Sherpa a déposé plainte auprès du Parquet national financier contre BNP Paribas, Crédit Agricole, BPCE et Axa. L’association réclame l’ouverture d’une enquête sur le soutien financier des quatre banques à des entreprises brésiliennes de viande bovine responsables de la déforestation illégale en Amazonie.

C’est une première en France. L’association Sherpa a annoncé le 8 novembre 2023 avoir déposé plainte auprès du Parquet national financier (PNF) contre quatre banques françaises sur le fondement des délits de blanchiment et de recel. Elle espère déclencher une enquête sur l’appui financier de BNP Paribas, Crédit Agricole, BPCE et Axa, à des entreprises brésiliennes qui contribuent à la déforestation illégale en Amazonie.

Dans son communiqué Sherpa indique qu’entre 2013 et 2021, les quatre établissements bancaires ont investi près de 70 millions de dollars au profit de JBS et Marfrig, les principales multinationales brésiliennes de l'industrie agroalimentaire, qui réalisent avec leur homologue Minerva, environ 70 % des exportations de bœuf du Brésil. Des firmes à qui l’on reproche de pratiquer du blanchiment de bétail en transférant des bêtes interdites à l’export à cause de la déforestation illégale vers une ferme dite propre. Une manoeuvre qui permet de contourner des interdictions comme celle posée par le règlement européen de mai 2023 qui prohibe la mise sur le marché ou l’exportation depuis le marché européen de produits ayant contribué à la déforestation. Ces violations environnementales et sociales ont notamment été révélées par plusieurs enquêtes, dont celles d'Amnesty International ou du consortium Forbidden Stories, des journalistes d’investigation et seize médias internationaux qui ont poursuivi les investigations sur la filière bovine brésilienne du journaliste britannique Dom Phillips et l'ethnologue brésilien, Bruno Pereira, assassinés en 2022 dans la vallée du Javari. 

Profits issus de la déforestation

Selon le Center of Climate Crime Analysis (CCCA), qui soutient la démarche de Sherpa aux côtés de l'ONG Repórter Brasil et Transparency International, plus de 50% des fournisseurs des trois abattoirs de JBS dans l’état du Para contribueraient à la déforestation, à l’accaparement des territoires autochtones et des zones forestières protégées. Dans l’état du Mato Grosso, 40% des fournisseurs des abattoirs de JBS et Marfrig se livreraient à ces procédés illégaux. L’analyse du CCCA s’appuie sur un échantillon de plus de 60 000 propriétés de la chaîne d’approvisionnement des abattoirs concernés. Fernanda Sucupira, chercheuse à Repórter Brasil en conclut que “les profits des multinationales de l’agro-alimentaire proviendraient ainsi en partie des revenus de la vente de bovins élevés sur des terres illégalement déforestées”. 

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La plainte de Sherpa vise à mettre la lumière sur la part de responsabilité des acteurs financiers français dans la déforestation de l’Amazonie. L’association soutient que l’achat d’obligations émises par des entreprises qui tirent profit de délits environnementaux s’apparente à du blanchiment ou du recel. Par ces opérations “BNP Paribas, Crédit agricole, BPCE et Axa permettraient de réintroduire dans le circuit légal les bénéficies de ces infractions”. Les investissements des banques dans les entreprises JBS et Marfrig auraient rapporté un bénéfice de 11 millions de dollars.

Problème massif et systémique

Jean-Philippe Foegle, juriste chargé de plaidoyer et contentieux à Sherpa explique que “les banques françaises ne peuvent ignorer la responsabilité de la filière bovine brésilienne dans la déforestation, un problème massif et systémique.” Selon lui, ces banques auraient donc financé en toute connaissance de cause des activités illégales, et ce, en dépit de leurs engagements en matière de préservation de la biodiversité. Pour Sandra Cossart, directrice de Sherpa: “Les institutions financières ont des obligations claires en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, et celles-ci doivent être pleinement appliquées lorsqu’il s’agit de délits environnementaux.” BNP a fait l'objet d'une assignation en février dernier par trois autres associations (Notre affaire à tous, Oxfam, Les Amis de la Terre) sur le fondement du devoir de vigilance. Un outil juridique qui n'a pas encore montré ses preuves dans la lutte contre le changement climatique, demeuré inopérant dans l'affaire Total Ouganda, par exemple. Et qui contraint les militants à renouveler leurs stratégies judiciaires. Sandra Cossart avait expliqué en janvier dernier à Décideurs Juridiques que pour Sherpa, la loi devoir de vigilance était du passé, et qu'il fallait  “quelque chose de plus ambitieux”.

Axa a réagi auprès de Libération : “En cohérence avec notre raison d’être, «Agir pour le progrès humain en protégeant ce qui compte», nous surveillons et actualisons régulièrement nos politiques internes concernant l’investissement responsable notamment en matière d’environnement et de droits humains. Notre entreprise a l’une des politiques les plus strictes en la matière, qui est conforme aux lois et normes internationales en vigueur”.

Anne-Laure Blouin