffusion des équipes nationales australiennes, néo-zélandaises et sud-africaines pour 500 millions de dollars. L’accord prévoit aussi la création d’une compétition qui verra ces trois équipes s’affronter chaque année. Le Rugby Championship, fruit de cet achat, existe toujours aujourd’hui et a depuis accueilli l’Argentine.
Du côté de l’Hexagone, le rugby se professionnalise en 1998 avec la création de la Ligue nationale de rugby (LNR). Malgré certains désaccords provenant du monde amateur, le rugby français n’avait pas d’autres choix que de suivre cette voie sous peine de définitivement décrocher face à la forte concurrence des pays du Sud. Comme souvent, ce sont les flots d’argent qui ont permis cette évolution. Les clubs se sont tout d’abord structurés pour augmenter leurs bénéfices de matchs par la billetterie et l’hospitality (restauration, activités…) mais surtout, le rugby a joui d’une grande visibilité offerte par le secteur privé, Canal + en tête qui a obtenu la majorité des droits de diffusion du championnat de rugby français (Top 14) en 1998.
Lorsqu’en 2014 Canal + est en difficulté face à une forte concurrence de Bein Sport, c’est sur le rugby que le groupe se replie en augmentant son offre pour les droits TV
Canal+ dans la mêlée
La chaîne cryptée a fortement misé sur le rugby depuis sa professionnalisation. Elle a permis son développement économique grâce à des droits de diffusion en hausse exponentielle (voir le graphique ci-dessous) depuis son premier contrat avec la LNR et une visibilité grandissante chaque année. Lorsqu’en 2014 Canal + est en difficulté face à une forte concurrence de Bein Sport, nouvel arrivant sur le marché français, c’est sur le rugby que le groupe se replie en augmentant son offre pour les droits TV de 125,4% sur la période 2015-2019. Un investissement qui entraîne une hausse des revenus pour les clubs du Top 14. Il existe ainsi un cercle vertueux entre l’ovalie et la chaîne cryptée. Cette dernière a structuré le budget des équipes. En retour, celles-ci lui offrent des audiences considérables, en constante hausse grâce au meilleur niveau du championnat généré par des revenus plus importants.
Cet attrait pour le rugby s’explique par plusieurs facteurs. Selon Bertrand Nadeau dans une interview accordée aux Échos, directeur général d’Omnicom Media Group, "le rugby bénéficie d’une “survalorisation” dans les médias. En France, c’est le deuxième sport le plus regardé après le football alors qu’il n’est pas le deuxième en nombre de pratiquants." Merci Canal+.
Le rugby est désormais le troisième sport le plus suivi en France, mais seulement le 10e en nombre de pratiquants licenciés. Moins clivant que le football, il est "business compatible". En transmettant des valeurs réputées plus positives grâce à un marketing B2C ou B2B savamment entretenu, il attire des dirigeants et des politiques dont beaucoup se valorisent de l’avoir pratiqué comme l’ancien premier ministre Jean Castex. En outre, les valeurs véhiculées par le rugby se rapprochent de celles d’une entreprise, où collectif et respect priment et où le salarié, aussi bon soit-il, ne peut rien faire seul.
Moins clivant que le football, le rugby devient "business compatible" et attire les entreprises
Altrad transforme l’essai
D’autres acteurs ont joué un rôle prépondérant dans le développement de ce sport. C’est le cas de Mohed Altrad, dont la société de BTP du même nom a largement pu compter sur l’image positive du rugby. Propriétaire du club de Montpellier, depuis 2011, premier sponsor maillot de l’histoire de l’équipe de France en 2018 et de la Nouvelle-Zélande depuis 2022, l’entreprise a misé sur la notoriété de tels partenariats pour dynamiser sa croissance. Mohed Altrad confirme et justifie aux Échos ses engagements d’environ 50 millions par an dans le ballon ovale : "Il y a une logique à tout cela. En 2011, on ne réalisait que quelques centaines de millions de chiffre d’affaires. Aujourd’hui, c’est 5,3 milliards sur notre exercice décalé 2022-2023, contre 3,8 milliards l’an dernier." Par ses investissements, l’homme de 72 ans a fait grandir le rugby en augmentant les revenus d’équipes nationales et du championnat français, mais aussi ceux de sa propre structure. À la base exclusivement présente dans les équipements de BTP, l’entreprise s’est aujourd’hui diversifiée dans le pétrole, le gaz ou la tuyauterie de haut niveau qui représentent désormais 4/5 de son chiffre d’affaires.
Retombées du mondial
Avec la coupe du monde, de fortes retombées économiques sont attendues. Selon une étude du cabinet Deloitte pour la Fédération française de rugby, l’événement devrait générer entre 1,9 et 2,4 milliards d’euros de bénéfices directs et indirects et réunir 2,5 millions de spectateurs, dont 600 000 étrangers. L’institution rugbystique attend aussi de voir son nombre de licenciés croître de 20 %. Concernant les retombées publicitaires, le tarif brut de l’écran de coupure de la finale, en cas de présence des bleus, sera de 350 000 euros, en légère hausse par rapport à la dernière coupe du monde de football en 2022, alors qu’il était de 290 000 euros pour le match d’ouverture de vendredi dernier. Preuve qu’au moment de fêter ses 25 ans de professionnalisation, le rugby français n’a pas achevé sa mise en orbite.
Tom Laufenburger