Le 13 février 2024, le Conseil d’État, saisi par Reporters sans frontières, invitait l’Arcom à contrôler une seconde fois le respect du pluralisme de l’information par CNews. Sans se contenter de décompter le temps de parole des personnalités politiques invitées sur les plateaux de la chaîne. Les juges administratifs rappellent aussi au régulateur l'étendue de ses pouvoirs.

Victoire devant le Conseil d’État pour Reporters sans frontières (RSF). Les juges de la place du palais Royal ont invalidé une décision du 5 avril 2022 de l’Arcom sur l’indépendance et le pluralisme de CNews. L’association avait réclamé la mise en demeure de la chaîne en novembre 2021. Demande dans laquelle RSF expliquait “en quoi CNews ne [pouvait] plus être considérée comme une chaîne d’information, mais qu’elle [s'était] transformée sous la houlette de Vincent Bolloré en un média qui [diffusait] des opinions de manière massive et orientée – relevant souvent de la discussion de comptoir, au mépris régulièrement de l’indépendance, de l’honnêteté et du pluralisme de l’information”.

Télévision de “l’anti-élite”

Le Conseil d’État désavoue le contrôle opéré par l’Arcom sur le fait que la chaîne respecte ses obligations en matière de pluralisme de l’information. Et rappelle au régulateur le large pouvoir d’appréciation que la loi lui octroie pour procéder à ce contrôle. Alors qu’elle s’est limitée au décompte du temps de parole des personnalités politiques intervenantes, l’autorité aurait dû rechercher l’existence d’une diversité des courants de pensée et d’opinion dans l’intégralité des programmes diffusés. Une problématique abordée par France Culture en 2021 avec François Jost, professeur émérite en sciences de l'information et de la communication à l'université Sorbonne-Nouvelle, dont les recherches (menées pour RSF) soulignent l’absence de pluralisme sur l’antenne de CNews : “Alors que les invités de gauche représentent 10 % et ceux de LREM 4 %, les invités de droite et d’extrême droite représentent plus des 3/4 des présences en plateau (78 %).”  Il explique aussi que la chaîne est un “objet télévisuel tout à fait nouveau”, qui se “présente comme la télévision de l’anti-élite”, sans porter la voix d’un politique en particulier (à l’opposé de Foxnews, la chaîne pro-Trump). Dans son communiqué, RSF précise d’ailleurs que son recours administratif ne repose sur aucune considération politique, mais sur les obligations des médias en matière d’expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, et de leur contrôle par l’Arcom. Dans la soirée du 13 février, Pascal Praud a abordé ce point dans son commentaire sur la décision du Conseil d’État : “J’invite chaque jour ceux que le débat intéresse à apporter la contradiction. J’observe qu’ils refusent bien souvent mes invitations.”

Le régulateur [devra s’assurer] que l’indépendance effective de la chaîne soit garantie au regard de l’influence que peuvent exercer ses actionnaires sur la ligne éditoriale”

Dans sa demande de mise en demeure, RSF fait également valoir des immixtions de la part du principal actionnaire de la chaîne, Vincent Bolloré, dans la programmation de la chaîne. L’Arcom s’est refusée à intervenir à défaut d’exemples précis fournis par l’association. Ce à quoi le Conseil d’État répond qu’elle aurait dû examiner la globalité du comportement de la chaîne ou de sa direction, y compris hors antenne pour ce qui est des “conditions de fonctionnement de la chaîne et des caractéristiques de sa programmation”. Pour l’avocat de RSF, Patrice Spinosi, le Conseil d’État demande à l’Arcom d’aller au-delà du contrôle du respect du pluralisme sur l’ensemble des programmes de CNews. Il exige que “le régulateur s’assure que l’indépendance effective de la chaîne soit garantie au regard de l’influence que peuvent exercer ses actionnaires sur la ligne éditoriale”.


Pouvoirs de l’Arcom renforcés

La décision du Conseil d’État ouvre de nouveaux horizons à l’Arcom. Selon l’autorité, “avec cette interprétation renouvelée de la loi de 1986, le Conseil d’État renforce la capacité de contrôle par le régulateur des obligations de ces médias en matière d’honnêteté, de pluralisme et d’indépendance de l’information, dans le respect de leur liberté éditoriale”. L’Arcom a six mois pour réexaminer le respect par la chaîne CNews de ses obligations en matière de pluralisme et d’indépendance de l’information.

Sur la chaîne, on titre : “CNews visé par le Conseil d’État : 'Vivement qu’une telle attention soit portée sur tous les autres médias”. La journaliste Laurence Ferrari évoque “une liberté de ton qui dérange dans le paysage de l’audiovisuel français” avant de conclure que la liberté d’expression est la marque de fabrique de la chaîne. Et d’annoncer un débat sur le sujet, à venir.

Anne-Laure Blouin

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